Fraternité et Naçîhah dans la Tarîqah Mohammediyah Châdhiliyah – M.A.S.

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Mohammadun rassulu-Llah

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بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

Le présent article inaugure une série de commentaires de certains passages de l’ijâzah de la Tarîqah Mohammediyah Châdhiliyah qui ont pour objectif de faire apparaître à la fois les caractères généraux qui sont communs à toute tarîqah régulière et ce qui caractérise en quelque sorte cette Voie parmi d’autres, in châ Allah. Cette démarche répond, sous un autre rapport, au conseil de Cheikh Zakî ed-Dîn lui-même de relire régulièrement l’ijâzah afin de s’imprégner de son contenu et de le vivifier.

Nous avons choisi de commencer ces études par celle qui concerne un passage de l’ijâzah qui expose et précise ce qui est spécifique de l’esprit et des pratiques de la Tarîqah. Nous le ferons suivre, à titre de commentaire et d’illustration, d’un extrait de l’épitre intitulée « La vie traditionnelle c’est la sincérité » (Ad-dîn en-naçîhah) du Cheikh Tâdilî, traité dont il est rapporté que le Cheikh Mustâfâ Abd el-‘Azîz Vâlsan conseillait la lecture à ses propres disciples 1.

Mohammed Abd ed-Salâm

khadim et-Tarîqah

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La Tarîqah « muhammadienne »

Dans ce contexte magnifique de l’Islam se développe la Da’wah de la Tarîqah muhammadienne, d’une manière souple et transparente comme le jour éternel. Quiconque manque à l’honneur d’en tirer profit subira peut-être une grande perte irréparable et rien ne pourra tenir sa place dans le domaine des services rendus à l’Islam. « Allah seul sait distinguer le meilleur ».

Bien que liée spirituellement à l’Envoyé d’Allah en tant maillon de la chaîne initiatique de la Tarîqah al-Naçiriyyah al-Châdhiliyyah, la Tarîqah muhammadiyyah se distingue également par le fait qu’elle rassemble en son sein -par la grâce d’Allah- des vertus, des bénédictions, des renforts spirituels et de hautes qualités qui appartiennent aux autres grandes confréries initiatiques comme la Khalwatiyyah, la Naqchabandiyyah, la Tijaniyyah, la Qadiriyyah, la Ahmadiyyah et bien d’autres…

Le murîd ou l’initié muhammadien, bien que lié à plus d’une source, absolument attaché à sa Tarîqah, complètement fier de son appartenance à la communauté muhammadienne et fidèle éternel au pacte conclu avec Allah, se montre frère de tout initié conscient, ami de tout prédicateur savant, confident de tout bien-aimé d’Allah. Il n’accepte ni d’être trompé ni d’être dérouté.

Il ne cesse de donner le bon conseil (naçîhah) avec désintéressement et de la manière la plus convenable. Il cherche enfin à acquérir la science partout où il la trouve. Mais il ne fait le dhikr qu’avec ses frères de Tarîqah, car si la science est bien l’objectif de tous, le dhikr (l’invocation d’Allah) dépend du caractère de chacun : « chacun sait déjà où il s’abreuve ».

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Là où l’on s’attendrait peut-être à trouver mentionnés le dhikr, la doctrine et la recherche de la science en priorité dans ce qui doit guider et définir l’attitude générale et propre à la tarîqah dans cette partie de l‘ijâzah sensée exposer ce qui lui est propre, c’est la pratique de la naçîhah qui est mise en avant, précédant ainsi ses « soeurs » (akhawât, en  arabe) dans la Voie.

Comment se justifie une telle précellence ?

En quoi la naçîhah est-elle si importante dans la Tarîqah Mohammediyah Châdhiliyah, et avant même d’envisager la science et le dhikr  ?

8 janv. 2013 – V4

N’est-ce pas, simplement, parce que l’ihsân dans la Tarîqah ne peut que refléter nécessairement et au premier chef l’excellence exigée pour l’ensemble du Dîn, si bien que l’on pourrait dire d’elle alors : « et-tarîqah en-naçîhah » ?

