Le 148 000° maqâm selon l’Imâm Charani

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Il suffit, bien souvent et quand on n’en pas été soi-même un témoin direct, de simplement s’attacher à la lecture des ouvrages des Maîtres de la Voie pour constater que l’extravagance de nombre des pratiques présentées de nos jours aux yeux de bien des prétendants à l’initiation n’est malheureusement pas nouvelle.

Lorsque l’on voit que c’est avant même tout rattachement, et comme pour en quelque sorte le conditionner définitivement, que l’on met en avant telle ou telle « particularité » qui devrait normalement rester cachée (même lorsqu’elle n’est pas mensongère), on ne peut s’empêcher de constater qu’il y a là, non seulement une manière de faire qui est contraire aux âdâb initiatiques fondamentaux mais aussi l’expression d’une tendance sectaire réelle qu’il convient de dénoncer publiquement ; c’est l’unique motivation du présent article, que nous écrivons, comme à notre habitude, dans le total respect de l’anonymat des personnes concernées et impunément actives, malgré l’étendue des ravages. 1

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Imâm Charanî – Chapitre El-kitmânTanbih el-mughtarrîn

« Leur discrétion (kitmâni-him)2 à l’égard des gens de leur temps fait partie des qualités des Initiés pour autant qu’ils leurs dénigrent des prodiges (karâmât) car il n’y a aucune utilité à les manifester, à moins d’en tirer un bienfait légal. Le Saint (wâlî) n’est alors pas coupable s’il l’expose.

Alors que j’étais en train d’écrire sur ce sujet quelqu’un vit l’Envoyé d’Allah ﷺ en songe qui m’adressa le salâm et avec lui une certaine prescription. Celui qui eut la vision lui posa une question à laquelle il répondit ﷺ sans que l’homme ne comprenne la réponse. Lorsqu’il vit ﷺ qu’il n’arrivait pas à comprendre, il lui dit : « Vas en Égypte et demande à Charani car lui te l’expliquera.» L’homme se trouvait du côté de Jarjah 3 et voyagea, suite à la vision, jusqu’en Egypte, demanda après moi, me rencontra et dit : « Je n’ai rien d’autre à faire en Égypte hormis te rencontrer, conformément à son ordre ﷺ. » Puis il m’exposa sa question et je la lui commentai, Dieu soit loué.

J’ai déjà mentionné dans ce livre qu’il faisait partie des qualités comportementales excellentes des Initiés qu’ils fassent les cinq prières derrière l’Envoyé d’Allah ﷺ à son noble tombeau et qu’ils entendent sa réponse à leur salutation quand ils disaient dans leur tachahhud : « Que la paix soit sur toi, Ô Envoyé, ainsi que la miséricorde d’Allah et Sa bénédiction ».

(…)

Je dis (i.e. l’auteur) qu’il existe entre le faqîr et entre la station spirituelle (maqâm) qui permet de prendre [directement] du Prophète ﷺ et d’entendre sa voix lorsqu’il répond à celui qui l’a salué 147 999 stations spirituelles. Ainsi donc nous demandons à qui prétend avoir atteint une telle station de justifier des stations en question puis, quand nous voyons qu’il ne les connaît pas, nous le démentissons en ce qu’il prétend.

Un certain groupe prétendit détenir cette station spirituelle parmi les contemporains de sidi Ali el-Murçafî -qu’Allah lui fasse miséricorde. Il ordonna qu’on les lui présente avec moi. Il leur dit en les voyant : « Mon but est d’entendre ce que vous avez à dire de certaines stations spirituelles par la possession desquelles vous dites qu’Allah ta’âlâ vous a distingués. » Aucun d’eux ne sut quoi dire. Il les réprimanda et ordonna de les sortir hors de sa présence. Ils moururent dans le pire des états, qu’Allah nous en préserve.

Prends donc garde à toi, mon frère, de prétendre en quoi que ce soit d’une station spirituelle que tu n’as pas atteinte, faute de quoi tu seras châtié par la privation de la station en question. »

Imâm Charanî – Tanbih el-mughtarrîn

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28 août 2015 – V3

On remarquera tout d’abord, sur un plan formel et méthodique, que l’auteur expose publiquement, mais de manière anonyme, le cas de contemporains dont l’identité, dans un cadre privé comme dans un cadre public, est parfaitement connue de nombreuses personnes. On peut notamment souligner aussi que les intéressés étaient probablement persuadés, avant leur entretien avec Cheikh el-Murçafî, que le contenu de celui-ci ne serait pas divulgué et qu’on leur aurait préalablement demandé leur autorisation pour le faire.

Il est en effet uniquement question de préserver autant que possible le droit personnel de chacun (par l’anonymat) tout en cherchant à être utile au plus grand nombre de personnes éventuellement concernées (par la publication).

Pour ce qui est du fond, l’Imâm Charani prend l’exemple, dans un chapitre qui traite du souci et du scrupule qu’apportaient les Maîtres à dissimuler leur propre valeur, d’une supercherie bien connue des Autorités de son temps qui était utilisée par ce que l’on peut appeler des « bandits de grand-chemin » (qatta’ et-tarîq), usurpateurs de la Voie, pour attirer à eux les disciples. Il n’est donc pas étonnant de voir de nos jours se manifester également de telles prétentions, par téléphone cette fois et, pourquoi pas, sur n’importe quel autre « réseau ».

On sait donc, avec un tel rappel, quoi en penser, surtout quand ce genre de manigances éculées s’accompagne d’autres prétentions tout aussi « absolues », comme celle de détenir exclusivement le statut de Pôle suprême de la hiérarchie des Saints4 ou le « Sirr« .

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  1. Nous tenons à rappeler à ceux qui, parmi nos lecteurs, sauraient parfaitement qui nous avons à l’esprit en agissant ainsi, que notre démarche n’a rien de personnel, tant nous prenons soin de ne pas révéler quelque identité que ce soit. Qu’ils sachent néanmoins, et ceux qui suivent notre action le savent fort bien, que nous faisons en sorte que les descriptions que nous produisons soient suffisamment explicites et détaillées pour permettre d’identifier efficacement à la fois les personnes en cause comme celles qui se trouveraient dans des situations dont nous n’avions pas connaissance initialement. []
  2. Quelle que soit la filiation étymologique, la racine est en correspondance évidente avec le terme « catimini », dont les spécialistes semblent n’avoir trouvé que des origines très incertaines qu’ils attribuent à ce qu’ils nomment le « bas latin » []
  3. Ville d’Irak ? []
  4. On évoqua le nom de René Guénon, lors d’un entretien en arabe avec un tel « Pôle du temps ». Celui-ci s’adressa à un moqaddem pour savoir de qui il s’agissait, lequel lui répondit : « Un français musulman » []

par le 19 juin 2015, mis à jour le 31 août 2015

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