27 – Que veut dire le terme de hadrah utilisé pour désigner le rituel de dhikr en commun dans le cadre d’une tarîqah ? – (M.A.S.)

La désignation habituelle du terme « hadrah », se rapporte, nécessairement et avant tout, à la Présence d’Allah –subhâna-Hu wa Ta’âlâ-.

Voici, pour appuyer cette affirmation, la traduction d’un passage d’un livre qui traite des règles et convenances de la Voie, les Lawâqîh el-anwâr el-qudussyah fî ma’rifati qawâ’id eç-çufiyah de l’Imâm Abd el-Wahhâb Charânî -qu’Allah soit Satisfait de lui-, lequel est connu non seulement comme une grande autorité du Taçawwuf, notamment comme défenseur de l’œuvre d’Ibn Arabi, mais aussi de la Charî’ah (cf. notamment son œuvre magistrale sur les madhâ’ib « comparés » : el-Mizân el-kubrâ).

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« Quant à l’exposition des règles de convenances initiatiques (âdâb) relatives à l’incantation (dhikr) et du fruit (thamrah) de l’initiation (talqîn), sache, mon frère, qu’une œuvre d’adoration qui serait dépourvue d’un comportement spirituel adéquat (adab) n’aurait que peu de profit. Les Maîtres sont unanimes à dire que le serviteur parvient, par une telle adoration, à obtenir la récompense qui s’y attache et l’entrée au Paradis, mais qu’il ne parvient à la Présence de son Seigneur * qu’à la condition d’accompagner une telle adoration d’un comportement spirituel (adab) juste.

* Cette première expression suffirait déjà presque, à elle seule, à expliquer ce qui nous intéresse ici.

Il est connu * que ce qui est visé par le peuple initiatique [qawm = les initiés] est la proximité de la Présence d’Allah particulière (el-khâççah) et de s’y établir [mujâlasah, litt. de s’y assoir, s’y établir] sans aucun voile alors que ce qui est de l’ordre de la récompense (thawâb) est de l’ordre du fourrage (’alf) accordé à la bête de somme.

V8 – 30 oct. 2011

* Puisque cette conception est ainsi répandue au sein du Qawm, sous la plume et avec l’autorité du Cheikh Charani, pourquoi entend-on trop souvent dire autre chose d’initiés réputés instruits, surtout si cela implique de sortir de l’unanimité évoquée ici en soutenant une position qui est une pure aberration sous le double rapport doctrinal et logique, à savoir que le terme de hadrah ne peut pas désigner la Présence d’Allah subhâna-Hu wa ta’âlâ ?

Allah a dit :  » Je suis le commensal [Anâ jalîs, Je suis assis auprès de, avec] celui qui Me mentionne (man dhakara-nî) », c’est-à-dire :  » qui Me mentionne selon l’adab qui convient et avec concentration [ma’a-l-hudûr, litt. avec présence]. » On veut dire par « mujâlasah » = le dévoilement du voile du serviteur, lequel apparaît devant son Seigneur (bayna yaday Rabbi-hi), Qui le voit –Exalté soit-Il (wa-Huwa Ta’âlâ yarâ-hu). Tant qu’il se maintient dans cette contemplation, il est dans Sa Présence * et s’il s’écarte [s’éloigne] de cette contemplation, il sort de Sa Présence *. Comprends-donc !

* Il semble particulièrement important de relever qu’il n’est aucunement question ici d’être « présent » ou « entre les mains » (bayna yaday) de quelqu’un d’autre que de son Seigneur.

On devra donc utiliser une autre source ou un autre symbolisme pour affirmer la thèse admissible selon laquelle le terme de hadrah peut, de surcroît mais sans exclure ce sens, désigner autre chose que la Présence divine, à savoir la Présence de la Lumière Mohammadienne ou celle des Maîtres de la silsilah.

Il faudra, par ailleurs, avoir recours à d’autres références et à d’autres arguments (mais lesquels ?) pour essayer de justifier la thèse saugrenue selon laquelle le même terme ne pourrait pas désigner la Présence divine tout en désignant malgré tout celle des Maîtres …

On ne désigne pas, en parlant de « présence » à Allah-le-Vrai (el-Haqq) –qu’Il soit Elevé- un endroit particulier sur terre ou dans le ciel (ainsi qu’il a pu être prétendu) *, car le Vrai – Elevé soit-Il – n’est pas « entouré » [contenu] par les cieux –qu’Allah soit grandement exempt de cela-.

