La « rabbâniyyah » dans la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah

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 ما كان لبشر أن يؤتيه الله الكتاب والحكم والنبوة ثم يقول للناس كونوا عبادا لي من دون الله

وَلَكِنْ كُونُوا رَبَّانِيِّينَ بِمَا كُنْتُمْ تُعَلِّمُونَ الْكِتَابَ وَبِمَا كُنْتُمْ تَدْرُسُونَ

« Mais soyez «seigneuriaux», puisque vous enseignez le Livre et l’étudiez ».

(Al-‘Umrân, 79)

Depuis de nombreuses dizaines d’années, ce verset figure en tête de l’Ijâzah de la Tarîqah Mohammediyah Châdhiliyah et au sein des ‘Uhûd es-sughrâ pour définir son fondement et ce qu’il y a de plus essentiel en elle. Elle est un principe affirmé comme tel depuis très longtemps.

Sans penser un instant qu’il puisse s’agir là d’une caractéristique propre à la Tarîqah, puisqu’il est question d’un aspect fondamental du Taçawwuf lui-même, il semble être néanmoins évidemment important de comprendre une notion d’une telle élévation, surtout lorsque la présentation et l’étude de ce qui peut être partagé en commun par l’ensemble des turûq régulières peut revêtir un intérêt tout particulier 1 .

On ne peut que se réjouir de voir éventuellement des turûq différentes vivifier chacune cette notion coranique, ou tout autre qui serait de même nature, surtout si c’est dans un esprit qui recherche l’unité et le renforcement de ce que nous nous plaisons d’appeler les « forces vives » du Taçawwuf  contemporain.

Mohammed Ab es-Salâm

Khadîm et-Tarîqah

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22 mai – V3

Extraits de l’Ijâzah de la Tarîqah

Brève définition du Soufisme et de la Tarîqah Mohammediyyah (mohammadienne)

1- La conception islamique du soufisme

Nous pensons que le soufisme purement islamique est une révélation céleste. Le Très Haut dit :  » Mais soyez « seigneuriaux » puisque vous enseignez le Livre et puisque vous l’étudiez ». La « Rabbâniyyah » n’est donc autre chose, dans nos usages terminologiques, que le soufisme. Or la science et l’étude qui forment, selon ce verset, la base de cette « Rabbâniyyah » exigent nécessairement de donner le bon exemple.(…).
Les Gens du Banc (Ahl Souffah) sont les Gens de la « Rabbâniyyah » en Islam, qui sont en l’occurrence les soufis. Le Coran a rendu hommage aux Gens du Banc en recommandant au Prophète de faire preuve de patience avec eux ; ce sont, en effet, les « serviteurs du Miséricordieux », dont les qualités sont exposées dans la Sourate al-Furqân. Il s’agit de gens aux qualités de comportement que le Coran, dans plusieurs endroits et de différentes manières, attribue aux croyants, aux pieux, aux bienfaiteurs, à ceux qui sont patients.
Parmi les qualités les plus caractéristiques des soufis s’illustrent celles qui sont citées dans le Coran :  » Ce sont ceux qui se repentent, qui adorent, qui louent, qui parcourent la terre (ou qui jeûnent), qui s’inclinent, qui se prosternent, qui commandent le bien (convenable) et interdisent le blâmable et qui observent les lois d’Allah. » Ils sont, donc, les bien-aimés d’Allah qui méritent la bonne annonce dans les deux vies (présente et future).
Le Soufisme relève donc de la révélation divine et de la tradition prophétique au plus haut degré. (…). Il en est l’essence du dhikr, le remède des cœurs et le chemin du savoir et l’ascension vers les vertus les plus nobles.
Le Soufisme, en tant que quête vers la perfection de l’âme des hommes de la religion et de la patrie, devient une obligation individuelle (fard ‘aïn) qui incombe à tout musulman et à toute musulmane. Quiconque la néglige commet un péché (…).

