Au sujet du secret initiatique (sirr) – (Article total) – M.A.S.

Nous regroupons ici les textes des Questions/Réponses qui abordent ce sujet sur Le Porteur de Savoir

*

13 – Que désigne le terme « sirr » en arabe et comment peut-on le traduire en français ?

 

En arabe : c’est la réalité intérieure et profonde, cachée, le secret.

Comment traduire le terme de « sirr », appliqué au domaine initiatique, autrement que par l’expression « secret initiatique », « réalité initiatique intérieure, profonde et cachée » ?

Y a-t-il une réponse à cette question dans l’oeuvre de Guénon ?

L’expérience nous a personnellement fait constater que les correspondances éventuelles entre la terminologie de René Guénon et celle qui est utilisée dans le milieu arabo-islamique, lorsqu’elles ne sont pas immédiates et présentées par l’auteur lui-même, sont rendues possibles dans certains cas, à condition de se poser certaines interrogations fondamentales et d’acquérir l’orientation d’esprit qui convient :

  • Pourquoi Cheikh Abd el-Wâhid prend-il la peine d’évoquer telle ou telle chose ?
  • Quelle peut bien être, s’il tant est qu’elle existe réellement, la correspondance en Islam et dans le Taçawwuf, des notions qu’il évoque ?

Lorsque les correspondances n’ont pas déjà été établies auparavant, on ne peut que constater que si rien ne permet nécessairement d’établir les correspondances en question, rien ne l’interdit non plus a priori formellement chez Guénon ou ailleurs ; c’est bien souvent l’absence de l’état d’esprit dont nous parlons plus haut qui rend les choses impossibles.

Il existe au moins deux endroits dans lesquels Guénon lui-même établit, dans ses livres, la correspondance arabo-islamique :

« (…) au sujet de celui-ci [le terme çûfî], il y a lieu tout d’abord de remarquer ceci : c’est que personne ne peut se dire çûfî, si ce n’est par pure ignorance, car il prouve par là même qu’il ne l’est pas réellement, cette qualité étant nécessairement un « secret » (sirr) entre le véritable çûfî et Allah ; on peut seulement se dire mutaçawwuf, terme qui s’applique à quiconque est entré dans la « voie » initiatique, à quelque degré qu’il soit parvenu ; mais le çûfî, au vrai sens de ce mot, est seulement celui qui a atteint le degré suprême. »

L’Esotérisme islamique, Aperçus sur l’Esotérisme islamique et le Taoïsme

« (…) comme le çufî lui-même n’est marqué par aucune distinction extérieure, cette même désignation sera aussi la seule qu’il pourra prendre ou accepter, non point en vertu de considérations purement humaines comme la prudence ou l’humilité, mais parce que son état spirituel constitue véritablement un secret incommunicable
Note : C’est d’ailleurs là, en arabe, un des sens du mot sirr, « secret », dans l’emploi particulier qu’en fait la terminologie « technique » de l’ésotérisme. »

Rose-croix et rosicruciens, Aperçus sur l’Initiation

Ces données semblent donc particulièrement importantes puisque, sans réellement « définir » (et donc limiter, au sens propre) le « sirr », René Guénon établit néanmoins clairement que la détention du « sirr », dans la terminologie du Taçawwuf, désigne et correspond à l’obtention de la Connaissance Suprême de la Voie.

Cette définition a un certain nombre d’avantages, de natures diverses, dont le premier et le plus important semble être qu’il distingue le sirr de tout ce qui n’est pas de l’ordre de la Connaissance initiatique d’une part, et de l’ordre de la Connaissance la plus haute d’autre part (même si, comme on le sait, Guénon montre qu’il existe d’autres sortes de secrets, de nature plus inférieures, qui peuvent également être véhiculés dans certaines organisations initiatiques, sans comparaison avec ce qui est désigné, de manière absolue, comme le Sirr « par excellence », en quelque sorte).

 


  • Ce n’est donc pas un objet que l’on détiendrait, même si certains objets peuvent offrir dans certains cas une fonction de support pour des influences et des dépôts de natures variées.
  • Ce n’est pas une influence, de quelque nature quelle fût, et il n’est pas donc pas nécessaire de dire que ce que l’on appelle la « voie de tabarruk » serait une voie qui véhiculerait une « barakah-influence » de nature inférieure parce que l’on pense que le sirr serait une « énergie supérieure » ou une sorte de « super-barakah ». (notons, tout à fait secondairement et au passage, que cette dernière conception me semble poser un certain problème de Tawhîd, si l’on se demande qu’elle serait l’origine de l’ »influence inférieure » en question, qui serait véhiculée, selon cette conception, dans les « voies de tabarruk » …)
  • Ce n’est pas quelque chose d’ordre magique.
  • Ce n’est pas un symbole, même si l’on peut penser que l’utilisation de symbole peut être lié, d’assez près, dans certains cas au moins, à ce que l’on appelle la « transmission du sirr » ainsi qu’à l’enseignement afférant, c’est-à-dire l’enseignement initiatique effectif.
  • Ce n’est surtout pas quelque chose qui laisse place à la passivité, la connaissance initiatique effective impliquant pour Guénon une activité intérieure incompatible avec toute forme de passivité.

