Le Pacte initiatique – Cheikh Ibrâhîm al-Khalil al-Châdhilî

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Les deux chapitres présentés ici sont extraits du « Manuel de référence (Marji’) relatif aux fondamentaux du licite et de l’interdit dans la pratique du soufisme contemporain » de l’Imam Cheykh Ibrâhîm al-Khalil ibn ‘Alî el-Châdhilî 1 .

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Le Pacte initiatique soufi (el-‘ahd eç-çufî) et sa forme régulière

 

Pacte 1

Le pacte (mu’âhadah)2 consiste à agir dans l’obéissance, à délaisser la désobéissance et à suivre le peuple initiatique. Pour les hommes, il est légalement basé sur le verset de la sourate el-Fath : « En vérité, ceux qui te prêtent serment d’allégeance prêtent en réalité serment à Allah »3. Il est également fondé sur d’autres versets et traditions authentiques. Pour les femmes, il est légalement fondé sur le verset de la sourate el-Mumtahanah: « O Prophète ! Lorsque les croyantes viennent te prêter serment »4 et sur d’autres versets et traditions authentiques. « Et le pacte (mu’âhadah) est un lien astreignant dont le respect est une obligation légale ».

En effet, ce pacte (‘ahd) est un désenivrement de l’ivresse du péché, un retour vers Allah – Exalté soit-Il – par le repentir, l’obligation d’user des moyens purifiant l’âme des péchés et la mise en œuvre de tout ce qui rapproche du Très-Haut, le Pardonneur : il y a en cela une chose obligatoire, sans doute ni échappatoire possible.

 

pacte 2

La modalité (que nous pratiquons) avec les hommes

L’aspirant s’assoit face à son cheikh dans la position assise de la prière, en état de pureté corporelle et vestimentaire, qui lui fait prononcer un repentir (tawbah). Il lui dit ensuite : « tu t’engages avec moi à abandonner les actes de désobéissance et à accomplir les actes d’obéissance autant que cela t’est possible, jusqu’à ce qu’Allah ne te trouve pas où Il t’a interdit d’être, que tu ne manques pas d’être là où Il t’a ordonné, et jusqu’à ce que tu t’acquîtes des obligations de l’appel (da’wah) et de la voie (tarîq) ».

 

pacte 3pacte 4

 

S’il accepte, il place sa main dans la sienne et récite le verset du Serment qui est : « Au nom d’Allah le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux, « En vérité, ceux qui te prêtent serment d’allégeance, prêtent en réalité serment à Allah : la main d’Allah est au-dessus de leurs mains. Quiconque viole [son serment], ne le viole qu’à son propre détriment ; et quiconque remplit son engagement envers Allah, Il lui accordera une récompense magnifique »5. Puis il lui dit : « ceci est l’engagement [envers] Allah selon le Livre et la Sunna de l’Envoyé d’Allah et notre voie vers Lui- Exalté -, non altérés et non changeantes ; l’engagement est l’Engagement [envers] Allah, la main est la Main d’Allah, « Honorez l’engagement [envers] Allah lorsque vous vous êtes engagés»6. « Respectez l’engagement, car en vérité on sera interrogé au sujet des engagements »7. Nous sommes tous dans la bénédiction d’Allah qui a accordé sa grâce propice à notre Cheikh et maître …, de notre maître … dans sa Voie initiatique, selon sa chaîne de transmission jusqu’au Pôle Suprême Seydî ‘Alî Abû el-Hassan el-Châdhilî, selon sa chaine de transmission jusqu’à notre Seigneur et Maître l’Envoyé d’Allah – qu’Allah prie sur lui et le salue – jusqu’au Maitre Suprême et Elevé. »

 

pacte 5

S’il accepte, il lui dicte alors trois fois à l’oreille la formule de « Majesté » (lâ ilâha ill-Allah), en y déposant son secret, et en rendant présent les soutiens spirituels de ses maîtres [à travers la chaine de transmission] afin que les réalités spirituelles de leurs deux cœurs soient reliées ; puis il lui ordonne de la lui répéter trois fois à son tour. Après cela, il lui ordonne de suivre les enseignements, les nobles caractères, d’assister aux séances de dhikr et de s’astreindre à la pratique des oraisons journalières (wird).