Le Soufisme est une Réalité seigneuriale unique, jaillie du Coran et de la Tarîqah, qui commence par le repentir (tawbah) et aboutit à la Connaissance effective directe (ma’rifah). Quant à la diversité des méthodes d’éducation, de cheminement initiatique (sulûk), d’adoration et d’exercices spirituels, c’est une nécessité inhérente à la quête spirituelle ; tout cela relève des fondements mêmes de la religion, ainsi que de ses diverses branches, et réalise l’harmonie entre toutes les branches de la Da’wâ, laquelle doit répondre à la diversité des gens, des biens, des dispositions et aptitudes : « A chacun une orientation vers laquelle il se tourne », « Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers ».
Il en résulte que la diversité des noms des voies initiatiques régulières (et-turûq esh-shar’yyah) ainsi que la multitude de ses Maîtres (chefs spirituels) s’expliquent par la diversité des moyens adoptés qui conduisent à la même source et au même objectif : « Et à chaque peuple un guide ».
Nous parlons ici du Soufisme blanc et pur, qui n’a rien à voir avec le Soufisme pratiqué par d’autres dans le passé, dans le présent ou dans l’avenir. C’est pourquoi nous avons une bonne opinion de tout ce que l’on attribue aux vrais soufis à condition qu’il soit susceptible d’avoir plusieurs interprétations :  » Et chacun sera jugé selon ses intentions « .
De plus, s’il est probable qu’un soi-disant soufi ne se conforme pas aux règles de la Da’wâ, soit par erreur soit par corruption, la faute lui incomberait à lui seul et il ne serait donc pas juste de l’attribuer à la Da’wâ (…) car le Soufisme-Taçawwuf est une chose et celui qui suit une Voie initiatique (el-moutaçawwif) en est une autre, tout comme l’Islam est une chose différente du musulman. L’égarement du musulman ou de celui qui est rattaché au Taçawwuf, en tant qu’homme, n’implique pas forcément celui du soufisme, en tant que doctrine, ou de l’Islam, en tant que religion  » Allah distingue celui qui sème le désordre de celui qui fait le bien « .

2- La Tarîqah Mohammediyyah (mohammadienne)

Dans cette atmosphère sublime de l’Islam se développe la Da’wah de la Tarîqah Mohammediyyah, d’une manière souple et transparente comme le jour éternel. Quiconque manque à l’honneur d’en tirer profit subira peut-être une grande perte irréparable et rien ne pourra tenir sa place dans le domaine des services rendus à l’Islam. « Allah seul sait distinguer le meilleur ».

Bien que liée spirituellement à l’Envoyé d’Allah en tant maillon de la chaîne initiatique de la Tarîqah an-Nassiriyyah ash-Shadhilyyah, la Tarîqah mohammediyah se distingue également par le fait qu’elle rassemble en son sein -par la grâce d’Allah- des vertus, des bénédictions, des renforts spirituels et de hautes qualités qui appartiennent aux autres grandes confréries initiatiques comme la Khalwatiyyah, la Naqchabandiyyah, la Tijaniyyah, la Qadiryyah, la Ahmadiyyah et bien d’autres…

Le murîd ou l’initié mohammadien (muhammedî), bien que lié à plus d’une source, absolument attaché à sa Tarîqah, complètement, fier de son appartenance à la communauté mohammadienne et fidèle éternel au pacte conclu avec Allah, se montre frère de tout initié conscient, ami de tout prédicateur savant, confident de tout bien-aimé d’Allah. Il n’accepte ni d’être trompé ni d’être dérouté.
Il ne cesse de donner le bon conseil (naçîhah) avec désintéressement et de la manière la plus convenable. Il cherche enfin à acquérir la science partout où il la trouve. Mais il ne fait le dhikr qu’avec ses frères de Tarîqah, car si la science est bien l’objectif de tous et le dhikr (l’invocation d’Allah) dépend du caractère de chacun : « chacun sait déjà où s’abreuve ».
C’est ainsi que nous sommes devenus les fondateurs d’une école du soufisme contemporain, une école indépendante des autres par ses principes, ses composantes, ses activités et ses caractères.
Cette Tarîqah se distingue également par le grand intérêt qu’elle témoigne à l’égard de la culture islamique et du service social et humain, au point qu’elle les place dans un rang tout à fait égal au rang de l’éducation religieuse et spirituelle. Elle considère ces activités comme des maillons d’une chaîne qui se lient et dépendent les uns des autres. C’est pourquoi nous disons qu’il faut effectuer une réforme radicale dans le domaine de la mission initiatique et spirituelle actuelle afin de bien transmettre le message d’Allah.