On peut également dire enfin, que ce que nous avons appelé le « sirr par excellence » référant à la Connaissance la plus haute, peut être, en ce sens, qualifié d’unique, comme L’est son Objet ; « et-Tawhîd wâhid » dit en effet l’adage.

Mais ceci n’exclut nullement d’ailleurs que cette Connaissance Suprême puisse être partagée. Cette dernière remarque permettrait de « résoudre » les problématiques relatives à la revendication d’une détention exclusive du Sirr, mais dont l’exclusivité ne tiendrait ainsi en réalité qu’au fait que la revendication en question exclurait uniquement tous ceux qui n’auraient pas atteint le même degré unique de Connaissance Suprême, et non pas ceux qui, ayant réalisé celui-ci, simultanément ou successivement, le partageraient, aussi librement que ceux qui baignent dans la Lumière la partagent également, sans aucune sorte de préjudice ni de rivalité. Seuls les champions de la rivalité et ceux qui conçoivent l’universel à l’aune de leur seul mental peuvent croire détenir l’exclusivité de l’Unicité : on ne peut donc qu’être extrêmement méfiant en entendant de telles sornettes !

*

7 – Comment René Guénon parle-t-il du « secret initiatique » dans son oeuvre publique ?

Voici quelques passages qui concernent la nature du « secret initiatique » par René Guénon.

« le « véritable secret initiatique (…) est tel par la nature des choses, et  (…) par conséquent ne saurait jamais être trahi en aucune façon, étant d’ordre purement intérieur et, comme nous l’avons déjà dit, résidant proprement dans l’ « incommunicable ». »

Chapitre « Du secret initiatique », in  Aperçus sur l’Initiation.

« … un secret quelconque autre que le secret proprement initiatique a toujours un caractère conventionnel : nous voulons dire par là qu’il n’est tel qu’en vertu d’une convention plus ou moins expresse, et non par la nature des choses. Au contraire, le secret initiatique est tel parce qu’il ne peut pas ne pas l’être, puisqu’il consiste exclusivement dans l’ « inexprimable », lequel, par la suite, est nécessairement aussi l’« incommunicable ».

Aperçus sur l’Initiation, (Fin de chapitre précédent) chap. «  Du secret initiatique »

(… alors que tout secret d’ordre extérieur peut toujours être trahi, le secret initiatique seul ne peut jamais l’être en aucune façon, puisque, en lui-même et en quelque sorte par définition, il est inaccessible aux profanes et ne saurait être pénétré par eux, sa connaissance ne pouvant être que la conséquence de l’initiation en elle-même. En effet, ce secret est de nature telle que les mots ne peuvent l’exprimer. (…) A proprement parler, ce qui est transmis par l’initiation n’est pas le secret lui-même, puisqu’il est incommunicable, mais l’influence spirituelle qui a les rites pour véhicule, et qui rend possible le travail initiatique intérieur au moyen duquel, en prenant les symboles comme base et comme support, chacun atteindra ce secret et le pénétrera plus ou moins complètement, plus ou moins profondément, selon la mesure de ses propres possibilités de compréhension et de réalisation.»

Aperçus sur l’Initiation, chap. « Du secret initiatique » [Guénon renvoie dans une note à lecture chapitre XII du Règne de la Quantité]

(le secret initiatique est) « quelque chose qu’il n’est au pouvoir de personne, quand bien même il le voudrait, de dévoiler et de communiquer à autrui. »

Aperçus sur l’Initiation, chap. « Du secret initiatique »

« Nous arrivons à dégager encore une autre conséquence de la nature du secret initiatique : il peut arriver en fait, que, outre ce secret qui lui seul est essentiel, une organisation initiatique possède aussi secondairement, et sans perdre aucunement pour cela son caractère propre, d’autres secrets qui ne sont pas du même ordre, mais d’un ordre plus ou moins extérieur et contingent ; ce sont ces secrets purement accessoires qui, étant forcément les seuls apparents aux yeux de l’observateur du dehors, seront susceptibles de donner lieu à diverses confusions. »

(…)

« Les secrets auxquels nous faisons allusion ici sont, plus spécialement, ceux qui concernent les sciences et les arts traditionnels (…) »

(…)

