Le Cheikh Ussâmah As-Seyyid Al-Azharî rend hommage au Cheikh ‘Abd el-Wâhid Yahyâ (René Guénon) …

… à l’occasion  de la commémoration de sa disparition (2014/1435)

basmalah hamdalah MZI

والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

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En formulant nos récentes remarques sur la date de commémoration habituellement retenue de la disparition du Cheikh ‘Abd el-Wâhid Yahyâ – René Guénon, nous n’avions pas songé que cette année la date du 7 janvier coïncidait pour la première fois depuis plus de trente ans avec le mois de la naissance du seigneur des Prophètes  ﷺ. A cette date correspond de plus celle retenue par les chrétiens coptes d’Égypte pour la fête de Noël.

Nous devons au Cheikh Ussâmah As-Seyyid Al-Azharî, éminent membre d’Al-Azhar et habitué des assemblées de la Achirah Mohammediyyah d’avoir attiré notre attention sur ces deux points. En effet, dans une vidéo tournée le 7 janvier dernier (2014) et publiée quelques jours après notre article (cf. infra) , on le voit en compagnie notamment de Sidî Cheikh Mohammed Mehanna, dans la maison du Cheikh ‘Abd el-Wâhid Yahyâ, rendant hommage à celui-ci en tant que « maître de nos maîtres (cheikh machaykhinâ) » 1 – qu’Allah soit Satisfait d’eux tous, « imam de la guidée (hudâ) » et « héritier mohammedien » .

Le Cheikh Ussâmah souligne à cette occasion le lien particulier qui lie le Prophète Mohammed ﷺ à son prédécesseur direct Seyidnâ ‘Îssâ 2 /Jésus – sur lui la Paix- considéré ici comme la « porte » (bâb) la plus directe vers lui ﷺ et dont la fonction, d’après le texte coranique lui-même, comporte une triple dimension d’Envoyé, de confirmateur et d’annonciateur :

قَالَ عِيسَى ابْنُ مَرْيَمَ يَا بَنِي إِسْرَائِيلَ إِنِّي رَسُولُ اللَّهِ إِلَيْكُمْ مُصَدِّقًا لِمَا بَيْنَ يَدَيَّ مِنَ التَّوْرَاةِ وَمُبَشِّرًا بِرَسُولٍ يَأْتِي مِنْ بَعْدِي اسْمُهُ أَحْمَدُ

‘Îssâ fils de Maryam dit  » Ô fils d’Israël ! Je suis, en vérité, l’Envoyé d’Allah vers vous, confirmateur de ce qui, de la Torah, existait avant moi et et annonciateur d’un envoyé qui viendra après moi et dont le nom sera : Ahmed  » 3 .

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Discours du Cheikh Ussâmah As-Seyyid Al-Azharî

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A ces trois aspects de la fonction de Seyyidnâ ‘Îssâ évoqués par le Cheikh Ussâmah qui se rapportent plus précisément au « temps » proprement dit de sa mission d’Envoyé légiférant  (risâlah) pour les fils d’Israël, on pourrait ajouter aussi la qualité de Sceau de la sainteté (khatm el-wilâyah) générale (‘ammah) que lui reconnaît Ibn ‘Arabî, en rapport avec les événements eschatologiques à venir4 .

Si ce dernier aspect de la fonction de Seyyidnâ ‘Îssâ présente une affinité évidente avec l’enseignement transmis par le Cheikh Abd el-Wâhid Yahyâ-René Guénon, sur l’ « initiation » et les « signes des temps » en particulier, l’occasion nous est donnée de rappeler le lien plus profond qui existe entre cet aspect de la fonction du premier et l’œuvre du second, jadis mis en lumière par le regretté Michel Vâlsan – Cheikh Mostafâ Abd el-‘Azîz. Toujours en nous appuyant sur cet auteur, nous prolongerons notre réflexion en envisageant les rapports existants entre la « Science des lettres » et l’initiation, puis nous conclurons nos remarques en revenant sur quelques tentatives de présentation de l’œuvre de ce dernier dans le monde musulman auxquelles fait écho le discours du Cheikh Ussâmah – qu’Allah le préserve !

 

René Guénon, « héritier mohammédien » ou « ‘îssawî » ?