S’il accepte tout cela, [le cheykh] prend alors Allah à témoin, ainsi que Ses anges, Ses messagers et ceux qui sont présents puis il invoque le bien pour lui et le bénit.

 

pacte 6

La modalité [du pacte] pour les femmes

Dans le cas des femmes, il faut que le pacte soit conforme à ce qui est accepté par la noble Législation dans sa modalité et son déroulement, selon les conditions exigées par la situation. Il n’est pas permis de se tenir la main dans la main, ni de s’approcher de l’oreille pour dicter la formule de majesté, ni de s’engager à être présente dans les rassemblement des hommes, ni tout ce qui est prohibé par la Loi à l’égard des femmes. Dans les assemblées de science, elles sont présentes mais dans un endroit dédié à l’écart pour éviter la mixité (lit. le mélange avec le mahram).

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Statut du pacte de cheminement initiatique

pacte 7pacte 8

Le pacte sur la voie du peuple initiatique se divise en deux catégories :

Pacte complet : celui-ci n’est possible que de la main du Maitre versé dans les sciences légales et reconnu comme complet, qui possède les caractéristiques que nous t’avons énoncées précédemment à propos les conditions du Maître éducateur parfait.

Pacte incomplet : il se fait avec un Cheikh qui n’a pas atteint le degré de la perfection, ou qui n’est pas encore apte à la guérison des âmes à cause de son ignorance, ou de son innovation, ou de son ostentation, ou de sa négligence des lois islamiques, ou de différentes autres choses.

A ce propos, voir Définitions des pactes complet (kâmil) et incomplet (nâqiç) – Commentaire (M.A.S.)

pacte 9

En ce qui concerne le pacte complet  :

Selon le Livre et la Sunnah, il n’est pas permis de le rompre ou de s’en dégager. Cela est même une des causes de maudissement et d’exclusion, car Allah dit : « Et puis, à cause de leur rupture de leur alliance, Nous les avons maudits et Nous avons endurci leurs cœurs »8. Il dit –Exalté soit-Il- qu’Il qualifie les croyants sincères comme « ceux qui remplissent fidèlement leur engagement envers Allah et ne violent pas l’alliance »9. Allah met en garde –Exalté soit-Il – contre le fait de rompre l’engagement pour le bien, et dit : « Et ne faites pas comme celle qui défaisait brin par brin sa quenouille après l’avoir solidement filée »10. Et Il dit : «  Remplissez votre engagement [envers] Allah lorsque vous vous êtes engagés. Ne rompez pas les serments après les avoir prêtés solennellement en ayant pris Allah comme garant contre vous »11.

Et dans le hadith faisant l’unanimité, rapporté de Abdullah ibn ‘Omar Ibn el ‘Âç, le Prophète – qu’Allah prie sur lui et le salue- a dit : «  quatre défauts caractérisent le véritable hypocrite, celui qui possède un de ces défauts possède une part d’hypocrisie jusqu’à ce qu’il s’en débarrasse, à savoir : il trahit la confiance placée en lui, il ment quand il parle, il trahit la foi jurée, il déforme la vérité12  quand il se prend de querelle avec quelqu’un ».

 

pacte 10

En ce qui concerne le pacte incomplet :

Il est obligatoire de le renouveler pour meilleur que lui de la main d’un Cheikh régulier complet car le Cheikh irrégulier (litt. innovateur) est un diable incarné ; quant au Cheikh ignorant, il est semblable au médecin inapte qui nuit au malade plus qu’il ne lui profite.

Il dit –Elevé soit-Il: « Sont-ils égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? Seuls réfléchissent les hommes doués d’intelligence. »13.

