Bay’ (vente) et bay’ah (pacte initiatique) – M.A.S.

بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

«Allah a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis 1. Ils combattent dans le chemin d’Allah : ils tuent et sont tués. C’est une promesse qu’Il a souscrite en vérité dans la Thorah, l’Évangile et le Coran. Qui donc tient mieux son engagement qu’Allah ? 2 Réjouissez-vous donc de l’échange que vous avez fait : c’est là la victoire suprême [réservée à] ceux qui se repentent, qui adorent, qui louent, qui parcourent la terre, qui s’inclinent, qui se prosternent, qui ordonnent le bien et interdisent le blâmable et qui observent les limites [tracées] par Allah … et annonce la bonne nouvelle aux croyants. » 3

Pour des raisons qui nous semblent multiples et sur le détail desquelles il y aurait peut être lieu de s’arrêter un jour, in châ Allah, afin de mieux les mettre en évidence, il semble que la connaissance des conditions générales de réalisation de ce qu’il est convenu d’appeler bay’ah pour désigner le pacte initiatique dans la Voie (conclu entre un Maître et celui qui devient ainsi son disciple) fasse défaut, plus souvent qu’il n’y paraît, non seulement aux disciples eux-mêmes mais aussi à certains de leurs maîtres. Souvent conçue ou présentée de fait comme le premier acte nécessaire de la Voie, la bay’ah est pourtant, comme tout contrat islamique régulier, soumise à un certain nombre de conditions dont la réalisation ou l’absence de réalisation influe d’une manière ou d’une autre sur sa validité et donc sur ce qui pourra, ou pas, être envisagé régulièrement par la suite par chacun de ceux que l’on peut ici appeler volontairement des contractants.

Dans cette optique, nous présentons donc quelques rappels 4 concernant les conditions générales des ventes (buyu’) en considération de la parenté sémantique évidente qui relie la désignation de ces deux pratiques et des comparaisons ou correspondances que leur examen nous semble susceptible de pouvoir générer dans l’esprit de certains de ceux qui pensent que la bay’ah, parce qu’elle concerne le domaine spirituel, n’est soumise à aucune règle, aucune condition ni aucune prescription que ce soit : « … dans tout ce qui se rapporte à l’initiation, il n’y a en réalité rien de vague ni de nébuleux, mais au contraire des choses très précises et très « positives » » 5 ;  » L’initiation, en effet, n’est pas comme les réalisations mystiques, quelque chose qui tombe d’au-delà des nuages, si l’on peut dire, sans qu’on sache comment ni pourquoi ; elle repose au contraire sur des lois scientifiques positives et sur des règles techniques rigoureuses ; on ne saurait trop insister là-dessus, chaque fois que l’occasion s’en présente, pour écarter toute possibilité de malentendu sur sa véritable nature » 6.

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Introduction

(…) Buyû’ est le pluriel de Bay’ qui est le nom d’action (Masdar) du verbe Bâ’/Yabî’ (vendre). Les noms d’action ne sont généralement pas employés sous leur forme pluriel, mais c’est le cas ici pour montrer la multiplicité des formes et leurs différences. Dans la langue arabe, le terme désigne le fait de prendre et de donner une chose, et il est dérivé du terme Bâ’ qui désigne la main qui se tend soit pour conclure l’accord, soit pour prendre le prix de la marchandise, soit pour saisir cette dernière. Et dans la terminologie religieuse, le terme désigne l’échange de biens pour la prise de possession d’une chose par tout ce qui indique cet accord, qu’il s’agisse de paroles ou d’actes, et les transactions commerciales sont permises par les quatre fondements : 1) Allah –subhâna-Hu wa ta’âlâ– dit : « Allah a autorisé le commerce » 7 ; 2) le Prophète (.) a dit : « Le vendeur et l’acquéreur gardent une option [d’annulation] tant qu’ils ne se sont pas séparés. » 8 ; les musulmans sont unanimes sur sa permission ; 4) l’analogie (Al-Qiyâs) l’implique, puisque la nécessité le rend nécessaire, et qu’on ne peut généralement acquérir ce qu’autrui possède que par ce biais.

Les ventes sont conclues par une offre (Ijâb) du vendeur, en disant par exemple : je te vends une telle chose, et un accord (Qabûl) de l’acheteur, en disant par exemple : j’accepte, ou autre. Shaykh Al-Islâm Ibn Taymiyyah a dit : « Les ventes sont conclues par toute parole ou acte que les gens considèrent comme une vente car Allah ne nous a pas imposé des termes spécifiques, mais le but est uniquement d’indiquer ce sens, ainsi par quelque terme qui porte ce sens, la vente est conclue. » Pour chaque peuple, la vente est conclue par les formes qu’ils comprennent être des ventes, et il n’y pas en cela de limite permanente, ni dans la législation ni dans la langue, mais les expressions des gens sont aussi variées que leurs langues. (…)