 

A propos du maître de Guénon,  le « Cheikh chadhilite égyptien ‘Elîch Al-Kebir », M. Vâlsan indiquait :

Celui-ci est l’auteur de la fameuse déclaration cité par René Guénon au chap. III de son Symbolisme de la Croix (1931) : « Si les Chrétiens ont le signe de la Croix les Musulmans en ont la doctrine 5 .

Il ajoutait ensuite :

C’est d’ailleurs surtout à partir de données doctrinales provenant de ce maitre que Guénon écrivit ce livre qui occupe une place centrale dans l’ensemble de son œuvre et qui concerne au plus haut point les modalités occidentales de participation à l’intellectualité traditionnelle. […] Ce livre de Guénon, et à sa suite, tous ceux de son œuvre qui traitent du symbolisme, procèdent de principes caractéristiques des hommes spirituels « ‘îssawîs » […] Ce qualificatif dérive du nom islamique de Jésus et employé en Taçawwuf (par exemple par Ibn Arabî) pour caractériser ceux des Awliyâ’ (sing. walî = « ami de Dieu », saint) dont le type spirituel est l’esprit de Jésus en tant que possibilité contenue par la forme mohammedienne générale » 6 .

Le même auteur résume ailleurs la doctrine d’ensemble relative à cette conception :

les Prophètes antérieurs mentionnés dans le Coran et les hadiths représentent différents aspects de l’Homme Universel et constituent autant de types spirituels permanents, toujours réalisables en formule mohammedienne. La notion d’ « héritage » mentionnée dans le texte indique la participation fonctionnelle à ces différents types 7 .

Le Cheikh Abd el-Wâhid Yahyâ – René Guénon apparaît ainsi comme un « héritier mohammedien » – a minima du fait de son rattachement au taçawwuf 8  tout en véhiculant un héritage ‘Îssawî déjà existant chez son maître, le Cheikh Abd Al-Rahmân Elich 9 .

 

« Science des lettres » et « initiation« 

 

Cet héritage, toujours d’après Michel Vâlsan :

se rapporte plus particulièrement à la « science des Lettres » ce par quoi il faut entendre avant tout la connaissance du souffle générateur des « lettres » tant du côté divin (Nafas ar-Rahmân = le « Souffle du Tout-Miséricordieux ») que du côté humain10 .

Ibn Arabî indique en effet dans le chapitre des Futuhât sur « La science propre à Jésus »11 que :

la science aïssawie (propre à Jésus) est la science des Lettres (‘ilm al-Hurûf).

Guénon précise dans une note du Symbolisme de la Croix (chap. XVII) :

« la « science des lettres » (ilmul-hurûf), entendue dans son sens supérieur, est la connaissance de toutes choses dans le principe même, en tant qu’essences éternelles ; dans un sens que l’on peut dire moyen, c’est la cosmogonie ; enfin, dans le sens inférieur, c’est la connaissance des vertus des noms et des nombres, en tant qu’ils expriment la nature de chaque être, connaissance permettant d’exercer par leur moyen, en raison de cette correspondance, une action d’ordre « magique » sur les êtres eux-mêmes » 12 .

Dans son article sur « La science des lettres » 13 , Guénon ajoute opportunément :

il faut d’ailleurs distinguer des degrés bien différents, comme dans la connaissance elle-même dont ceci n’est qu’une application et une mise en œuvre : quand cette action s’exerce seulement dans le monde sensible, ce n’est que le degré le plus inférieur, et c’est dans ce cas qu’on peut parler proprement de « magie » ; mais il est facile de concevoir qu’on a affaire à quelque chose d’un tout autre ordre quand il s’agit d’une action ayant une répercussion dans les mondes supérieurs. Dans ce dernier cas on est évidemment dans l’ordre « initiatique » au sens le plus complet de ce mot 14

La mise en œuvre de ces applications de la « Science des lettres » demeure cependant conditionnée par la détention d’une autorisation initiatique sans laquelle l’usage de ces techniques peut se révéler particulièrement dangereux tant sur le plan psychique que physique. Nous ne saurions donc trop mettre en garde ceux qui tenteraient de voir dans les citations reproduites d’Ibn Arabî, René Guénon ou Michel Vâlsan un encouragement à s’engager dans une telle voie sans y avoir été autorisé par un maître dont il se seront assurés de la compétence et de la régularité. Ceci dit, il est facile de voir que peu de maîtres spirituels contemporains ont recours à cette science de manière systématique dans leur méthode et qu’il s’agit en définitive d’un domaine très réservé.

