A propos des assemblées de la Tarîqah et de la Achîrah Mohammediyyah – Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm
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Le texte dont nous proposons ici la traduction concerne l’organisation des assemblées réunissant les fuqarâ’ de la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah et/ou les membres de la ‘Achîrah Mohammediyyah 1 . Il figure sous une forme identique dans au moins deux ouvrages du Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn : « Le commencement » (al-Bidayah) et « La méthode » (al-Manhaj) .
La simplicité apparente de ces règles ne doit cependant pas faire oublier l’objectif premier de leur formulation par les Maîtres de la Voie : permettre l’accès à la Présence effective (hadra) d’Allah – Glorifié et Magnifié soit-Il – y compris dans les phases ultimes du cycle de la présente humanité où les hommes n’ont jamais été aussi peu qualifiés pour la réalisation spirituelle 2 !
Dans « Le commencement », ces règles introduisent des considérations relatives à la technique incantatoire mise en œuvre lors des réunions de ces assemblées que l’on retrouve aussi dans le « maître-livre » de la Tarîqa Mohammediyyah : « La maison mohammédienne » (el-bayt el-mohammedy).
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On notera dès maintenant que le Cheikh Zakî al-Dîn ne conditionne pas, dans cet extrait, la tenue des réunions à la présence du Cheikh ou de l’un de ses représentants autorisés (ma’dhun). Les choses sont cependant plus complexes et, dans les faits, leur présence est parfois requise (pour la mise en œuvre d’adhkâr spécifiques notamment). Nous ne reviendrons pas ici sur l’importance que peut revêtir le travail initiatique collectif dans le cheminement spirituel, en particulier lorsque la présence d’un Cheikh réalisé fait défaut, et nous permettons de renvoyer à ce sujet aux divers travaux publiés sur Le Porteur de Savoir 3 .
15 mars 2015 – V3
Dans cette perspective, on remarque également que la prise en charge des aspects matériels des activités de la Tarîqah ne semble pas devoir être du ressort unique du responsable de la Tarîqah, que celui-ci soit un initié de réalisation effective ou pas, ni de celui d’un quelconque autre membre en particulier ; il s’agit d’un aspect simplement collectif et d’une répartition naturellement partagée selon les possibilités de chacun.
Sous ce double rapport (déroulement des réunions et prise en charge des aspects matériels), la réalité du fonctionnement des assemblées de la Tarîqah et de la ‘Achîrah présentée par Cheikh Zakî ed-Dîn est donc, une fois encore, bien éloignée de ce que l’on a l’habitude d’appeler en Occident une « image d’Épinal », c’est-à-dire une certaine conception idéalisée centrée sur la personne du Cheikh.
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Les Assemblées mohammédiennes (al-Halaqât al-mohammediyyah)
1) Tout groupe de cinq frères (ou sœurs) au minimum, se trouvant dans un voisinage proche, se considère comme une famille unique (usrah wâhidah) et forme donc une « assemblée mohammédienne » (halqah mohammediyyah). Ils honorent les uns vis-à-vis des autres les droits et les obligations de ce monde, s’entraident, et respectent mutuellement les convenances (mujâmalât) particulières et générales. Cette assemblée ne doit jamais être dissoute 4 tant qu’il reste au moins deux membres. Elle porte le nom, dans la Tarîqah, de « zâwiyah » et, dans la ‘Achîrah, celui d’ « assemblée » (halqah).
Généralités sur la constitution, le fonctionnement et la dissolution
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2) Chaque assemblée tient, au minimum, une réunion hebdomadaire (liqâ usbû’î) consacrée à l’adoration, à l’enseignement (dars) et à la concertation [fraternelle] (muchâwarah). Cette réunion hebdomadaire a lieu dans les mosquées 5 ou dans les demeures des frères qui sont disponibles à cet effet (çâlihah) . Il est tout à fait possible (yajûz jiddan) que les assemblées aient lieu tour à tour dans les différentes demeures des frères (Pour les femmes (as-sayyidât), il doit y avoir un lieu complètement indépendant, de manière à ce que les membres des deux sexes (al-jinsân) ne se mélangent pas, malgré la présence avec eux de mahârîm 6 ).
Périodicité minimale, lieux de déroulement
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3) La réunion commence après la prière de l’après midi (‘asr), du coucher du soleil (maghreb) ou de la nuit (‘icha), même si ne se trouvent présents que deux frères uniquement et il n’est jamais permis de retarder ce temps ni de prolonger la veille au delà du temps convenu (al waqt al-munâsib). Les frères s’entraident pour les dépenses relatives au repas (nafhah) 7 , l’installation du lieu (farach) 8 , l’éclairage (idhâ’ah), le service (khidmah) ainsi que toutes les autres obligations impératives relatives au service de l’assemblée et à sa prise en charge, afin d’y attirer d’autres personnes, que l’Appel (da’wah) se répande et qu’Allah soit satisfait.