 

pacte 11Tant que tu délaisseras un engagement réduit en vue d’un engagement complet qui satisfait Allah et Son messager, il n’y aura rien qui puisse être retenu contre toi car en vérité tu passes, dans l’amour d’Allah, d’un degré inférieur vers un degré plus élevé. Et celui qui aime sincèrement Allah est comme le malade anxieux : il cherche un médecin expert qui le guérisse, quand bien même il devrait lui donner tout ce qu’il possède.

 

pacte 12

La transition d’une voie vers une autre n’est donc permise que selon la règle précédente. Si tu veux  changer d’une voie vers une autre alors que le premier pacte était complet dans la main d’un Cheikh pieux véridique et connaissant, tu dois lui demander l’autorisation de prendre le pacte de la seconde voie, et celui-ci sera alors un pacte de bénédiction (tabarrukan), de bon présage (tayammunan), et de soutien spirituel (sanadan), mais qui impose néanmoins l’accomplissement du travail initiatique des deux voies en même temps ; il s’agit toujours, ici et là, de fidélité dans l’engagement envers Allah.

pacte 13Si le premier Cheikh ne donne pas son autorisation, alors la progression initiatique sur la seconde voie n’est pas permise, sauf après sa mort et à condition que la seconde voie soit meilleure que la première. En dehors de ce cas, il faut conserver le premier engagement, du vivant du Cheikh et après sa mort.

pacte 14Le Cheikh parfait est présent par son esprit, même mort corporellement, et son soutien spirituel (madad) ne sera pas interrompu sauf si l’aspirant le rompt lui-même. [Dans ce cas], soit il a atteint le stade du sevrage et qu’il n’a pas besoin de renouveler le pacte ; soit il est encore attaché, et [sa rupture] le fait encourir les différentes sortes de colère et de privation14 . Allah Elevé a dit : « Ne voient-ils pas que chaque année ils sont poussés à la révolte une fois ou deux ? Par la suite, ils ne s’en repentent pas et ne s’en souviennent plus »15 . Cela aura pour conséquence l’annulation de l’engagement envers Allah sans motif légitime et il est certain qu’il subira des troubles, de nombreux malheurs et un châtiment pour la dispersion vis-à-vis de l‘engagement d’Allah ici et là.

pacte 15pacte 16Allah dit : « S’ils s’étaient maintenus sur la voie droite, Nous les aurions abreuvés certes d’une eau abondante, façon de les mettre à l’épreuve… »16 : cela concerne celui qui est ferme, qui garde [ce qu’il a] et persiste dans cet état ; « … mais quiconque se détourne du rappel de son Seigneur, Allah l’achemine vers un châtiment implacable»17 : cela concerne celui qui s’amuse à des riens sans but légitime.

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  1. Édition critique publiée par le Cheikh Zakî Ad-Dîn sous le titre « Morceaux choisis du « manuel de référence » – El-mukhtarât min kitâb el-Marji’ []
  2. Le sens premier de ‘ahd semble être le serment, l’affirmation solennelle (au sens arabe de qasam), ou encore la promesse (wa’d), puis par extension l’accord entre plusieurs parties comme la convention, le contrat, le pacte, le traité, l’alliance. Ce second sens est proprement celui de mu’âhadah, synonyme de mîthâq. A noter que ‘ahd est également un synonyme de ma’rifah, la connaissance, la faculté d’acquérir des informations ou l’ensemble des connaissances acquises par l’étude. []
  3. XLVIII ;10 []
  4. LX; 12 []
  5. XLVIII; 10 []
  6. XVI ; 91 []
  7. XVII ; 34 []
  8. VI, 14 []
  9. XIII, 20 []
  10. XVI, 92 []
  11. XVI, 91 []
  12. Fajara signifie également « dire des obscénités » ou « tomber dans la perversité » []
  13. XXXIX, 9 []
  14. Traduction incertaine pour ce passage. []
  15. IX; 126 []
  16. LXXII ; 16 et 17 []
  17. LXXII ; 17 []

par le 30 mars 2016, mis à jour le 11 mai 2016