Éloges du Prophète / Sama’ – Le Chant Soufi

Les éditions SINDBAD (Actes Sud) ont eu l’excellente idée de proposer, pour la première fois en français, une anthologie de poèmes consacrés au Prophète Muhammad – çall’Allahu ‘alayhi wa ali-hi wa sallam – réunis, traduits et annotés par Idrîs de Vos1.

On y retrouve les panégyriques classiques tel le bânat su’âd du compagnon Ka’b ibn Zubayr ou de larges extraits de la burdah ou de la hamziyyah d’al-Busîrî – radi’Allahu ‘an-humma. Plus proche de nous, on signalera la traduction du poème en mille vers (alfiyyah) du Cheikh el-Nabbahânî qui résume l’ensemble de la vie du Prophète – çall’Allahu ‘alayhi wa ali-hi wa sallam-ou encore un poème du Cheikh el-Alâwî consacré à la Lumière mohammédienne dont nous ne résistons à reproduire les premiers vers:

 

Bénie sois-tu noble lumière,

Toi qui infus en tout foyer

De ta présence aimée éclaire ;

Tu es, ô divin envoyé,

Une lumière cristalisée

Tu vins, lumière sur lumière,

Le saint Coran nous révéler.

L’huile tu es, le feu, le verre :

Une lumière équilibrée.

Rien n’existait, ni cieux ni terre,

Puis l’univers manifesté

Parut, orné de ta beauté

 

Comme le lecteur aura pu s’en rendre compte, le traducteur a choisi de rendre les extraits proposés en vers rimés. Pari risqué mais réussi selon nous car, même si le procédé ne rendra jamais justice à la beauté des textes originaux, il a le mérite certain de permettre aux lecteurs non-arabisants de percevoir la ferveur et l’émotion qui sont véhiculés par ces poèmes. Nous devons aussi évoquer leur spiritualité profonde, la grande majorité de leur auteurs étant, ainsi que le fait justement remarquer le traducteur dans son introduction, des initiés du taçawwuf et souvent d’éminents Maîtres spirituels. Cela transparaît d’ailleurs bien souvent dans l’usage d’expressions symboliques propres à la doctrine ésotérique islamique.

A ce propos, on ignore souvent l’importance de la poésie en islam et plus généralement chez les arabes or, dans le taçawwuf, celle-ci revêt souvent une importance méthodique considérable : langage allusif par excellence, elle permet « de transmettre, autant qu’il se peut, tout cet inexprimable qui constitue le domaine propre de l’initiation » 2 , de plus, son caractère rythmique engage l’intégralité de l’être dans une « aspiration » vers la Porte suprême (albab al-a’dham 3 ) et par delà lui vers la Présence divine elle-même.

 

Pour ceux qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances à ce sujet, nous signalons  un autre recueil, bilingue cette fois-ci, consacré au Sama’Le Chant Soufi paru aux très qualitatives éditions de La Caravane4 . On y trouvera une longue introduction détaillée dans laquelle le traducteur, M. Chabry, propose notamment une très intéressante mise au point concernant la position de premiers maîtres de la Châdhiliyyah sur le sama’.

Suivent une petite quarantaine de poèmes intégralement traduits issus des recueils des maîtres Ahmad al-Alawî, Adda Bentounès, Mohammed al-Bouzaydî, Abû Madian el-Ghawth ou encore Ibn al-Fârid pour les plus connus.

Notons enfin que cet ouvrage est accompagné d’un cd comportant une dizaine d’enregistrement « bruts » capturés à l’occasion de séances d’invocation ayant eu lieu au Maghreb, essentiellement dans des zawiyâ d’obédience darqawî ou alawî, et qui permettront au lecteur de se faire une idée assez précise, quoi que non exclusive, des applications qui peuvent être faites en islam de cette « science du rythme » maintes fois évoquée par le regretté Cheikh Abd el-Wâhid Yahyâ – René Guénon.

*

V2 – 25 avril 2014

 

  1. Coll. La petite bibliothèque de Sindbad – Juin 2011 []
  2. René Guénon, « De l’enseignement initiatique », in Aperçus sur   l’Initiation. Dans le même ouvrage (Chap. XX) on trouve les précisions suivantes : « la poésie, à ses origines et avant qu’elle n’ait dégénéré en simple « littérature » et en expression d’une pure fantaisie individuelle, était quelque chose de tout différent, dont la notion peut en somme se rattacher directement à celle des mantras » , ce dernier terme étant, selon l’auteur, équivalent à celui de dhikr  (cf. à ce propos la citation sur le dhikr reproduite dans notre compte-rendu de « Autour de l’Islam – Etude de sira » dont les rapports avec le présent article sont évidents). []
  3. Il s’agit d’un des noms ésotériques du Prophète – çall’Allahu ‘alayhi wa ali-hi wa sallam. []
  4. Cugnaux, 2011 []

par le 21 février 2012, mis à jour le 25 avril 2014