Position de Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm sur les modes d’enseignement du Maître spirituel dans la Tarîqa Mohammediya Chadhiliya – M.A.S. (art. total)

Il est apparu nécessaire, ne serait-ce que pour compenser certaines informations tronquées ou incomplètes qui ont été récemment diffusées à ce propos mais aussi pour répondre à des demandes sincères qui nous ont été formulées directement, de présenter ici un certain nombre des informations données par Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn lui-même sur les modalités de l’enseignement initiatique au sein de la Tarîqah Mohammediyah Chadhiliyah, de son temps et après lui 1.

Mohammed Abd es-Salâm – Khadîm et-Tarîqah

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« Mon Fils, le Soufisme est une fonction 2, adaptée à chaque époque, à chaque personne et à chaque lieu 3 . C’est une mise en œuvre complète de la mission de vicaire sur terre. La guidance (…) est aussi faite d’effort et de persévérance, et le Cheikh n’est qu’un « indicateur », uniquement (…) 4. Ainsi, celui qui ne travaille pas n’arrivera pas. Et celui qui ne cherche pas l’ascension spirituelle ne verra ni anoblissement, ni élévation de son être : sans marche, nul parcours ! Celui qui compte sur les œuvres qu’il a accomplies, succombera à l’orgueil, puis sera emporté par l’égarement et sera perdu. Je dis à ce sujet :

On me dit : « Faut-il nécessairement un Cheikh à celui qui mène une quête spirituelle (…) ? »
Je réponds : « Y a-t-il jamais eu de nouveau-né sans père ?
Un orphelin peut-il se suffire à lui-même et se passer de soutien ?
As-tu jamais vu un aveugle se passer de guide sur son chemin ?
Y a-t-il une science ou un art sans maître expérimenté ?
Comment marcher dans le désert si l’on est désarmé et étranger ?
La Porte d’Allâh est ouverte, mais qui te dirige (…) vers la Porte ?
Médite les récits de Moïse et son histoire avec le dévot 5.
Médite la mission du Guide, car il recèle un témoignage éternel. »6

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm

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« Après moi vous n’aurez pas de besoin d’un autre cheikh , car je suis votre cheikh vivant (hayyan) ou mort (mayyitan), corporellement puis spirituellement (bi-badanî thumma rûhî) et ce que je vous ai laissé comme écrits (tâlîfât) ou comme enseignements oraux (dirâsât) vous suffira (fîhâ kullu-l-kifâyah) « pour ceux d’entre vous qui veulent se rectifier (an yastaqim) – Coran » (Al-bidayah) 7

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm

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Ô mes fils et mes filles en Allah […], tranquillisez-vous sur le fait que votre père (wâladukum), et je ne dis pas « votre cheikh » (car je ne suis pas parvenu au degré de la maîtrise spirituelle (machaykhah) est avec vous, malgré ses défauts, de tout son cœur et son esprit (bi-kulli ma’nawiyâti-hi al-qalbiyyah wa-r-ruhiyyah) ; il en sera ainsi, avec l’autorisation d’Allah, après Sa rencontre, Exalté soit-Il.

Notre espoir est véridique, certain et total qu’Allah nous fera la générosité de nous faire rejoindre, et ceci par pure grâce et par Sa miséricorde préexistante, les Gens des esprits affranchis (Ahl al-arwâh al-mutlaqah)  dans le monde intermédiaire (barzâkh), si Allah le veut.

Ainsi, notre murîd n’aura pas besoin, après nous, d’un père ou d’un guide (murchîd) sauf sous le rapport de l’habitude et de la coutume administratives et formelles (al-‘urf al-idârî adh-dhâhir) : le taçawwuf, en effet, est une volonté (irâdah) et non une administration (idârah) ; c’est une compréhension profonde (fiqh)  et un commandement (riyâdah8 et non un pouvoir (sultah) ni une présidence (siyâdah) (extrait du dixième et dernier conseil). (Al-Waçâyâ’ / Muharram-1411h)

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm

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Mes fils (abnâ’î) et mes gens (ahlî)

« Ils disent : « qui sont « tes fils » ? Et qui, en vérité,

sont « tes gens » ? Je dis : l’explication est claire (bayân) :

« mes fils » sont les piliers de mon groupe (arkân hizbî)

quant à « mes gens » ce sont mes hérauts (do’âtî), où qu’ils soient.

Celui qui vivifie mon héritage (turâthî) fait ainsi partie de moi (minnî),

même quand le temps (zamân) aura passé ou le lieu (makân) [sera éloigné] »9

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm

 

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« Je suis proche (qarîb) de vous dans ma vie
et après la mort je serai encore plus proche (aqrab) »

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm

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Parole de départ (Hadîth er-rahîl) – extraits

إذَا فَارَقْتُ إخْوَانِي؛ فإنِّي

أُعَايِشُهُمْ، كَأَنِّي مَا مَضَيْتُ

Quand j’aurai quitté mes frères, je cohabiterai (vivrai) avec eux comme si je n’étais pas parti.