Une certaine prudence est également de rigueur sur le plan spéculatif où :

On peut aussi, dans certains cas, obtenir […] la solution de questions d’ordre doctrinal ; et cette solution se présente parfois sous une forme symbolique des plus remarquables 15 .

A ce titre, si certaines spéculations peuvent être la cause du trouble mental de ceux qui s’y adonnent inconsidérément, une compréhension générale des principes qui régissent cette science et ses applications les plus répandues nous semble par contre présenter un intérêt, du fait principalement que :

 » [la « science des lettres » n’exprime au fond] rien d’autre que le processus même de l’initiation, qui reproduit d’ailleurs rigoureusement le processus cosmogonique, la réalisation totale des possibilités d’un être s’effectuant nécessairement en passant par les mêmes phases que celle de l’Existence universelle »16 .

Si l’on ajoute à cela le fait que le symbolisme « est comme la forme sensible de tout enseignement initiatique », son « langage » en quelque sorte17 , nous pensons qu’il est possible de rattacher assez directement, dans une perspective islamique et sous plusieurs rapports, l’enseignement de René Guénon sur l’initiation à l’héritage spirituel ‘îssawî  mis en évidence par Michel Vâlsan 18 .

A l’occasion de la mort de Guénon, ce dernier soulignait déjà l’importance de l’enseignement de celui-ci sur l’initiation en précisant que son apport « sort du cadre des études simplement théoriques, et entre précisément dans un domaine technique ». Il ne craignit pas d’affirmer à cette occasion :

« que s’il y a maintenant un livre qui est absolument unique et irremplaçable dans son œuvre, et dans le domaine initiatique en général, c’est celui intitulé Aperçus sur l’Initiation qui est justement la synthèse de la première série de ces articles de caractère technique ; la deuxième série fera l’objet d’un volume posthume [Initiation et réalisation spirituelle] » 19.

Dans cette perspective, il soulignera également :

« qu’un tel travail n’a d’équivalent dans aucun autre écrit traditionnel, et ceci dans quelque tradition que ce soit ».

Ce travail unique constitue ainsi en lui-même un « signe des temps » destiné aux hommes « d’intention droite » à qui cette connaissance « technique » des règles de l’initiation manque trop souvent, en cette fin du cycle, en Occident en particulier mais aussi en Orient où le point de vue traditionnel résiste de plus en plus difficilement aux assauts d’une modernité protéiforme et de plus en plus envahissante. Le fait de privilégier l’étude et la mise en œuvre de ces règles sur celle de la « Science des lettres » – à laquelle tant d’études et de traductions ont été consacrées en Occident – devrait, pensons-nous, paraître évident à ceux qui envisagent avec un certain « réalisme » le cheminement spirituel en cette fin de cycle 20 , de manière cohérente avec la part consacrée à chacun de ces domaines par René Guénon lui-même dans son œuvre publiée.

Au sein de la tradition islamique qui nous intéresse plus directement, nous pensons que l’enseignement de cet auteur sur l’initiation, adapté aux temps présents et comportant nombre de réfutations des erreurs modernes sur celle-ci, constitue de ce fait un complément utile, voire nécessaire, aux manuels classiques du sulûk, y compris donc dans le monde musulman.

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La présentation de l’œuvre de Guénon dans le monde musulman

A partir de 1954, le futur recteur d’Al-Azhar, Cheikh Abd Al-Halîm Mahmûd, réédita en Égypte les articles rédigés en arabe par Guénon lui-même pour Al-Ma’rîfah (1931). Il y adjoignit, outre une présentation historique (basée principalement sur les textes de M. Vâlsan), des traductions en arabe de certains passages d’articles sur l’ésotérisme islamique ainsi que des commentaires faisant explicitement référence aux maîtres classiques du taçawwuf 21 .