Dans cette même catégorie de secrets accessoires et non essentiels, on doit ranger aussi un autre genre de secret qui existe très généralement dans les organisations initiatiques, et qui est celui qui occasionne le plus communément , chez les profanes, cette méprise sur laquelle nous avons précédemment appelé l’attention : ce secret est celui qui porte, soit sur l’ensemble des rites et des symboles en usage dans une telle organisation, soit, plus particulièrement encore, et aussi d’une manière plus stricte d’ordinaire, sur certains mots et certains signes employés par elle comme « moyens de reconnaissance », pour permettre à ses membres de se distinguer des profanes. (…) aussi doit-on insister sur ceci, que non seulement ce secret ne peut en aucune façon être confondu avec le véritable secret initiatique, sauf de ceux qui n’ont pas la moindre idée de la nature de celui-ci, mais que même il n’a rien d’essentiel, si bien que sa présence ou son absence ne saurait être invoquée pour définir une organisation comme possédant un caractère initiatique ou comme en étant dépourvue. »

Aperçus sur l’Initiation, chap. «  Du secret initiatique »

(L’idée) «  de « silence » doit être rapportée ici aux choses qui, en raison  de leur nature même, sont inexprimables, tout au moins directement et par le langage ordinaire ; une des fonctions générales du symbolisme est effectivement de suggérer l’inexprimable, de la faire pressentir, ou mieux « assentir », par les transpositions qu’il permet d’effectuer d’un ordre à un autre, de l’inférieur au supérieur, de ce qui est le plus immédiatement saisissable à ce qui ne l’est que beaucoup plus difficilement ; »

Extraits du chapitre « Mythes, mystères et symboles », in Aperçus sur l’Initiation » de René Guénon.

« L’enseignement concernant l’inexprimable ne peut évidemment que le suggérer à l’aide d’images appropriées, qui seront comme les supports de la contemplation ; d’après ce que nous avons expliqué, cela revient à dire qu’un tel enseignement prend nécessairement la forme symbolique. »

Aperçus sur l’Initiation, « Mythes, mystères et symboles »

A propos de la transmission de ce qui est inexprimable :

« (…) le symbole, pour qui parviendra à pénétrer sa signification profonde, pourra faire concevoir incomparablement plus que tout ce qu’il est possible d’exprimer directement ; aussi est-il le seul moyen de transmettre, autant qu’il se peut, tout cet inexprimable qui constitue le domaine propre de l’initiation, ou plutôt, pour parler plus rigoureusement, de déposer les conceptions de cet ordre en germe dans l’intellect de l’initié, qui devra ensuite les faire passer de la puissance à l’acte, des développer et les élaborer par son travail personnel, car nul ne peut rien faire de plus que de l’y préparer en lui traçant, par des formules appropriées, le plan qu’il aura par la suite à réaliser en lui-même pour parvenir à la possession effective de l’initiation qu’il n’a reçue de l’extérieur que virtuellement. »

Extraits du chapitre « De l’enseignement initiatique », in Aperçus sur   l’Initiation » de René Guénon.

*

En résumé, on peut retenir, que pour René Guénon :


  • Le « secret initiatique » désigne la Connaissance Suprême
  • Le « secret initiatique » correspond à ce qui est désigné par le « sirr » dans le Taçawwuf
  • Le secret initiatique est inexprimable, incommunicable
  • Le secret initiatique n’est accessible que par la connaissance effective, conséquence de l’initiation
  • L’accès effectif au secret initiatique peut être gradué, comme l’est la connaissance initiatique ; il est la conséquence d’un processus actif et personnel, comme l’est la connaissance initiatique
  • L’initiation ne se fait pas par la transmission du secret initiatique, mais par celle de l’influence spirituelle (barakah)
  • Le secret initiatique est théoriquement accessible à chacun, par la réalisation initiatique, c’est-à-dire la connaissance effective
  • Le secret initiatique ne peut être dévoilé
  • Il peut exister des secrets secondaires (concernant les sciences, les arts traditionnels et les signes de reconnaissance) qui n’ont rien de commun avec la nature du secret initiatique le plus intérieur
  • Le symbolisme est susceptible de suggérer de qui est de l’ordre du secret initiatique
  • Le secret étant par nature incommunicable, il est intransmissible en tant que tel, mais peut être faire l’objet d’un dépôt en mode virtuel « dans l’intellect de l’initié », qui devra faire le Travail personnel nécessaire pour accéder à une connaissance effective (cf. question 8)

*

8 – Comment René Guénon envisage-t-il la « transmission » du Sirr – secret initiatique ?