 فَلَيْسَ الْمَوْتُ إلاَّ أنْ سَأَحْيَا

حَيَاةً إنْ وَصَلْتُ لَهَا ارْتَقَيْتُ

أُلاَقِي جَدِّيَ الْمُخْتَارَ فِيهَا      وَأَشْيَاخِي، وَمَن بِهِمُ اقْتَدَيْتُ

فَإن أَكُ بَيْنَكُمْ مَيْتاً مُسَجًّى      فَعِندَ الله حَيٌّ مَا انْطَوَيْتُ

Car la mort est une Vie que je vivrai : en y parvenant, j’accèderai à un degré supérieur. J’y rencontrerai mon ancêtre, el-Mukhtâr, mes Maîtres et ceux qui, parmi eux, m’ont servi d’exemple. Si auprès de vous je suis un mort allongé, auprès d’Allah je suis vivant, sans que « la page ne soit tournée ».

13 janvier 2016 – V6

تَرَكْتُ الْمَنْهَجَ الْكَافِي لِمَنْ قَدْ     يُوَفَّقُ فِي الْجِهَادِ كَمَا اشْتَهَيْتُ

فَلَيْسَتْ دَعْوَتِي هَذِي بِمِلْكٍ      لِشَخْصٍ مَا، وَلاَ وَقْفاً عَنَيْتُ

« J’ai laissé une méthode suffisante à celui qui, dans la Guerre spirituelle 2 , correspond à ce que je désirais. Or mon Appel n’est la propriété privée de qui que ce soit ! Ni legs pieux (waqf) que j’aurais voulu ».

 

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm

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Comment rendre compatibles des paroles apparemment contradictoires et pourtant prononcées et écrites, en privé et publiquement, par un même Cheikh, de son vivant, de telle sorte qu’il ne subsiste aucun doute sur leur véridicité, ni dans l’esprit de ses disciples ni dans celui de tout chercheur sincère et honnête ?

Ou plutôt devrait-on se demander, puisqu’elles émanent d’un même cheikh de tarîqah, quelle qu’elle soit, en quoi les paroles en question sont compatibles et ce qu’elles expriment réellement comme sagesse et comme réalité actuelles, plutôt que de vouloir se crisper sans concession à tenir des positions qui sont favorables uniquement à une position, affirmant la nécessité du Maître spirituel dans le sulûk, ou à l’autre, affirmant qu’en absence d’un tel Maître le même objectif est également envisageable par la mise en oeuvre régulière de pratiques substitutives.

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Sur le lien et le rattachement à la Tarîqah Mohammediyah Châdhiliyah

Nous complétons ici ces quelques données générales par d’autres 10 qui concernent le lien qui peut s’établir avec la Tarîqah en précisant que l’aspect évidemment universel qui est évoqué ici ne peut faire oublier ou diminuer l’importance d’un rattachement formel qui, ultimement, concrétise formellement, d’une part, la réalité « organique » nécessaire de tout lien quel qu’il soit avec la silsilah et, d’autre part, assure une conformité harmonieuse avec l’esprit général qui assure la cohérence des aspects intérieurs et extérieurs, comme mentionné ci-dessus : « Notre disciple n’aura pas besoin après nous […] d’un guide (murshîd) si ce n’est sous le rapport de l’habitude et de la coutume administratives et formelles (al-‘urf al-idârî adh-dhâhir) ».

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« Celui qui pratique nos oraisons avec sincérité (çidq) »

« Notre Cheikh [Mohammed Zakî Ibrâhîm] qu’Allah soit Satisfait de lui a déclaré : «En vérité, celui qui pratique nos oraisons (awrâdinâ) avec sincérité (bi-çidq), fût-ce une seule fois dans sa vie, il fait ainsi partie de nous et nous est « attaché » (minnâ wa lanâ), où qu’il soit, de quelque manière que ce soit et dans quelque temps que ce soit ; par cela il acquiert tous les droits (huqûq) de nos frères en Allah, dans la vie et après la mort » (Mafâtih el-Qurb)

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« Celui qui diverge de nous »

« Celui qui diverge  de nous (man khâlafa ‘annâ) ne fait ainsi pas partie de nous (fa-laysa minnâ), même s’il se rattache à nous (intisaba ilaynâ). Quant à sa responsabilité (mas’uliyyatuhu) sur ce qui lui revient, elle est à lui, pas à nous (‘alayhi lâ ‘alaynâ). » (Al-Muslîm)

(à suivre, in châ Allah …)

