Des sens multiples de la ‘Aqîdah

 

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Le terme ‘Aqîdah dérive de la racine trilitère ‘A-QA-DA, qui signifie à la fois nouer (une corde), conclure, contracter (un marché, un pacte), ou encore construire (une voute, un pont).

L’emploi de la forme ’aqada li ou ’aqada ilâ prend également le sens de garantir quelque chose à quelqu’un, acception qui doit être rapprochée de la fonction première de la ‘Aqîdah que nous avons précédemment rappelée.

L’idée essentiellement contenue dans la racine ‘aqada semble donc être le fait de « lier » une chose à une autre. Ce sens originel, éclairé de quelques considérations de René Guénon sur le symbolisme du lien, peut aider à saisir deux aspects fondamentaux de la ‘Aqîda en tant qu’ensemble des principes constitutifs de la foi islamique.

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 V2 – 29 octobre 2012

Guénon nous dit :

« qu’un lien peut être conçu comme ce qui enchaîne ou comme ce qui unit, et, même dans le langage ordinaire, le mot a également ces deux significations ; il y correspond, dans le symbolisme des liens, deux points de vue qu’on pourrait dire inverses l’un de l’autre »

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Selon la première des deux signification que donne Guénon au symbolisme du lien:.

« le plus immédiatement apparent de ces deux points de vue est celui qui fait du lien une entrave, [car] il est en somme celui de l’être manifesté comme tel, en tant qu’il se regarde comme « attaché » à certaines conditions spéciales d’existence et comme enfermé par elles dans les limites de son état contingent »

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Sous ce rapport, et pour reprendre les termes de l’Imam Abû Hamîd el-Ghazâlî, la ‘Aqîdah n’est autre que le lien qui « attache » l’être à l’Islam, car son « adhésion » à la doctrine orthodoxe à travers la profession de foi le fixe parmi  « les gens de la Vérité et de la Sunna (ahl el-Haqq wa ‘açâbat es-Sunna) et le distingue ainsi des gens de l’égarement (dalâl) et de l’innovation (bida’a) ».

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Dans sa dimension exotérique, la ‘Aqîdah remplit donc dans son ordre un rôle analogue à celui de la charî’ah, la loi extérieure, que Guénon symbolise ailleurs par une circonférence dont le centre est la haqîqah 1 .

Il précise dans ce cadre, à propos de cette acception relativement « négative » du lien,  que :.

« pour le plus grand nombre des hommes, qui s’en tiennent inévitablement à la loi extérieure, celle-ci prend un caractère qui est moins celui d’une limite que celui d’un guide : c’est toujours un lien, mais un lien qui les empêche de s’égarer ou de se perdre 2  ; sans cette loi qui les assujettit à parcourir une route déterminée, non seulement ils n’atteindraient pas davantage le centre, mais ils risqueraient de s’en éloigner indéfiniment, tandis que le mouvement circulaire les en maintient tout au moins à une distance constante. Par là, ceux qui ne peuvent contempler directement la lumière en reçoivent du moins un reflet et une participation ; et ils demeurent ainsi rattachés en quelque façon au Principe, alors même qu’ils n’en ont pas et n’en sauraient avoir la conscience effective » 3 .

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Il est maintenant particulièrement intéressant de souligner que, parallèlement aux notions « classiques » présentant la croyance extérieure et littérale aux dogmes comme suffisante pour atteindre le salut dans l’Au-delà, Ghazâlî développe la thèse selon laquelle certains  hommes peuvent :.

« découvrir les vérités profondes, connaitre les choses telles qu’elles sont, et percevoir les mystères que les termes de cette profession de foi traduisent ».

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Cette dimension ésotérique de la ‘Aqîdah correspond précisément à la seconde signification, plus universelle, que donne Guénon au symbolisme du lien :.

« Le lien, envisagé alors dans toute son extension, est ce qui unit [la totalité des états de l’être], non seulement entre eux, mais aussi […] à leur Principe même, de sorte que, bien loin d’être encore une entrave, il devient au contraire le moyen par lequel l’être peut rejoindre effectivement son Principe et la voie même qui le conduit à ce but. » 4 .

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Avant de présenter la façon dont Ghazâlî envisage cette dimension initiatique de la doctrine islamique dans un article spécialement dédié à cette question, disons pour résumer ce qui précède que :.

« la doctrine traditionnelle, quand elle est complète, a, par son essence même, des possibilités réellement illimitées ; elle est donc assez vaste pour comprendre dans son orthodoxie tous les aspects de la vérité, mais elle ne saurait pourtant admettre rien d’autre que ceux-ci, et c’est là précisément ce que signifie ce mot d’orthodoxie, qui n’exclut que l’erreur, mais qui l’exclut d’une façon absolue » 5 .

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Article suivant : La ‘Aqîdah comme point d’appui de la réalisation spirituelle
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  1. Aperçus sur l’Ésotérisme islamique et le Taoïsme, chap. II – l’Écorce et le noyau (El-Qishr wa el-Lobb)  []
  2. On notera ici, comme ce sera le cas à de nombreuses reprises par la suite, la similitude pour le moins frappante entre les termes de l’exposé de l’imam Ghazâlî et celui de Cheikh ‘Abd el-Wahid Guénon. []
  3. Ibidem. []
  4. Symboles de la Science sacrée, chap. LXVIII Liens et nœuds. []
  5. Initiation et Réalisation spirituelle, chap. XVII – Doctrine et méthode. []

par le 28 octobre 2012, mis à jour le 25 décembre 2012