  • Dans le premier cas, le Maître détenteur du « Sirr-Connaissance Suprême » reconnaît en tel ou tel éventuel successeur parmi ses disciples, une Connaissance équivalente à la sienne : la « transmission » du Sirr ne résout alors extérieurement à la simple transmission d’un idhn, celui de mettre en œuvre la fonction de Maîtrise spirituelle au sein de la Tarîqah après lui, à partir de la Connaissance ainsi reconnue.
  • Dans le deuxième cas, le Maître constate que personne n’est actuellement détenteur d’un degré de Connaissance égal au sein, mais qu’il existe au moins quelqu’un qui détient en lui les possibilités virtuelles pour accéder à une telle Connaissance : il peut ainsi « déposer dans l’intellect de l’initié » un symbole qui permettra à celui-ci d’accéder à la connaissance effective selon le mode connu et exposé par Guénon ; ce dépôt est parfois accompagné de l’annonce d’une date future, d’une condition ou d’un évènement particuliers.
  • Dans le troisième cas, le Maître ne trouve personne détenant les qualifications précédentes. Il peut annoncer les conditions nécessaires au renouvellement de l’actualisation du Sirr ou indiquer dans quelle autre tarîqah il peut être trouvé.

On peut comprendre plus facilement que la survenue de certains « accidents » relatifs à ce qui apparaît extérieurement comme la transmission du Sirr ne soient donc ainsi que des situations dans lesquelles les dispositions précédentes ne seraient pas respectées, par exemple quand quelqu’un recevrait un symbole en question sans posséder en lui les possibilités virtuelles d’en développer la connaissance effective.
Mais est-il réellement étonnant que, dans une Voie dont le but unique est la Connaissance pure, de tels évènements puissent facilement trouver une explication grâce à l’usage de considérations ayant uniquement rapport avec la Connaissance ?

*

Olivier Courmes

18 juillet 2015 – V2



*

Memento sur le secret initiatique (sirr) chez René Guénon

Ce qu’il n’est pas …

  • Ce n’est pas un objet que l’on détiendrait, même si certains objets peuvent offrir dans certains cas une fonction de support pour des influences et des dépôts de natures variées.
  • Ce n’est pas une influence, de quelque nature quelle fût, et il n’est pas donc pas nécessaire de dire que ce que l’on appelle la « voie de tabarruk » serait une voie qui véhiculerait une « barakah-influence » de nature inférieure parce que l’on pense que le sirr serait une « énergie supérieure » ou une sorte de « super-barakah ». (notons, tout à fait secondairement et au passage, que cette dernière conception me semble poser un certain problème de Tawhîd, si l’on se demande qu’elle serait l’origine de l’ »influence inférieure » en question, qui serait véhiculée, selon cette conception, dans les « voies de tabarruk » …)
  • Ce n’est pas quelque chose d’ordre magique.
  • Ce n’est pas un symbole, même si l’on peut penser que l’utilisation de symbole peut être lié, d’assez près, dans certains cas au moins, à ce que l’on appelle la « transmission du sirr » ainsi qu’à l’enseignement afférant, c’est-à-dire l’enseignement initiatique effectif.
  • Ce n’est surtout pas quelque chose qui laisse place à la passivité, la connaissance initiatique effective impliquant pour Guénon une activité intérieure incompatible avec toute forme de passivité.

… et « ce qu’il est »

  • Le « secret initiatique » désigne la Connaissance Suprême
  • Le « secret initiatique » correspond à ce qui est désigné par le « sirr » dans le Taçawwuf
  • Le secret initiatique est inexprimable, incommunicable
  • Le secret initiatique n’est accessible que par la connaissance effective, conséquence de l’initiation
  • L’accès effectif au secret initiatique peut être gradué, comme l’est la connaissance initiatique ; il est la conséquence d’un processus actif et personnel, comme l’est la connaissance initiatique
  • L’initiation ne se fait pas par la transmission du secret initiatique, mais par celle de l’influence spirituelle (barakah)
  • Le secret initiatique est théoriquement accessible à chacun, par la réalisation initiatique, c’est-à-dire la connaissance effective
  • Le secret initiatique ne peut être dévoilé
  • Il peut exister des secrets secondaires (concernant les sciences, les arts traditionnels et les signes de reconnaissance) qui n’ont rien de commun avec la nature du secret initiatique le plus intérieur
  • Le symbolisme est susceptible de suggérer de qui est de l’ordre du secret initiatique
  • Le secret étant par nature incommunicable, il est intransmissible en tant que tel, mais peut être faire l’objet d’un dépôt en mode virtuel « dans l’intellect de l’initié », qui devra faire le Travail personnel nécessaire pour accéder à une connaissance effective (cf. question 8)


 

*

ARTICLES THÉMATIQUES correspondants

MAITRE SPIRITUEL ET ENSEIGNEMENT

GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)

par le 14 juillet 2015, mis à jour le 26 septembre 2015

Mots clés : , ,