  1. Voir également, sur le même sujet « Entre sulûk et tabarruk » et « Raréfaction des Maîtres ou des disciples ? » []
  2. Nous traduisons ici assez librement le terme khidmah = service, dont la traduction littérale, bien qu’en elle-même juste et bien-fondée, aurait pu apparaître un peu triviale dans ce contexte, et dans des temps où toute activité à tendance à devenir un « service »… []
  3. Cf. la note 9 : René Guénon affirme à maintes reprises la nécessité d’un Travail personnel et d’une attitude générale actifs ; il précise longuement que ce caractère actif est une caractéristique essentielle qui permet de différencier l’initiation du « mysticisme », principalement marqué par une attitude passive. Cette insistance est également une mise en garde contre les tendances générales passives de l’être humain qui s’expriment et se développent à l’extrême lors de ce que la tradition hindoue désigne par le terme « Kali Yuga », c’est-à-dire à la fin des temps (âkhir el-azmân, en arabe). Il y a donc dans cette affirmation des deux Maîtres contemporains, et comme on va le voir plus loin également, l’indication d’une nécessité en quelque sorte technique, mais également l’expression de la compréhension des conditions cycliques dans lesquelles se déroule le Travail initiatique : « (…) nous devons faire remarquer que, contrairement à une opinion trop répandue actuellement parmi les Occidentaux, l’ésotérisme islamique n’a rien de commun avec le « mysticisme » ; les raisons en sont faciles à comprendre par tout ce que nous avons exposé jusqu’ici. D’abord, le mysticisme semble bien être en réalité quelque chose de tout à fait spécial au Christianisme, et ce n’est que par des assimilations erronées qu’on peut prétendre en trouver ailleurs des équivalents plus ou moins exacts ; quelques ressemblances extérieures, dans l’emploi de certaines expressions, sont sans aucun doute à l’origine de cette méprise, mais elles ne sauraient aucunement la justifier en présence de différences qui portent sur tout l’essentiel. Le mysticisme appartient tout entier, par définition même, au domaine religieux, donc relève purement et simplement de l’exotérisme ; et, en outre, le but vers lequel il tend est assurément loin d’être de l’ordre de la connaissance pure. D’autre part, le mystique, ayant une attitude « passive » et se bornant à recevoir ce qui vient à lui en quelque sorte spontanément et sans aucune initiative de sa part, ne saurait avoir de méthode ; il ne peut donc pas y avoir de tarîqah mystique, et une telle chose est même inconcevable, car elle est contradictoire au fond. De plus, le mystique, étant toujours un isolé, et cela par le fait même du caractère « passif » de sa « réalisation », n’a ni sheikh ou « maître spirituel » (ce qui, bien entendu, n’a absolument rien de commun avec un « directeur de conscience » au sens religieux), ni silsilah ou « chaîne » par laquelle lui serait transmise une « influence spirituelle » (nous employons cette expression pour rendre aussi exactement que possible la signification du mot arabe barakah), la seconde de ces deux choses étant d’ailleurs une conséquence immédiate de la première. La transmission régulière de l’ « influence spirituelle » est ce qui caractérise essentiellement l’ « initiation », et même ce qui la constitue proprement, et c’est pourquoi nous avons employé ce mot plus haut pour traduire taçawwuf ; l’ésotérisme islamique, comme du reste tout véritable ésotérisme, est « initiatique » et ne peut être autre chose ; et, sans même entrer dans la question de la différence des buts, différence qui résulte d’ailleurs de celle même des deux domaines auxquels ils se réfèrent, nous pouvons dire que la « voie mystique » et la « voie initiatique » sont radicalement incompatibles en raison de leurs caractères respectifs. Faut-il ajouter encore qu’il n’y a en arabe aucun mot par lequel on puisse traduire même approximativement celui de « mysticisme », tellement l’idée que celui-ci exprime représente quelque chose de complètement étranger à la tradition islamique ? »  – Aperçus sur l’Esotérisme islamique et le Taoïsme []
  4. Cette précision trouve un écho chez René Guénon dans ses Aperçus sur l’Initiation, qui présente le rôle et la fonction du Maître spirituel en des termes presque identiques (…) et dont on voit qu’ils mettent une fois encore en avant l’importance du Travail effectué par l’initié lui-même et l’importance du caractère actif de celui-ci. []
  5. Il s’agit bien sur d’el-Khidr et de l’histoire coranique connue qui constitue une référence majeure en matière de compagnonnage spirituel. []
  6. Propos général sur le soufisme – Cheikh Mohammed Zaki ed-Dîn []
  7. Trad. Maurice Le Baot. []
  8. Ce terme dérive de la même racine arabe que le titre de « Râ’id » (pionnier, commandant… ) porté par le Cheikh Zakî al-Dîn en tant que dirigeant de la Achîrah Mohammediyyah ; « Vous devez de même savoir que le titre de « pionnier » (ryâdah) est le premier que notre Prophète a décerné pour lui-même le jour où il a proclamé son message. Le Prophète a en effet rassemblé les Quraychites et leur a dit : “Le pionnier (râ’id) ne ment pas à sa famille”, le terme de « râ’id » ayant les sens de : guide (dalîl), conseiller (mourshîd) et connaissant (‘ârîf) » (Les Pactes mineurs (El-’uhûd es-sughrâ) – 22° pacte). []
  9. Version avec notes et présentation ici. []
  10. Cf. « Celui qui pratique nos oraisons avec sincérité » et « celui qui diverge de nous » – Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn – Maurice Le Baot []

par le 9 avril 2012, mis à jour le 13 janvier 2016

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