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Extrait des ‘Uhûd es-sughrâ

10 ° pacte

Fonction de la Voie

 Nous sommes tenus par l’engagement pris auprès d’Allah de croire que les principes de cet Appel sont les principes fondamentaux de la grande Tarîqah Mohammadiyyah dont l’origine remonte à celle de notre maître, le Messager d’Allah ﷺ : extérieurement, par la voie de la transmission du serment d’allégeance s’effectuant de Maître à Maître [litt. des plus grands parmi les plus grands] selon sa chaîne préservée de transmission initiatique (silsîlah) et d’une manière intérieure, en vertu de la relation spirituelle et de la transmission émanant du Plérôme Suprême (el-Malâ’ el-A’lâ). Il s’agit de la mission parfaite et totale qui contient les caractéristiques les plus éminentes des groupes, des voies, des rassemblements et des actions.

Nous sommes également tenus de croire que le soufisme véritable est uniquement au service du bien, des qualités spirituelles (akhlâq) et de la spiritualité, le bien dont il s’agit, regroupant toutes sortes de services sociaux, humains culturels, sanitaires, physiques et scientifiques, ainsi que tout ce qui s’y rattache de près ou de loin. Allah dit à ce propos : “et faites le bien, peut-être réussirez-vous”, “Que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien”, “Et quelque bien qu’ils fassent, il ne leur sera pas dénié”. De même, Allah a accordé Ses bienfaits à Ses Saints en leur ordonnant d’accomplir les bonnes actions.

– Ainsi les qualités éminentes (akhlâq) contiennent tous les fondements de l’éducation physique, psychologique (nationale et religieuse) y compris toutes sortes de disciplines extérieures et intérieures concernant la relation avec Allah et avec le monde spirituel ; c’est pourquoi Allah dit : “Réussit, certes, celui qui se purifie” et : “A réussi, certes, celui qui la purifie et est perdu, certes, celui qui la corrompt”. Il a dit aussi à Son Prophète : “Et tu es, certes, d’un caractère éminent.”

– Quant à la spiritualité ou la dévotion, elle comprend toutes les sortes d’adorations, le soufisme, l’assiduité, l’effort assidu ainsi que la relation avec Allah et avec le monde spirituel. C’est pourquoi Allah dit : “Soyez «seigneuriaux», en ce que vous étudiez le Livre et que vous l’étudiez”. De même, Allah dit pour orienter celui qui tient à chercher cette vérité auprès de celui qui la détient (râ’id) : “Par le Tout-Miséricordieux, interroge-donc qui est bien informé de Lui”.

Ces fondements, prenant appui les uns sur les autres, s’entrecroisent, s’interpénètrent et s’enchaînent en un ensemble unique ; ils représentent l’apogée de la science humaine en matière d’éducation parfaite et de service public. C’est pourquoi Allah a rassemblé ces fondements en un seul verset : “Ô vous qui croyez ! Inclinez-vous, prosternez-vous, adorez votre Seigneur, et faites le bien. Peut-être réussirez-vous. Et luttez pour Allah avec tout l’effort qu’Il mérite”, ce verset débutant par l’évocation du droit d’Allah envers la « seigneurialité » (rabbaniyah), continuant par celle du droit de l’homme à faire le bien, puis par celle du droit de l’âme à l’éducation (spirituelle, tarbiyyah) et à l’effort continu (mujâhadah). Le reste de ce verset mentionne d’autres signes importants. Celui qui réussit à suivre tous ces fondements deviendra le représentant (khalîfah) d’Allah et de Son messager et l’Imam des créatures d’Allah. A ce propos, Allah dit : “Pour que vous soyez témoins envers les gens, et que l’Envoyé soit témoin sur vous”.