La méthode employée pour diffuser cet enseignement avait l’avantage, pensons-nous, de lever au moins en partie les difficultés évoquées dès 1953 par Michel Vâlsan, concernant la présentation de l’œuvre de René Guénon en milieu islamique 22 :

La spiritualité en général de l’Islam, aussi bien que celle des Ahlu-l-Haqîqa (les gens de la Vérité essentielle) et du Tasawwuf est restée, dans ses conceptions les plus intimes et dans sa terminologie ainsi que dans ses moyens, sur ses bases prophétiques. Il y a à cela des raisons d’homogénéité entre les influences spirituelles d’un côté, et les modes conceptuels ainsi que les moyens techniques de la voie d’un autre côté, raisons qui tiennent de près à ce qui constitue l’excellence propre de la tradition muhammadienne, tant dans l’ordre exotérique que dans l’ordre initiatique23

Une présentation éventuelle de l’œuvre de René Guénon dans un milieu traditionnel islamique devrait par conséquent se faire avec une référence compétente aux doctrines ésotériques et métaphysiques de l’Islam, tout en tenant compte de ce qu’il y a d’inévitablement délicat pour une exposition des doctrines ésotériques de l’Islam même devant un public qui ne saurait être considéré dans son ensemble capable de comprendre les choses de cet ordre.

A cet égard, il faut remarquer, en outre, que de nos jours les doctrines du Tasawwuf ont elles-mêmes besoin dans les pays islamiques d’une justification intellectuelle renouvelée et adaptée de façon à répondre aux conditions de la mentalité moderne qui s’est étendue de l’Occident à tous les milieux de culture du monde oriental. En dehors de l’esprit exotériste, il faut donc compter maintenant avec l’esprit anti-traditionnel tout court des progressistes de toutes sortes, et surtout avec la présence d’une génération de savants « orientalistes », d’origine orientale, mais de formation et d’inspiration occidentales et profanes24 . Par un curieux retournement des choses, l’enseignement de René Guénon peut faciliter lui-même beaucoup cette justification, car il contient les moyens spéculatifs et dialectiques qui permettent d’y aboutir dans toutes les conditions de mentalité qui ressemblent à celle de l’Occident contemporain ; ce travail de justification intellectuelle se trouve déjà en essence dans les références doctrinales que l’œuvre de René Guénon fait à l’ésotérisme et à la métaphysique islamiques. La présentation de l’œuvre de René Guénon dans un milieu de civilisation islamique, ou orientale d’une façon générale, apparaît ainsi comme une occasion propice pour redresser le prestige de l’intellectualité traditionnelle de l’Orient dans son ensemble ». 25 .

Près de vingt ans plus tard, Michel Vâlsan rapportera une initiative venue cette fois des milieux traditionnels du monde indo-pakistanais à propos duquel il constatait que « le climat spirituel de ces régions asiatiques est beaucoup plus ouvert aux conceptions universalistes de la tradition qu’on ne l’aurait pensé » :

Mohammad Hassan Askarî, Professeur de littérature anglaise à Islamic Collège (Université de Karachi), qui, dans les années précédentes, a publié en anglais un article sur Guénon et sa vie, vient de rédiger en ourdou (langue officielle du Pakistan) deux brochures :

  1. Un répertoire d’environ 200 erreurs que commettent les gens d’esprit moderne à l’égard des doctrines et des réalités traditionnelles ;
  2. Une courte histoire du développement de la mentalité moderne.

L’auteur a présenté l’année dernière ces travaux au Muftî Mohammad Chafî’, Recteur de la Dâru-l-Ulûm de Karachi qui, les trouvant fort bien venus, en a inscrit l’étude dans le programme de l’année universitaire 1968-1969. Pendant les trois mois du dernier automne, le Prof. Mohammad Taqî (le propre fils du Recteur) qui avait reçu la charge de ce développement, a pris les textes respectifs comme base d’un cours, très suivi du reste, qui se continue en 1969. On rapporte de l’enseignement dispensé ainsi la phrase suivante : « L’analyse faite par Guénon montre qu’il est ferme dans la voie du Prophète et de ses compagnons »

Outre ce nouveau témoignage du caractère mohammedien de l’oeuvre de Guénon, on remarque que la nécessité d’une certaine « reformulation » de l’œuvre de Guénon semble avoir été ici nécessaire, malgré un contexte apparemment plus favorable.

