Les Tables (Lawâ’ih) de la Voie – Cheikh Mohammed Zakî Ibrahîm

Les quatre « décalogues » (‘achriyyât) qui suivent ont été composés par le Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm – reprenant et synthétisant certains enseignements transmis par son père et maître le Cheikh Ibrâhîm el-Khalîl – dans une forme qui en facilite la mémorisation et insérés dans son ouvrage intitulé Le Commencement (ElBidayah) d’où nous tirons le texte arabe reproduit ci-dessous.

Ces enseignements constituent en quelque sorte la trame de l’engagement du murîd dans la Tarîqah Mohammediyyah dont on trouvera un développement plus exhaustif dans certains traités du Cheikh Zakî al-Dîn tels les Règles fondamentales ou encore les Pactes mineurs.

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Les Tables  du Soutien spirituel (Lawâ’ih al-Madad1 (issues des paroles de l’Imam ar-Râ’îd [Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm])  :

Les décalogues (‘achriyyât)

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Les dix principes (uçûl) :

  1. La Loi est notre Voie
  2. L’appel [à Allah], notre fonction
  3. Le sacrifice, notre moyen d’accès [à Allah] (wassîlah)
  4. La science, notre politique (siyâssah)
  5. L’adoration, notre métier
  6. Le recueil [du Qur’ân], notre autorisation (ijâzah)
  7. La sincérité (ikhlâç), notre nature [profonde]
  8. La conciliation, notre signe [de reconnaissance]
  9. Le Prophète, notre exemple
  10. Allah, notre But

« Et Allah suffit comme Protecteur et Allah suffit comme Vainqueur » (Coran)

Les dix prémisses  (muqqadimât)

  1. Le frère en Allah doit être assidu dans ses efforts,
  2. Sa fonction est de guider (al-qiyâdah),
  3. S’il réussit, cela sera une présidence (siyâdah),
  4. Ou s’il est ébranlé, [il en retirera] une utilité,
  5. Ou s’il est stoppé, [cela restera cependant] une volonté (irâdah2 ,
  6. Ou si on lui nuit, [cela sera pour lui] une félicité,
  7. Ou s’il est éprouvé, [cela sera pour lui] une adoration (‘ibâdah),
  8. Ou s’il est isolé, [cela sera] un commandement (riyâdah3
  9. Ou s’il meurt, [cela sera] un martyr 4 ,
  10. Et à lui sont les plus belles [choses] et davantage encore.

« Cela est la Grâce d’Allah, Il donne à qui Il veut et Allah est Magnanime (wâsi’) et Omniscient (‘alîm) » (Coran)

Les dix conditions (churût)

Nul de nos frères ne sera [véritablement] mohammédien avant de :

  1. Croire à notre credo (aqîdah)
  2. Pratiquer nos œuvres d’adoration
  3. Suivre nos habitudes (‘âdah5
  4. Mettre en œuvre notre Appel (da’wah)
  5. Suivre notre méthode (tarîqah6
  6. Servir notre famille (achîrah7
  7. Porter notre marque [distinctive] (chârah)
  8. Se tenir à notre visite (ziyârah)
  9. Veiller à préserver notre alliance et notre pacte (bay’ah)
  10. Préserver [notre sacralité] en notre absence et notre présence 8

« Et dis :  » Puisse mon Seigneur me guider plus près de ce qui est juste !  » (Coran) 9

Les dix paroles (alfâdh)

  1. Allah
  2. Le Prophète
  3. L’Islam
  4. Le Coran
  5. La science  (‘ilm)
  6. La pratique (‘amal)
  7. La Tarîqah
  8. La ‘Achîrah
  9. La Patrie (Watân10
  10. Le Pionner (Ra’îd)

« Et celui qu’Allah veut guider, Il lui dilate la poitrine » (Coran)