Temps d’accomplissement, entraide fraternelle concernant l’ensemble des aspects matériels
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4) La réunion (ijtima‘) est répétée lors des nuits bénies et d
es occasions particulières [de l’année] islamique (al-mawâsim al-islamiyyah). Nous insistons sur le fait de ne pas trop prolonger la veillée comme le font d’autres, afin que nous ne manquions pas le [temps de] repos (ar-râhah) [nécessaire] ni la prière du matin (çubh) ni notre travail, avec des excuses qu’Allah n’acceptera jamais, au nom du service de la ‘Achîrah ou de la Tarîqah.
Occasions, limites horaires
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5) La veillée doit être dédiée à [la transmission] de la science ainsi qu’à la pratique du dhikr, de la lecture du Coran et des litanies quotidiennes (awrâd). Si tu es seul pour pratiquer tes œuvres d’adoration, tu es libre de veiller ou non, en fonction de tes possibilités, afin de ne pas manquer la prière du matin, ni les litanies quotidiennes, ni le départ pour ton travail, recherchant [ainsi ] l’agrément (iqbâl) d’Allah et des gens, « et ainsi nous avons fait de vous une communauté du juste milieu (ummatan wasatan) » 9 .
Contenu, distinctions entre pratiques collective et personnelle (limites horaires)
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6) Parmi les droits qu’Allah a sur toi (min haqqi-Llah ‘alayka), [il y a le fait] que tu invites (an tad’û) tous ceux en qui tu vois un bien pour l’Appel (khayran li-d-Da’wah) à suivre la Voie à laquelle tu appartiens (tarîqati-ka) : « Appelle (Ud’u) vers le chemin de ton Seigneur, avec sagesse et une belle exhortation, et argumente (jâdilhum) 10 avec eux de la meilleure façon » 11. [Ceci concerne] en particulier l’épouse, les enfants, la famille ainsi que le voisinage : « Et avertis ta proche famille (‘achîrataka-l-aqrabîn) » 12 . Prends bien garde de ne pas remettre [cela] à plus tard ou [d’y renoncer par] paresse et cherche refuge en Allah contre la perte après le don (as-salb ba’da-l-‘atâ’) 13 de même que contre la polémique (mujâdalah) avec les adversaires : nous apportons uniquement des preuves (nubayyin), nous ne polémiquons pas « et la divergence d’opinion (ikhtilâfu-r-ra’y) ne remet pas en question l’amour [fraternel] (la yafsad li-l-waddi qadhiah) » .
Importance de l’Appel, mises en garde
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Memento du contenu
- Généralités sur la constitution, le fonctionnement et la dissolution
- Périodicité minimale, lieux de déroulement
- Temps d’accomplissement, entraide fraternelle concernant l’ensemble des aspects matériels
- Occasions, limites horaires
- Contenu, distinctions entre pratiques collective et personnelle (limites horaires)
- Importance de l’Appel, mises en garde
Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm
Présentation et notes du traducteur
Annotations de Mohammed Abd es-Salâm
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- Rappelons ici que la Achîrah accueille des membres de toutes les turûq régulières mais aussi des musulmans non rattachés au Taçawwuf. [↩]
- L’insistance des Maîtres sur ces règles « minimales » et « basiques » vise sans nul doute à palier la déficience religieuse et spirituelle générale en réaffirmant, de manière adaptée au contexte présent, l’importance qu’il y a pour l’initié d’intégrer de manière harmonieuse l’ensemble des composantes du milieu dans lequel il évolue, fussent-elle d’un ordre apparemment très extérieur, avant d’espérer parvenir à une connaissance d’un ordre plus élevé. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Cheikh Zakî al-Dîn a fondé la Achirah Mohammediyyah dont le rôle dépasse de loin celui du simple « service social » qu’ont voulu y voir certains universitaires occidentaux. [↩]
- Cf.tout particulièrement les remarques d’ Olivier Courmes, d’après l’œuvre de René Guénon, et le commentaire de Mohammed Abd al-Salâm sur une règle de adab de l’Imam Cha’ranî [↩]
- Litt. : « Le cercle (halqah) ne doit pas être rompu » [↩]
- litt. « Les maisons d’Allah » [↩]
- Il s’agit des hommes avec lesquelles une femme ne peut se marier, comme son père ou son frère par exemple. [↩]
- litt. : aux « dons » [↩]
- Litt. : « des tapis » [↩]
- Coran, 2-143. Cette notion de « juste milieu », c’est à dire d’équilibre en toute chose, est un des héritages mohammédiens caractéristiques de la Tarîqah Châdhiliyyah et en particulier de la branche Mohammediyyah Châdhiliyyah du Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn. [↩]
- Selon le contexte, la racine arabe « jadala » évoque la simple discussion argumentée ou la polémique, comme en témoigne la suite du texte. [↩]
- Coran, s.16, v.125. [↩]
- Coran, s.26, v.214. C’est de ce verset que provient le nom de la ‘Achîrah Mohammediyyah. [↩]
- En référence à une invocation prophétique bien connue. [↩]
par Maurice Le Baot le 7 septembre 2012, mis à jour le 7 octobre 2015
Mots clés : Travail collectif