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Notions châdhilies sur le centre du cercle (markaz ed-dâ’irah) – (Extrait)

Du verset coranique « soyez Seigneuriaux (kûnû rabbaniyyin),

vous qui enseignez (tu’allimûna) le livre » 2 , Ibn ‘Ata’ Allah considère trois lectures possibles, selon trois vocalisations régulières de la racine consonantique T-’-L-M-U-N, qu’il fait correspondre à trois degrés de «science». Or selon lui, la «science est lumière en son essence (‘ilm nûr fî dhâtihi), et celui qui la met en application (‘amal) devient lumineux en lui-même et pour les autres (nûranî fî dhâtihi wa li-ghayrihi) » 3  . Ce qu’il y a de plus remarquable est qu’il affirme, à la suite, que le sens véritable du terme coranique  «Seigneuriaux» (rabbaniyyîn) est « Ceux-qui-revêtent-les-Caractères (mutakhallaqîn) », c’est-à-dire, comme nous l’avons vu plus précédemment 4 , ceux qui réalisent effectivement la science théorique des Noms et des Attributs divins. Nous pouvons en déduire que celui qui, ayant parfaitement réalisé les Noms, et donc parvenu au centre de la figure symbolique que nous avons décrite dans l’article sur la réalisation initiatique des Noms, illumine dès lors cette dernière en tant qu’il est « lumineux en lui-même et pour les autres ».

Après avoir rappelé certains noms par lesquels le Prophète est désigné dans le Coran, le Cheikh dit qu’ «Allah a parfait en lui l’ensemble des nobles caractères» (Akmal-Allah lahu jamiy’a el-akhlâq el-karîm) par sa parole: «En vérité, tu es selon des caractères immenses » (Kulûqin a‘dhîm5 . Cet aspect de la réalité mohammédienne (Haqîqat el-mohamediyyah) bien connu de l’ésotérisme islamique, se retrouve notamment dans les noms de «Présence des Noms et des Attributs» (Hadratu-l-Asmâ wa-ç-çifât) et de «Réalité essentielle des Noms» (Haqîqat-l-asmâ’iyya) par lequel certains maitres désignent le Prophète 6 .

(A suivre, in châ Allah)

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La « rabbâniyyah » dans la Tarîqah Naqchbandiyyah de Cheikh Nazim

ARTICLE THÉMATIQUE correspondant

GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)

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  1. Voir, à ce sujet, l’Épître de «tous ceux qui se rattachent à l’Envoyé d’Allah» رسالة وَكُلُّهُـم مِـن رَسُـولِ اللهِ مُلْتَمِــس []
  2. [III ; 79]. Ces trois variations sont « vous connaissez (ta’lamûn) »,  « on vous enseigne ou fait connaitre (tu’allamûn) » et « vous enseignez (tu’allimûn) », c’est-à-dire, « sa science, son acquisition de la science, et son enseignement ». []
  3. «La science est stérile mais donne des bénéfices quand elle est mise en application» dit le Cheikh, en faisant ainsi implicitement référence au hadîth prophétique : «celui qui pratique ce qu’il a déjà appris, Allah lui enseigne ce qu’il ne sait pas (man ‘amila bi ma ‘alima, ‘alama ma lam ya’lam) ». []
  4. Cf. Notions châdhilies sur la réalisation initiatique des Noms []
  5. [LXVIII ;4] []
  6. L’Emir Abd el-Qâdir notamment dans son Kitâb el-mawâqif et Jurjanî dans Kitâb et-ta’rîfât. []

par le 19 mai 2014, mis à jour le 25 août 2015

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