On méditera également ce passage de la correspondance de M. Askarî reproduite en une autre occasion par Michel Vâlsan :

« Je me remémore ce que le grand maître soufi du XXe siècle, Mawlana Ashraf Alî Thanvî a dit à ses disciples un jour de 1930 environ : « Telles que je vois les choses, les défenseurs de l’Islam viendront maintenant d’Europe »26 . C’était exactement l’époque à laquelle l’œuvre de Guénon prenait une forme plus complète et qu’il abordait les études sur le Tasawwuf27 .

Cette période charnière dans l’œuvre de Guénon coïncide significativement avec la publication des premiers articles sur l’initiation et celle du Symbolisme de la Croix qui rendra public en même temps son rattachement au taçawwuf , par le biais de la dédicace qui figure en tête de cet ouvrage.

M. Askarî ajoute en conclusion de ce passage :

Je crois fermement que Guénon est le guide intellectuel dont les Musulmans ont spécialement besoin aujourd’hui pour faire face aux tentations et aux provocations de la civilisation moderne, de même que les hommes appartenant à toutes les traditions. » 28

Dans cette perspective, une présentation approfondie de l’œuvre de Guénon à destination du monde musulman, arabophone notamment, et en particulier des ouvrages sur l’initiation reste à faire 29 . Constitué d’extraits de textes et définitions issus de la somme guénonienne accompagnés de commentaires et d’illustrations concordantes puisées dans la littérature du taçawwuf islamique, un tel travail viendrait ainsi compléter très utilement les travaux pionniers que nous avons évoqués ainsi que le récent projet de traduction complète en arabe de l’œuvre du Cheikh Abd el-Wâhid 30 tout en apportant une justification islamique détaillée de la régularité et de l’opportunité du recours, au sein du taçawwuf islamique, « à l’enseignement de celui qui fut et sera la « Boussole infaillible » et la « Cuirasse impénétrable » 31 !

 

Wa bi-Lah et-Tawfîq !

M.L.B.

Nisf Cha’bân 1435 – Rabi’ al-Anwâr 1436

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A lire sur le même sujet :

« Le soufi, le héraut : René – Abd Al-Wâhid Yahyâ » – Cheikh Mohammed Zakî Al-Dîn Ibrâhîm

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Caractéristiques générales de l’œuvre de René Guénon – O.C.

Comment aborder la lecture de l’oeuvre de René Guénon ? – O.C.

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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant

GÉNÉRALITÉS SUR LES RÈGLES DE L’INITIATION

V4 – 1 juillet 2015

  1. Parmi lesquels on peut certainement compter, entre autres, le Cheikh Abd Al-Halîm Mahmûd et le Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm. []
  2. Nous utiliserons cette transcription plutôt que celle de Aïssa y compris dans les citations de Michel Vâlsan ou Ibn ‘Arabî présentée plus loin. []
  3. S. 61, v.6. []
  4. Nous avons déjà dit ailleurs ce que nous pensions de l’étude spéciale et sans contrôle des doctrines eschatologiques, nous nous contenterons donc d’un bref résumé relatif à la fonction finale du Messie : selon la tradition islamique et le Coran en particulier, Seyyidna ‘Îssâ n’a pas été mis à mort sur la Croix mais a été élevé dans les Cieux, dans l’attente de son retour sur terre; c’est à cette notion que renvoie la doctrine des quatre prophètes vivants véhiculée par le taçawwuf, dans sa forme akbarienne en particulier. Lors de sa « descente » à la fin des temps, Seyyidnâ ‘Îssâ se présentera non plus comme un Envoyé légiférant mais comme un Saint suivant la Loi (chari’ah) de Seyyidnâ Mohammed ﷺ pour assister le Mahdî dans son magistère et tuer l’Antéchrist (Dajjâl). Il ouvrira les portes d’un nouvel âge d’or et sera enterré au côté du Prophète Mohammed ﷺ après s’être marié et avoir laissé deux enfants derrière lui  qui, selon certaines traditions, porteront significativement les noms de Mussâ (Moïse) et Mohammed. Sa disparition scellera ainsi le cycle de la sainteté tout entière et précèdera de peu l’avènement de l’Heure  – Sur tout ceci nous renvoyons aux ahadith traduits notamment dans l’ouvrage de A. Penot sur les « Signes de la fin des temps » (Alif). []
  5. Sur le Cheikh al-‘Alâwî, Etudes Traditionnelles, n° 405, Janv.-Fév.1968. p. 29, paru aussi dans le recueil posthume L’Islam et la fonction de René Guénon. []
  6. Ibid.M. Vâlsan ajoutait ensuite que ce qualificatif « n’est nullement à confondre avec celui que portent les membres de la Tarîqa ‘Îsâwâ dont la désignation dérive du nom du Cheikh Ben ‘Îssâ fondateur d’une branche nord-africaine de la Tarîqa Qâdiriyva » []
  7. Note de Michel Vâlsan de sa traduction du chapitre 181 des Futûhât  sur « La vénération des maîtres spirituels » (Études Traditionnelles (n° 372-373). []
  8. La définition du saint mohammédien peut être plus ou moins stricte selon la réalité spirituelle visée par ce terme. Par exemple, on peut trouver, à côté de la conception de ceux pour qui la sainteté mohammedienne est désormais close et pour lesquels ne subsiste au sein du taçawwuf que les catégories de la sainteté islamique régies par les Esprits des Prophètes antérieurs, un emploi de ce qualificatif qui vise plus simplement à mettre en évidence la qualité particulière de celui qui réalise effectivement une part de l’enseignement exotérique ou ésotérique transmis depuis le Prophète Mohammed ﷺ jusqu’à nos jours, tel que cela ressort notamment de la définition du « mohammédien » par le Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm. []
  9. De la même façon, le Cheikh ‘Alawî auquel est consacré l’article de Michel Vâlsan dont sont issues nos précédentes citations peut être considéré à la fois comme un saint mohammedien et un saint aïssawî, voir même mussawî comme on a pu récemment l’envisager en rapport avec les thématiques présentes dans son diwân (E. Geoffroy, Un éblouissement sans fin: La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014). Cet héritage aïssawî est particulièrement remarquable dans son traité sur le Symbole sans pareil de l’Identité Suprême. Cf. également à ce sujet l’ « Introduction à la hiérarchie et aux catégories initiatiques » donnée par Jean Annestay en préambule de l’anthologie des Révélations de la Mecque d’Ibn Arabi, traduite par A. Penot. []
  10. Ibid. []
  11. Trad. M. Vâlsan in Études Traditionnelles, mars-avril, et mai-juin 1971. []
  12. Ce passage se trouve aussi à l’identique dans La Science des lettres, Revue Voile d’Isis, févr. 1931, repris dans Symboles de la Science sacrée, coll. « Tradition », Éditions Gallimard, 1962, ch. VI). []
  13. Ibid. []