Dans l’espoir de répondre au moins en partie à ces questions relativement déterminantes puisqu’elles donnent l’orientation première de la Tarîqah (qui ne saurait donc ni être remise en cause ni être envisagée autrement que selon cette priorité clairement édictée) nous avons choisi de présenter un texte du Cheikh Tâdili à cause de la perspective à la fois très générale qui est celle de l’auteur dans ce texte et, également, en considération de son caractère tout à fait contemporain qui le rend donc certainement adapté aux conditions cycliques actuelles, caractère qu’il partage ainsi avec l’œuvre tout entière du Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn et les prescriptions qu’il donne dans son ijâzah.

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La vie traditionnelle, c’est la sincérité

(Ad-dînun-naçîhah)

 (…) 2

Je vous fais parvenir – par mon âme ! – sur l’insistance du Témoin qui connaît les Essences , les Universaux et les Singuliers (1), le chant de l’esprit de votre humble serviteur. Le titre que j’ai choisi pour le transmettre est un enseignement du Véridique et Digne de Foi (le Prophète), alors qu’il était parmi ses Compagnons, sur lui et sur eux les salutations d’Allah ! Il répéta trois fois :

« – La vie traditionnelle, c’est la sincérité (ad-dînun-naçîhah)

« – Envers qui, ô Envoyé d’Allah ? lui demandèrent les Compagnons.

« – Envers Allâh, envers Son Envoyé, envers les Imâms et envers les Croyants, qu’ils soient d’un rang élevé ou inférieur» .

Ainsi pour le Législateur, la naçîhah est l’attitude générale qui embrasse l’ensemble de la vie traditionnelle. La naçîhah, dans la vie traditionnelle, implique l’assimilation des bases les plus solides de la Tradition entière ; c’est là le principe le plus élevé après l’Islâm, l’Imân et l’Ihsân (2).

Or, l’Islâm et l’Imân comportent la réunion des caractères louables. Le plus général est la qualité des relations et de la fraternité, sur laquelle s’accordent les çûfîs et qu’ils s’honorent de rechercher.  Leur enseignement est le plus parfait, car il est la Doctrine la plus profonde de l’Unité. Les principes de toutes les sciences y trouvent leur origine et son sujet est l’Essence.

Parmi les qualités des çûfîs, – que vous êtes (3) –figure donc la noblesse du caractère qu’a enseigné par amour pour son peuple le Véridique, le Digne de Foi –sur lui les bénédictions d’Allah ! en ces termes : «Ceux d’entre vous qui me sont le plus chers et qui seront le plus près de moi auprès d’Allah, le Jour de la Résurrection, ce sont les meilleurs par le caractère (4), ceux qui sont constants dans la sollicitude pour leurs amis (5), ceux qui fréquentent (leurs frères) et qui sont fréquentés (par eux)». D’après une autre tradition, il a dit – sur lui les bénédictions d’Allah et la paix !- : « Le croyant est un ami intime (alûf) que l’on voit souvent (malûf). Pas de bien chez celui qui ne fréquente pas (ses frères) et n’est pas fréquenté (par eux) !».

L’amitié comporte l’aide donnée aux âmes en désarroi : le Prophète –sur lui les bénédictions d’Allah et la paix !- a dit dans un autre hadîth : «Allah n’est pas mieux adoré que par l’aide que l’on apporte aux âmes».

Cette aide implique les témoignages d’amitié et d’affection que l’on porte aux êtres. On rapporte que le Prophète –Allâh le bénisse et lui donne la paix ! – a dit : «Les actions les plus chères à Allâh sont les témoignages d’amitié et la recherche des bons procédés à l’égard de tous, pieux (barr) et débauchés (faqîr) ». C’est un trait (waçl) général, beau chez tous, et chez les çûfîs d’une beauté et d’une valeur éminentes. De là vient l’union de leur Fraternité. Ils disent en maxime : « Les relations entre deux frères d’entre les çûfîs ne sont pas parfaites, tant que l’un ne dit pas à l’autre : ô moi-même ! ».

