Le prince laveur de pieds

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Une des histoires pleines de sagesse, que le Cheikh Hocine Mahdjoub, Recteur de la Mosquée de Clermont-Ferrand, enseigne à ses élèves est la suivante :

« Un jour, un prince faisant le bilan de ses biens, des privilèges et des honneurs que Dieu lui a accordé, demanda à son serviteur :

«  Penses-tu qu’il me manque quelque titre ?

–          Si son altesse me permettait, je lui ferais remarquer qu’elle n’a pas celui de soufi. Car, il est vrai que ces hommes de grande piété sont proches de Dieu et aimés des gens.

–         Qu’à cela ne tienne ! demain, je me ferai disciple du plus vénéré des soufis de mon royaume.

Le lendemain, il se mit en route vers le soufi le plus connu de la ville et lui fit part de sa quête.

« Vous n’y pensez pas, lui asséna le saint homme. Nos assemblées ne peuvent s’accommoder de la compagnie des orgueilleux ! Et de l’orgueil, vous en avez à revendre !

Triste, le prince lui demanda ce qu’il fallait faire pour se débarrasser de son orgueil.

–          Tu t’habilleras comme le plus misérable des mendiants, tu te raseras une partie de la tête et tu distribueras des bonbons aux enfants qui voudraient bien se moquer de toi.

Fou de rage, le prince se retint difficilement d’ordonner sa mise à mort puis se ressaisit, de peur qu’une malédiction ne s’abatte sur lui et son royaume. C’est que la ville entière ne cesse de narrer les prodiges du Maître.

Quelques jours plus tard, et comme un amoureux éconduit, le prince revint voir le Maître soufi, habillé en misérable avec lui son serviteur comme témoin des moqueries des enfants et des bonbons qu’il leur distribuait.

« Et alors, mon pauvre enfant ?… veux-tu pour cela que l’on te confie les clés du paradis ?

–          Je désire seulement être votre disciple afin de devenir un soufi.

–          Il te faut pour cela passer avec succès une ultime épreuve, car la cour du Maître des mondes est difficile d’accès à ceux qui, comme toi, ont eu l’illusion d’être Maître un jour.

–          Ordonnez ce que vous voulez et je le ferai.

–          Rends-toi au souk et lorsque tu trouveras le plus misérable et le plus vil des êtres, tu lui laveras les pieds que tu lui embrasseras.

Le prince attendit avec fièvre le jour de marché pour s’y rendre en inconnu, dès les premières lueurs. Lorsque vers le midi, il crut reconnaitre en un homme habillé d’oripeaux, sale et titubant d’ivresse, le plus vil des êtres, il l’alpagua et surmontant un haut le cœur, lui lava les pieds et les embrassa. Il exigea ensuite la compagnie de deux hommes qu’il fit témoigner devant le Maître soufi.

Ce dernier hochant la tête, lui déclare connaître plus vil que ce pauvre clochard.

Soudain, pris d’une vive émotion, le jeune prince éclate en sanglots, s’assit à même le sol, se déchaussa et se mit à embrasser ses propres pieds. »

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par le 4 juillet 2015, mis à jour le 5 juillet 2015

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