Cheikh Mahmûd Abû Iliyâne et sa vision du taçawwuf : « un lien entre Ciel et Terre » (Revue Al-‘Amal)

بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله

والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

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L’article anonyme dont nous présentons ci-dessous la traduction est extrait du numéro de rajab 1350 (1950) d’Al-‘Amal (Le Travail ou L’Oeuvre),  revue de la ‘Achîrah Mohammediyyah qui deviendra ensuite Al-Muslim. Publié à l’occasion du dhikr annuel du Cheikh Abû Iliyâne, ce texte donne un aperçu remarquable sur la conception du taçawwuf de ce dernier, conception dont on soulignera à la fois l’ élévation et l’universalité.

Cette vision du taçawwuf préfigure celle véhiculée plus tard par le Cheikh Zakî Al-Dîn 1 , notamment dans ses Pactes mineurs, au début desquels il déclare :

« il a définitivement été confirmé […] que la formation spirituelle, islamique et globale constitue le seul moyen effectif pour éveiller l’énergie des individus, sauver l’humanité égarée et la diriger vers la transcendance naturelle en vertu de sa principale mission divine, tout en la protégeant contre le détournement et le désarroi. En effet, cette formation constitue un fondement essentiel pour réaliser la réforme individuelle, collective, religieuse, politique, comportementale (khulûqî) et psychologique, tout ce qui s’y attache, tout ce qui en résulte, qu’elle soit générale ou particulière, que les gens apprécient cette réforme ou la déprécient. Toute diminution est considérée comme une désorientation et un recul. […] La différence entre l’homme et l’animal réside dans la compréhension de la mission de la vie et le travail pour réaliser les nobles objectifs : «Je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent » . »

M.L.B.

3ème jeudi de Rajab 1435

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jed al ashira

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« L’ancêtre de la ‘Achirah [Mohammediyyah] : L’imam [Mahmûd] Abû Iliyâne Al-Châdhilî »

 

A l’aube (fajr) du jeudi 9 de rajab 1256 (1840) naquit le Pôle, le Chérif, l’adorateur, le combattant, pour qui on demande le pardon, le Seyyid Mahmud Abû Iliyâne Al-Châdhilî Al-Mohammedî – que l’Agrément d’Allah soit sur lui ! – celui qui posa la première pierre dans la construction de la Achîrah Mohammediyyah, intégrant la spiritualité (al-madhhab ar-rûhî) dans les différents domaines de l’activité humaine, éduquant les hommes selon la liberté intellectuelle (al-huriyyah al-‘aqliyyah) et la pure seigneurie (ar-rabbaniyyah an-naqiyyah), se consacrant à la purification des âmes de groupes et d’individus innombrables.

Ainsi était-il : il ne voyait pas le taçawwuf comme un métier dont on retire sa subsistance pour vivre, il ne voyait pas le taçawwuf comme un monachisme et un [appel] à la paresse, ni au relâchement ou à la bêtise, il ne le voyait pas comme une prétention vide de sens, ni comme un moyen d’ostentation ou pour être renommé ; il voyait le taçawwuf comme la Vie de la vie (Hayâtu-l-hayâh) et l’Esprit de l’Existence (Rûh al-Wujûd2 car il est l’élément essentiel opérant (al-‘unçûr al-fa’’âl) dans ce tout qui se déroule « sous nos yeux » ou ce qui anime les organes [corporels] ou ce qui survient dans le cœur. Il voyait le taçawwuf comme un lien (çilah) entre Ciel et Terre dont la rupture entraîne la perte du soutien d’Allah (madadi-Llah) – Exalté soit-Il – et sans lequel l’humanité est renvoyée, déchue, à l’état sauvage, fermée à l’influence des Principes célestes (al-Ma’ânî-s-sâmiyyah), privée des parfums du Jardin (du Paradis) et de l’ombre de l’Eternité escomptée 3 .

Il voyait le taçawwuf comme le vecteur de la préservation du caractère [du point de vue moral et spirituel] (al-‘amân al-khuluqî), de la vie communautaire (al-ijtimâ’î) et du dogme (al-i’tiqâdî) ; car le mutaçawwif, s’il est vaincu par son âme (nafs) ou par son démon (shaytân), son taçawwuf devient alors un obstacle pour lui mais sans pour autant le faire chuter dans l’Abîme (l’Enfer) (hâwiyah) et en cela sont égaux le commerçant, le fonctionnaire, le médecin, l’ingénieur, l’ouvrier, le paysan, etc. Ainsi il ne résulte du taçawwuf que le pur bien car si le çûfî n’atteint pas le degré où il manifeste le bien (fayd bi-l-khayr), aucun mal ne surviendra cependant de son côté.

De ce fait, le taçawwuf sain (salîm) apparaît comme un pilier fondamental de la vie humaine dont ne peut se passer celui qui recherche une vie heureuse dans ce monde ni celui qui recherche une religion droite.

Après avoir accompli sa mission – qu’Allah soit Satisfait de lui, il rejoignit son Seigneur, apaisé, le jour et l’heure même de sa naissance, à l’aube du jeudi 19 du mois de Rajab 1326 (1908) et fût enterré dans son tombeau à la Maison mohammédienne [à Qaytbay au Caire].

Anonyme

Notes du traducteur

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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant :

GÉNÉRALITÉS SUR LE TASAWWUF

CHEIKH MOHAMMED ZAKÎ AL-DÎN IBRÂHÎM ET LA TARÎQAH MOHAMMEDIYYAH CHÂDHILIYYAH 

 

  1. On peut d’ailleurs se demander si l’auteur anonyme de l’article traduit ici ne serait pas en réalité le Cheikh Zakî Al-Dîn lui-même. []
  2. On notera qu’il s’agit ici de deux qualificatifs qui sont aussi appliqués traditionnellement au Prophète Mohammed ﷺ . []
  3. Toute cette phrase peut être mise en rapport avec ce que René Guénon dit de la fonction de Médiateur dans son ouvrage La Grande Triade, en s’appuyant principalement sur la tradition extrême-orientale. Voir aussi, en rapport avec notre précédente note sur les qualificatifs partagés par le taçawwuf et le Prophète ﷺ , le passage suivant de la çalat al-Machîchiyyah : « il n’y a pas de chose qui ne dépende de lui, car sans le Médiateur, tout ce qui dépend de lui – comme on l’a dit – disparaîtrait » []

par le 15 mai 2014, mis à jour le 5 octobre 2016

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