  14. On trouve dans le chapitre dans le chapitre des Futûhât sur la « Science de Jésus » certains passages qu’on peut rapprocher des indications de Guénon :  » ‘Îssâ avait reçu le pouvoir d’insufflation de la vie (an-nafkh) qui consiste en cet « air » (hawâ’) qui sort du fond du cœur et qui est esprit de vie (rûh al-hayât). Lorsque le souffle dans son trajet expiratoire vers la bouche du corps, fait des arrêts, on appelle les endroits de ces arrêts « lettres » (hurûf, sing. harf) et là sont manifestées les entités propres aux lettres. Quand celles-ci sont mises en composition paraît la vie sensible dans les idées (al-ma’ânî), et cela constitue la première chose qui de la Dignité divine (al-Hadrah al-ilâhiyyah) fut manifestée pour le monde […] ‘Îssâ reçut la science du Souffle divin qui entre dans cette insufflation et la relation d’origine (nisba) respective  [Allusion au fait que Aïssâ, qui est appelé dans le verset « un Esprit de Dieu » (Rûhun min-Hu) (Cor.4.131), est à Allâh dans le même rapport que l’« Esprit de Dieu » insufflé par Allâh à Adam ; de plus, il a la même vertu, celle de donner la vie, ce qui est toujours exprimé comme venant de l’Autorisation divine – Note de Michel Vâlsan]. il soufflait donc dans la forme qui se trouvait dans un tombeau ou dans la « forme » de l’oiseau qu’il avait faite lui-même de boue, et l’être correspondant à la « forme » en cause se dressait vivant par l’Autorisation divine (al-Idhn al-ilâhî) qui entrait dans cet insufflation et dans cet air. N’était la propagation (sarayân) de l’Autorisation divine dans l’insufflation il n’en serait jamais résulté la vie dans une « forme » quelle qu’elle fût […] Sache que la vie qu’ont les esprits leur appartient de par leur essence même, c’est pourquoi du reste tout être vivant est vivant par son esprit. Le Samaritain (du peuple de Moïse) savait une telle chose ; lorsqu’il aperçut l’Ange Gabriel, comme il savait que l’esprit de l’ange constituait tout son être et que la vie qu’il avait lui appartenait de par son être même, sachant aussi que tout endroit foulé par lui, du fait de sa condition de « représentation sensible » (tamthîl), devenait « vivant » par le vertu du contact avec cette forme sensible (as-sûrah al-mumaththalah), il prit des traces de l’ange une « poignée » de poussière selon ce qu’Allâh a informé en rapportant les paroles du Samaritain : « Et j’ai pris une poignée des traces de l’Envoyé (céleste) » . Quand le veau fut constitué et formé, le Samaritain projeta sur lui de cette poignée et le Veau (animé) mugit. []
  15. Ibid. []
  16. Ibid. – Cette phrase s’applique également à l’Alchimie dont les liens avec la Science des lettres sont très étroits comme le précise Guénon dans le même article. []
  17. Cf. Aperçus sur l’initation, Chap. XXXI et XVII. []
  18. A titre d’illustration de l’affinité relevée ici, on pourra par exemple rapprocher les extraits que nous avons reproduits dans une précédente note  du chapitre des Futûhât sur la Science de Jésus et le passage suivant de Guénon dont nous avons donné par ailleurs un commentaire succinct : « dans la tradition hindoue, le mantra qui a été appris autrement que de la bouche d’un guru autorisé est sans aucun effet, parce qu’il n’est pas « vivifié » par la présence de l’influence spirituelle dont il est uniquement destiné à être le véhicule. Ceci s’étend d’ailleurs, à un degré ou à un autre, à tout ce à quoi est attachée une influence spirituelle […] Il s’agit si bien, en tout ceci, de la communication de quelque chose de « vital », que, dans l’Inde, nul disciple ne peut jamais s’asseoir en face du guru, et cela afin d’éviter que l’action du prâna qui est lié au souffle et à la voix, en s’exerçant trop directement, ne produise un choc trop violent et qui, par suite, pourrait n’être pas sans danger, psychiquement et même physiquement. Cette action est d’autant plus puissante, en effet, que le prâna lui-même, en pareil cas, n’est que le véhicule ou le support subtil de l’influence spirituelle qui se transmet du guru au disciple ; et le guru, dans sa fonction propre, ne doit pas être considéré comme une individualité (celle-ci disparaissant alors véritablement, sauf en tant que simple support), mais uniquement comme le représentant de la tradition même, qu’il incarne en quelque sorte par rapport à son disciple, ce qui constitue bien exactement ce rôle de « transmetteur » dont nous parlions plus haut ». []
  19. On dit d’ailleurs que M. Vâlsan considérait ces textes sur l’initiation comme une « charte » de la Tarîqah à laquelle il appartenait et dont il dirigea une branche indépendante dès la fin de l’année 1950 jusqu’à sa mort. []
  20. Comme nous le faisait remarquer récemment un de nos amis, on peut appliquer dans ce cas notamment la célèbre parole prophétique « Fait partie de l’excellence de l’islam de l’homme qu’il laisse ce qui ne le concerne pas« . []