Pour ce qui est des transactions et ventes illicites, elles reposent sur l’injustice causée aux deux parties ou à l’une d’entre elles ; et cela repose sur trois principes : 1) l’usure (Ar-Ribâ) ; 2) la vente aléatoire (Al-Gharâr) et de ce qui comporte une inconnue (Jahâlah) ; 3) la ruse (Al-Khida’) et la tromperie (Al-Taghrîr). Ce sont les fondements des ventes illicites sous lesquels entrent de très nombreuses formes, parmi les ventes et règles que l’islam a déclarées illicites. La Législation a détaillé les règles des transactions et situations individuelles, les crimes et les peines, ce qui montre que l’islam est à la fois une religion et un état ; ainsi de la même manière qu’il désigne les adorations entre le serviteur et son Seigneur, il organise également ses actes dans sa vie d’ici-bas. L’islam n’a pas laissé une chose convenant à cette société sans l’avoir organisé de la meilleure façon : « Qui est meilleur législateur qu’Allah, pour des gens qui ont une foi ferme ? » 9

Conditions et pratiques

Introduction : Shurût (conditions) est le pluriel de Chart qui désigne ce dont l’absence entraîne la nullité, et dont l’existence n’entraîne pas nécessairement la validité10. La vente (Al-Bay’) est un contrat comme un autre qui n’est valide que par le respect de ses conditions et l’absence de tout obstacle [à la validité de la vente], et sans quoi on ne peut considérer cela comme un contrat de vente valable. Nous résumerons ce que les jurisconsultes ont considéré comme étant une condition de validité de la vente en les points suivants :

  1. L’agrément des deux parties, la vente d’une personne contrainte sans droit n’est donc pas valide. Shaykh Sa’dî a dit : « L’agrément est un fondement établi pas le Coran, la Sunna et l’unanimité des savants, et c’est ce qu’impliquent la justice et l’équité. »
  2. L’aptitude des contractants, que sont le vendeur et l’acheteur, auxquels il doit être permis de procéder à des transactions, et qui doivent être religieusement responsables et doués de raison.
  3. L’objet du contrat doit être d’usage licite.
  4. Le vendeur doit posséder l’objet du contrat, ou doit être commissionné par son propriétaire.
  5. L’objet du contrat doit pouvoir être livré.
  6. L’objet du contrat et son prix doivent être connus du vendeur et de l’acheteur, ainsi la vente n’est pas valide si l’une des deux choses est inconnue.

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Quels sont les éléments, parmi ces données, qui peuvent être transposables à la bay’ah ?

6 juillet 2015 – V7

  • La nécessité d’un agrément bipartite et l’absence de toute forme de contrainte, sous peine d’invalidité : de même que la vente forcée est illicite, on ne rattache pas quelqu’un malgré lui : en aucun cas on ne peut « forcer la main » régulièrement à quelqu’un pour le rattacher, surtout si une dimension personnelle est en jeu, comme c’est le cas dans une bay’ah (ou ‘ahd, pacte initiatique)
  • La notion que le contrat est directement lié à l’usage de la main « qui se tend soit pour conclure l’accord, soit pour prendre le prix de la marchandise, soit pour saisir cette dernière. » En aucun cas on ne peut « forcer la main » régulièrement à quelqu’un pour le rattacher, surtout si une dimension personnelle est en jeu, comme c’est le cas dans une bay’ah (ou ‘ahd, pacte initiatique)
  • L’existence d’une offre (îjâb) et d’un accord (qabûl), ou plutôt pourrait-on dire une acceptation dont les formulations, si elles peuvent varier selon le milieu, se doivent en tout cas d’être explicites et intelligibles.
  • La notion que le vendeur doit posséder effectivement l’objet de la vente : s’agissant d’un Cheikh on parlera en effet de maitrise dans la Connaissance divine et de ce qui en dépend.
  • La notion que le contrat est réputé illicite s’il implique une injustice « causée aux deux parties ou à l’une d’entre elles » ; en plus de la ruse et de la tromperie, on pourra retenir le caractère invalidant d’un élément aléatoire impliquant une inconnue.
  • L’existence de conditions, terme désignant « ce dont l’absence entraîne la nullité, et dont l’existence n’entraîne pas nécessairement la validité ». On peut distinguer celles qui concernent les contractants (agrément des deux parties et aptitude) de celles qui concernent l’objet du contrat, celui-ci devant être licite, possédé par son propriétaire, livrable, connu des intéressés.

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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant

MAITRE SPIRITUEL ET ENSEIGNEMENT

  1. Alors qu’il peut sembler difficile de comprendre qu’il existe nécessairement une forme de réciprocité entre tous les intervenants de ce qui est désigné par le terme bay’ah ou ‘ahd dans le Taçawwuf, notons qu’elle est ici évidente entre les croyants et Allah subhâna-Hu wa ta’âlâ, sans que cela affecte en aucune mesure la ‘aqîdah puisque l’affirmation est celle d’Allah Lui-même, subhâna-Hu wa ta’âlâ []
  2. Cf. la note précédente []
  3. Sourate. 9,  v. 111-112, premier verset du Hizb el-Kabîr châdhilî []
  4. Extraits de la traduction commentée du Bulûgh el-marâm d’el-‘Asqalani []
  5. Aperçus sur l’Initiation []
  6. Aperçus sur l’Initiation, Des rites initiatiques, p. 111 []
  7. Sourate Al-Baqarah, V. 275. []
  8. Al-Bukhârî (2079) et Muslim (1535). []
  9. Sourate Al-Mâ’idah), v. 50. []
  10. NdT : par exemple, la purification est une condition de validité de la prière, mais le fait d’être en état de pureté n’implique pas nécessairement que la prière soit valide. []

par le 6 février 2013, mis à jour le 10 juillet 2015

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