Cheikh Mohammed Zakî Ibrahîm

Présentation et notes du traducteur

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Texte arabe

LAWAIH USUL MUQADDIMA

shurut alfadh MZI

V6 – 9 juin 2015

  1. Le terme lawâ’ih renvoie aux Tables de la Loi (Alwâh) de Seyyidnâ Mûssâ – sur lui la Paix, d’où le titre général  – Les Tables de la Voie –  que nous avons choisi pour présenter ce texte. []
  2. On pense ici à une autre parole de l’auteur, fréquemment reproduite dans ses écrits : « le taçawwuf est une volonté (irâdah) et non une administration (idârah). []
  3. Pour une explication de ce terme voir ici. []
  4. Ou « [l’équivalent d’] une attestation de foi ». Ce qui revient au même puisque le martyr équivaut pratiquement à la mort en prononçant la dite attestation – c’est-à-dire en qualité de croyant – d’où la polysémie du terme arabe employé. []
  5. On se rappellera incidemment que l’auteur justifiait notamment l’intérêt de prendre un guide (murchîd), après sa mort, sous le rapport de l’habitude. []
  6. Selon l’auteur : « La tarîqah Mohammediyyah est un pur breuvage (machrab) soufi islamique, elle constitue une entité propre et indépendante aux chaînes de transmissions remontant aux plus grandes autorités (kibâru-r-Rijâl) jusqu’au Prophète ﷺ . Elle possède ses [propres] convenances spirituelles (âdâb), ses usages traditionnels (taqâlîd), ses oraisons (ahzâb), ses litanies (awrâds), ses incantations (adhkâr), ses règles d’éducation (qawa’îd et-tarbiyah), son [mode de] cheminement (sulûk), ses particularités, ses arguments (barâhîn) et ses preuves (adillah), ses fondements (uçul) et ses règles (qawâid) » – Extrait de l’ouvrage posthume Yâ Waladî. []
  7. Il s’agit ici de l’association de la Achîrah Mohammediyyah fondé par l’auteur en 1930, du vivant de son père et Maître Cheikh Ibrâhîm Al-Khalîl. L’auteur à consacré de nombreuses pages à définir les moyens et les objectifs de cette association, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir, qui rassemblait des membres du monde entier – de l’Indonésie au Maroc – dont de nombreuses autorités de Taçawwuf, telles – pour les plus connues – Saddâtinâ Abdallah Ben Siddîq Al-Ghumârî (un des co-fondateurs de l’association), Abd el-Halîm Mahmûd, Hassan ‘Abbas Zakî « le ministre soufi » d’Egypte, Mohammed Al-Hâchimî ou encore Ahmad Kuftarû le célèbre Muftî du Châm – qu’Allah soit Satisfait d’eux. A propos de l’appartenance à la Achîrah, l’auteur disait : « C’est que tu t’accroches (tatamassuk) avec toute ta force et toute ta foi à tes principes propres (mabda’ika al-khâç), à la tarîqah que tu as choisi, à l’école juridique (madhhâb) qui a ta préférence et que tu ajoutes (tazîd) à cela le fait d’être « Mohammédien » – Extrait de l’ouvrage posthume Yâ Waladî. []
  8. Il s’agit d’un adab récurrent dans le taçawwuf en général, voir par exemple ici. []
  9. Trad. Jean-Louis Michon. []
  10. Sans pouvoir détailler ici cette question, nous pensons que l’auteur fait ici référence au monde musulman (al-watân al-islamî) en général, c’est à dire à la conception d’une entité traditionnelle islamique supra-nationale, tel qu’elle existait – au moins de manière symbolique – jusqu’à l’abolition du Khalifat ottoman en 1924. Dans cette perspective on (re)lira avec intérêt les précisions fournies par René Guénon dès 1921 : « C’est sur une tradition que l’on peut qualifier de religieuse que repose toute l’organisation du monde musulman : ce n’est pas, comme dans l’Europe actuelle, la religion qui est un élément de l’ordre social, c’est au contraire l’ordre social tout entier qui s’intègre dans la religion, dont la législation est inséparable, y trouvant son principe et sa raison d’être. C’est là ce que n’ont jamais bien compris, malheureusement pour eux les Européens qui ont eu affaire à des peuples musulmans, et que cette méconnaissance a entraînés dans les erreurs politiques les plus grossières et les plus inextricables ; mais nous ne voulons point nous arrêter ici sur ces considérations, nous ne faisons que les indiquer en passant. Nous ajouterons seulement à ce propos deux remarques qui ont leur intérêt : la première, c’est que la conception du « Khalifat », seule base possible de tout « panislamisme » vraiment sérieux, n’est à aucun degré assimilable à celle d’une forme quelconque de gouvernement national, et qu’elle a d’ailleurs tout ce qu’il faut pour dérouter des Européens, habitués à envisager une séparation absolue, et même une opposition, entre le « pouvoir spirituel » et le « pouvoir temporel » ; la seconde, c’est que, pour prétendre instaurer dans l’Islam des « nationalismes » divers, il faut toute l’ignorante suffisance de quelques « jeunes » Musulmans, qui se qualifient ainsi eux-mêmes pour afficher leur « modernisme », et chez qui l’enseignement des Universités occidentales a complètement oblitéré le sens traditionnel ». (Introduction Générale à l’Étude des Doctrines hindoues, Chap. II – Principe d’unité des civilisations orientales). On notera aussi que le Cheikh Muhammad Mâdhî Abu-l-‘Azâ’im (m. 1937), lui-même fervent défenseur de la restauration d’un Khalifat traditionnel, a écrit un ouvrage intitulé « l’Islam est une Patrie (El-Islam Watân) » (expression qui sera ensuite érigé en « devise » par ses successeurs qui éditeront même une revue à ce nom). Le Cheikh Zakî Al-Dîn reprendra d’ailleurs cette formule pour illustrer sa propre conception d’ « el-watân », qui apparaît finalement comme un corrélatif nécessaire de l’idée de « achîrah ». Quant à leur contemporain Ivan Aguéli – Abdul-Hâdî, qui vécu plusieurs années au Caire, il écrivait en 1902 dans la revue l’Initiation : « [L’Islam] met la patrie dans le cœur de l’homme et le dispose à être chez soi partout ». Tout ceci permettra en passant de percevoir un des sens cachés de la sagesse islamique, parfois présentée comme un hadith, qui dit : « L’amour de la Patrie fait partie de la Foi (hubb el-Wâtan mina-l-Îmân) » et qui est trop souvent comprise en référence aux nations modernes et antitraditionnelles . []

par le 18 novembre 2013, mis à jour le 10 juin 2015

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