  21. Cf. le B) de notre introduction à Quelques pages oubliées sur le Cheikh ‘Abd Al-Rahmân ‘Elîch Al-Kabîr et son entourage ; ce travail fut également publié en partie dans la revue Al-Muslim. Un travail complémentaire consistait à présenter aux occidentaux les traités islamiques sur le sujet et à en montrer la concordance et la complémentarité avec les enseignements de Guénon . C’est à cette tâche en particulier que Michel Vâlsan s’est employé le premier, notamment en présentant certaines données « techniques » relatives à l’initiation islamique, son apport à ce sujet et cependant moins connu et relayé que ses travaux plus directement doctrinaux et mériterait une étude à part (cf. par exemple sa traduction de la Parure des Abdal d’Ibn Arabi ainsi que sa traduction (publiée anonymement) d’un extrait du Tanwîr al-qulûb du Cheikh Muhammad Amin Al-Kurdî donnée en annexe à Jean Gouillard, Petite philocalie de la Prière du Cœur (Paris, 1953). []
  22. On notera opportunément que le Cheikh Abd el-Halîm Mahmûd connaissait bien, pour l’avoir partiellement traduit, l’article d’où sont issues ces remarques. []
  23. Note de l’auteur : « Nous aurons à revenir en une autre occasion sur ce dernier point, surtout à l’occasion de la présentation de certains écrits du Cheikh al-Akbar Muhy-d-Dîn Ibn Arabî ». []
  24. Note de l’auteur : « Ce qui est bien significatif à cet égard, c’est que, de nos jours, on fait paraître en Orient des traductions des ouvrages de l’orientalisme européen pour instruire les orientaux sur leurs propres doctrines ! » []
  25. « L’Islam et la fonction de René Guénon » in Etudes Traditionnelles  (1953). []
  26. Les paroles de Mawlana Ashraf Alî Thanvî ne manquent pas d’une certaine concordance avec les initiatives connues, prises précédemment par le groupe d’Abdûl-Hâdi Aguéli avec la bénédiction du Cheikh Abder-Rahmân Elîsh el-Kebîr [Note de Michel Vâlsan]. []
  27. Précisons à cette occasion que Guénon, qui avait été rattaché à la voie ésotérique de l’Islam depuis 1912, s’était aussitôt occupé sérieusement du projet de la Mosquée de Paris, mais « les choses n’ont malheureusement pas abouti avant la guerre » (de 1914). En outre « il devait y avoir une Université islamique… ». Après la guerre, avec l’arrivée de certains personnages, tout dévia et il se désintéressa de ces projets. — On peut remarquer, d’après ce que nous signalons dans ces deux dernières notes, que la position islamique de René Guénon apparaît tout autre qu’un fait personnel privé et sans signification quant à l’orientation intégrale de son œuvre même et de son influence [Note de Michel Vâlsan] []
  28. « Tradition et modernisme dans le monde indo-pakistanais » in Etudes Traditionnelles (mai-août 1970) . []
  29. Il faut mentionner cependant, dans cet ordre, le petit volume du Dr. Zeinab ‘Abd Al-‘Azîz intitulé « Maqâlat min René Guénon – Ach-Cheikh Abd Al-Wâhid Yahyâ » (Dâr Al Ansâr 1996)  qui est constitué de résumés d’articles de Guénon consacré en grande partie à la thématique de l’initiation à côté de textes plus directement lié au taçawwuf. On notera que le chapitre initial de ce travail fût publié dans le premier numéro d’Al-Muslim paru après l’interruption de la revue, en 1995. []
  30. Parmi les volumes dont la publication a été annoncée sur internet mais que nous n’avons pu consulter, citons les Aperçus sur l’initiation (Nadharât fî-t-Tarbiyati-r-rûhiyyah) complété par le volume posthume Initiation et Réalisation spirituelle (At-Tarbiyyah wa-t-Tahqîqu-r-ruhî), le Règne de la Quantité et les Signes des Temps (Haymanah el-Kam wa ‘Alâmati âkhiri-z-Zamân) ainsi que les Symboles de la science sacrée (Rumûz al-‘Ilm al-Muqaddass), le Roi du Monde (Malîk el-‘alâm). La traduction de ces ouvrages est due à Sidî ‘Abd el-Bâqî Meftah. []
  31. Michel Vâlsan, « La fonction de René Guénon et le sort de l’Occident » in Études Traditionnelles (1951 – n° 293-294-295). L’auteur reprend ici deux expressions utilisées par Guénon lui-même dans son ouvrage Orient et Occident à propos de l’élite intellectuelle véritable. On rappellera ici que le Cheikh Mohammed Zakî Al-Dîn Ibrahîm conseillait à ses murîdîn de lire, « après ses propres ouvrages, un certain nombre de livres d’ « autorités soufies salafies » classiques et contemporaines parmi lesquelles, ceux de « Abd el-Wâhid Yahyâ » plus connu en Occident sous le nom de René Guénon« . []

par le 13 juin 2014, mis à jour le 1 juillet 2015

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