13 – Que désigne le terme « sirr » en arabe et comment peut-on le traduire en français ?

Réponse d’Olivier Courmes

V1 – 4 sept 2010

En arabe : c’est la réalité intérieure et profonde, cachée, le secret.

Comment traduire le terme de « sirr », appliqué au domaine initiatique, autrement que par l’expression « secret initiatique », « réalité initiatique intérieure, profonde et cachée » ?

Y a-t-il une réponse à cette question dans l’oeuvre de Guénon ?

L’expérience nous a personnellement fait constater que les correspondances éventuelles entre la terminologie de René Guénon et celle qui est utilisée dans le milieu arabo-islamique, lorsqu’elles ne sont pas immédiates et présentées par l’auteur lui-même, sont rendues possibles dans certains cas, à condition de se poser certaines interrogations fondamentales et d’acquérir l’orientation d’esprit qui convient :

  • Pourquoi Cheikh Abd el-Wâhid prend-il la peine d’évoquer telle ou telle chose ?
  • Quelle peut bien être, s’il tant est qu’elle existe réellement, la correspondance en Islam et dans le Taçawwuf, des notions qu’il évoque ?

Lorsque les correspondances n’ont pas déjà été établies auparavant, on ne peut que constater que si rien ne permet nécessairement d’établir les correspondances en question, rien ne l’interdit non plus a priori formellement chez Guénon ou ailleurs ; c’est bien souvent l’absence de l’état d’esprit dont nous parlons plus haut qui rend les choses impossibles.

Il existe au moins deux endroits dans lesquels Guénon lui-même établit, dans ses livres, la correspondance arabo-islamique :

« (…) au sujet de celui-ci [le terme çûfî], il y a lieu tout d’abord de remarquer ceci : c’est que personne ne peut se dire çûfî, si ce n’est par pure ignorance, car il prouve par là même qu’il ne l’est pas réellement, cette qualité étant nécessairement un « secret » (sirr) entre le véritable çûfî et Allah ; on peut seulement se dire mutaçawwuf, terme qui s’applique à quiconque est entré dans la « voie » initiatique, à quelque degré qu’il soit parvenu ; mais le çûfî, au vrai sens de ce mot, est seulement celui qui a atteint le degré suprême. »

L’Esotérisme islamique, Aperçus sur l’Esotérisme islamique et le Taoïsme

« (…) comme le çufî lui-même n’est marqué par aucune distinction extérieure, cette même désignation sera aussi la seule qu’il pourra prendre ou accepter, non point en vertu de considérations purement humaines comme la prudence ou l’humilité, mais parce que son état spirituel constitue véritablement un secret incommunicable
Note : C’est d’ailleurs là, en arabe, un des sens du mot sirr, « secret », dans l’emploi particulier qu’en fait la terminologie « technique » de l’ésotérisme. »

Rose-croix et rosicruciens, Aperçus sur l’Initiation

Ces données semblent donc particulièrement importantes puisque, sans réellement « définir » (et donc limiter, au sens propre) le « sirr », René Guénon établit néanmoins clairement que la détention du « sirr », dans la terminologie du Taçawwuf, désigne et correspond à l’obtention de la Connaissance Suprême de la Voie.

Cette définition a un certain nombre d’avantages, de natures diverses, dont le premier et le plus important semble être qu’il distingue le sirr de tout ce qui n’est pas de l’ordre de la Connaissance initiatique d’une part, et de l’ordre de la Connaissance la plus haute d’autre part (même si, comme on le sait, Guénon montre qu’il existe d’autres sortes de secrets, de nature plus inférieures, qui peuvent également être véhiculés dans certaines organisations initiatiques, sans comparaison avec ce qui est désigné, de manière absolue, comme le Sirr « par excellence », en quelque sorte).

  • Ce n’est donc pas un objet que l’on détiendrait, même si certains objets peuvent offrir dans certains cas une fonction de support pour des influences et des dépôts de natures variées.
  • Ce n’est pas une influence, de quelque nature quelle fût, et il n’est pas donc pas nécessaire de dire que ce que l’on appelle la « voie de tabarruk » serait une voie qui véhiculerait une « barakah-influence » de nature inférieure parce que l’on pense que le sirr serait une « énergie supérieure » ou une sorte de « super-barakah ». (notons, tout à fait secondairement et au passage, que cette dernière conception me semble poser un certain problème de Tawhîd, si l’on se demande qu’elle serait l’origine de l' »influence inférieure » en question, qui serait véhiculée, selon cette conception, dans les « voies de tabarruk » …)
  • Ce n’est pas quelque chose d’ordre magique.
  • Ce n’est pas un symbole, même si l’on peut penser que l’utilisation de symbole peut être lié, d’assez près, dans certains cas au moins, à ce que l’on appelle la « transmission du sirr » ainsi qu’à l’enseignement afférant, c’est-à-dire l’enseignement initiatique effectif.
  • Ce n’est surtout pas quelque chose qui laisse place à la passivité, la connaissance initiatique effective impliquant pour Guénon une activité intérieure incompatible avec toute forme de passivité.

On peut également dire enfin, que ce que nous avons appelé le « sirr par excellence » référant à la Connaissance la plus haute, peut être, en ce sens, qualifié d’unique, comme L’est son Objet ; « et-Tawhîd wâhid » dit en effet l’adage.

Mais ceci n’exclut nullement d’ailleurs que cette Connaissance Suprême puisse être partagée. Cette dernière remarque permettrait de « résoudre » les problématiques relatives à la revendication d’une détention exclusive du Sirr, mais dont l’exclusivité ne tiendrait ainsi en réalité qu’au fait que la revendication en question exclurait uniquement tous ceux qui n’auraient pas atteint le même degré unique de Connaissance Suprême, et non pas ceux qui, ayant réalisé celui-ci, simultanément ou successivement, le partageraient, aussi librement que ceux qui baignent dans la Lumière la partagent également, sans préjudice ni rivalité.

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par le 11 septembre 2010, mis à jour le 11 juillet 2015

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