* En référence à un autre célèbre hadîth qudsî à propos du cœur du croyant fidèle : « Ni ma Terre ni mon Ciel ne Me contient, mais le cœur de Mon serviteur fidèle Me contient », on notera l’application de l’auteur à préciser également la notion, pourtant simple à comprendre pour quiconque a une conception régulière de la ‘aqîdah, qu’il n’est pas davantage question de donner à ces expressions un sens que l’on pourrait qualifier de « locatif » ou « localisant ».

Il est donc pour le moins « étonnant » de voir ceux qui soutiennent la thèse que nous récusons ici utiliser précisément l’argument fallacieux consistant à dire que le terme de hadrah ne pourrait désigner la Présence divine en considération du fait qu’Allah –subhâna-Hu wa ta’âlâ– ne peut être localisé en un endroit ; c’est bien plutôt l’inverse qu’il faut comprendre, c’est-à-dire que, bien que l’on ne puisse effectivement pas localiser Allah –subhâna-Hu wa ta’âlâ– en un endroit, le terme de hadrah désigne bien la Présence divine, prioritairement et par un principe nécessaire.

En effet, si cette dernière affirmation est, en elle-même parfaitement légitime sur le plan de la ‘aqîdah, on voit bien, à lire l’Imâm Charani qui connaissait visiblement très bien cette argutie éculée, qu’elle ne s’applique aucunement dans le cas présent ; et l’on se demandera légitimement, à constater de telles prises de position systématiquement inversées par rapport à la conception traditionnelle régulière de données initiatiques aussi importantes que fondamentales, comment il faut qualifier une telle « attitude », de quoi elle peut être le support et à quelles conséquences dramatiques elle peut conduire ceux et celles qui, plus ou moins consciemment ou manipulés, l’adoptent et la suivent … Étant donnée la gravité des différentes exactions qui peuvent être ainsi induites et effectivement commises sous l’emprise de telles conceptions, parfois au nom des plus grands maîtres de la Voie, nous reviendrons plus en détails sur cet aspect des choses le moment venu, in châ Allah.

Enfin, on pourrait aussi dire que si ces désignations sont malgré tout données et précisées par les Maîtres de la Voie, cela n’empêche en aucune manière que celui qui est support du dhikr quand il le pratique, c’est-à-dire l’initié pour ce qui nous intéresse ici, se trouve lui-même généralement dans des conditions de vie et de conscience corporelles qui sont telles que l’on est bien obligé d’avoir recours à une terminologie de ce genre : il est, lui-même, bel et bien sujet à une localisation, tant qu’il est dans une modalité de vie corporelle qui est soumise à l’espace, même si Celui qui est l’objet de son dhikr ne peut l’être en réalité en aucune manière, subhâna-Hu wa Ta’âlâ ; ce sont donc bel et bien ce paradoxe et cette réalité qui sont exposés dans le hadîth qudsî précédemment cité.

Ainsi le serviteur ne cessera d’abonder dans le dhikr par la parole jusqu’à ce qu’il parvienne au Vrai –Elevé soit-Il- par Sa contemplation. C’est en cela que réside l’Ouverture [spirituelle véritable, Fath *] car l’incantation d’Allah consiste en vérité, pour le serviteur, à accompagner son affirmation [dans le témoignage de la Shahadah] de l’idée qu’il est « devant » son Seigneur (« bayna yaday » Rabbi-hi) **.

* Comme on le sait, ce terme désigne habituellement dans la littérature du Taçawwuf arabo-islamique la réalisation spirituelle effective, quel que soit son degré, intermédiaire ou suprême.

** Sur le sens de cette expression, encore une fois réitérée dans ce même contexte, voir plus haut.

Le dhikr par la langue est, sous ce rapport, une wasîlah [moyen intermédiaire] à Son égard [wasîlah ilay-Hi, un moyen d’accéder à Lui]. Lorsque la contemplation lui parvient, il est affranchi de rechercher la concentration dans le dhikr par la langue car la Présence de la contemplation du Vrai * –Elevé soit-Il- est faite de stupéfaction et de mutisme, qui affranchissent du dhikr celui qui s’y établit, celui-ci [le dhikr] étant, en effet, de l’ordre de la désignation ; la réunion (el-jam’iyah) avec Celui qui est désigné s’étant établie, elle dispense le serviteur d’avoir recours à une désignation. »

* Sur le sens de cette expression, voir plus haut.

 Lawâqîh el-anwâr el-qudussyah fî ma’rifati qawâ’id eç-çufiyah – Imâm Abd el-Wahhâb Charânî

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par le 23 octobre 2011, mis à jour le 9 octobre 2015

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