Les qualités de caractères du çûfî font que, quand tu es irrité après lui, il te répondra par l’équanimité ; et si tu agis mal envers lui, il te fera du bien, suivant le hadîth : « Fais du bien à celui qui t’a fait du mal ».

Elles veulent aussi qu’il pardonne à celui qui lui a fait du tort, qu’il s’efforce de renouer les relations d’amitié avec celui qui les a rompues et qu’il agrée les demandes de celui qui a repoussé les siennes.

Les qualités de caractères du çûfî font encore qu’il ne verra (les gens) que d’un œil content (6).

L’amitié oblige à la sincérité (aç-çidq) dans les rapports des Frères et des foqarâ, extérieurement et intérieurement. D’après une maxime, « Quand vous êtes en compagnie des çûfîs, soyez le avec sincérité, car ce sont des espions des cœurs. Ils entrent dans vos cœurs et en sortent d’une manière que vous ne prévoyez pas».

En effet, tu es le miroir de tes Frères : ils regardent dans ton miroir ce qui est à l’intérieur. Allâh a dit – qu’Il soit exalté ! – a dit : «Leur marque est sur leurs visages (7)».  Et d’après un adage, «Nul ne dissimule une chose sans qu’elle paraisse sur sa figure et dans les mots qui lui échappent (faltatu lisânihi)». Le Très-Haut a dit au sujet de ceux qui dissimulent : « Tu les a reconnus à leurs marques et tu les reconnaîtras certes aux singularités de leur langage (8) » ; et au sujet de ceux qui ne dissimulent point : « Il y a certes en cela de signes pour ceux qui observent ! (9) ». D’après un hadîth, « Celui qui cache une pensée secrète (sarîrah), Allâh l’habille de son vêtement (10) car ils ont revêtu le manteau de la pureté, et c’est pour cela qu’ils se nomment çûfîs (11).

L’amitié implique la modestie (dans les relations) entre les Frères, la libération de tous les emportements du caractère (al-hudûd), la conviction que l’on a moins de valeur que les Frères. « Le çûfî est comme la terre : on rejette sur elle le mauvais, il n’en ressort que le bon. Comme le nuage qui couvre de son ombre soumis et rebelles. Comme la pluie abondante qui arrose les terres, mauvaises et bonnes ».

L’une des conséquences de l’amitié est de faire semblant de ne pas s’apercevoir des faux pas des Frères, de cacher leurs fautes, de prier pour leur pardon, et de rechercher leurs excuses possibles, ainsi que le dit cette maxime des çûfîs : « Recherche pour ton frère soixante-dix excuses, et si tu ne les trouves pas, reviens vers ton âme avec suspicion et dis-lui : ce que tu vois en ton frère, c’est ce qui est caché en toi ! ». Ils veulent dire que si tu portes en toi du bien, il apparaît en eux, et si du bien apparaît en eux, c’est celui qui est caché en toi. Et dans les Sagesses (hikam) : « Ce qui est relégué dans le mystère des pensées secrètes apparaît au grand jour à l’extérieur ».

L’amitié implique que l’on s’informe des soucis des foqarâ, que l’on travaille à hâter l’accomplissement de leurs affaires dans la mesure du possible, que l’on aille souvent les trouver chez eux pour les visiter et renouveler l’alliance (ahd) (12) avec eux. Celui qui rompt (les relations d’amitié) avec ses Frères plus de trois jours alors qu’il est leur voisin, et qui ne les visite pas, les trahit. Un faqîr avait l’habitude de fréquenter la demeure d’un de ses Frères entre le coucher du soleil et la nuit tombée. On lui en fit la remarque et il répondit : «C’est parce que les cœurs s’altèrent à la longue, et je crains que mes dispositions (nafas) ne changent si j’attends trop longtemps».

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  1. Cf. sur le même sujet le récent article de Maurice Le Baot []
  2. Formules introductives []

par le 16 décembre 2012, mis à jour le 12 août 2015

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