Qui est salafî ? – M.A.S.

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Ainsi que l’a souligné René Guénon dans son œuvre avec la maîtrise qu’on lui connaît, la capacité de l’influence profane moderne à s’infiltrer par tous les moyens possibles au sein du milieu traditionnel pour le pervertir atteint un degré inégalé dans la période que nous vivons. L’un des moyens les plus puissants et les plus insidieux qu’elle utilise est certainement le détournement des mots, miroirs des idées. On est parfois accablé devant le constat de l’immensité du travail qui se présente à celui qui voudrait restaurer quoi que ce soit en ce domaine, la difficulté s’étant, ces dernières années, doublée du développement exponentiel d’une tendance d’une autre espèce : comment faire comprendre le sens des idées déformées quand la plupart de ceux à qui l’on s’adresse ne connaît plus le sens premier des mots qui les expriment et que l’on constate souvent l’incapacité de lire ou écrire autre chose qu’une sorte de charabia fait de bric et de broc, hasardeusement saisi sur le clavier désert d’une pensée chaque jour plus inconsistante que confuse ?

Au sein de la petite oasis que nous avons à cœur de maintenir sur Le Porteur de Savoir, nous faisons néanmoins, à destination des lecteurs fidèles qui nous font la faveur de nous suivre aimablement, le choix d’insister un peu sur le sens véritable du terme « salafî » dont l’usage largement galvaudé depuis une période relativement récente se généralise outrageusement à la faveur de l’actualité dramatique que l’on connaît 1 .

Il est assez largement bien connu que la désignation des Salaf (notamment dans l’expression Salaf es-sâlih, habituellement rendue par Pieux Prédécesseurs) concerne à la fois la génération contemporaine du Prophète Mohammed ﷺ , celle qui lui a suivi (et-Tâbi’ûn, les Suivants) et celle qui a suivi cette dernière (Tâbi’u-t-Tabi-în, les Suivants des Suivants), l’ensemble constituant les trois premières générations dont la précellence de la valeur a été clairement établie par des ahadîth unanimement reconnus.

Cette qualification s’est naturellement, harmonieusement et pacifiquement étendue, pendant près d’un millénaire sans contestation 2, à ceux qui se réclamaient de l’excellence des conceptions et des pratiques, c’est-à-dire, à tous ceux qui, au sein de la communauté tout entière et sans exclusivisme, étaient en quête de perfection.

C’est précisément à l’encontre des Gens de l’ihsân, c’est-à-dire du Taçawwuf (apparu extérieurement et formellement comme tel après la période prototypique des Salaf es-Sâlih) qu’une tendance réformiste tardive s’est cristallisée dans la seconde partie du 18° siècle avec la volonté de supprimer violemment tout ce qui pouvait caractériser ce qui était qualifié alors d’ « innovation blâmable » (bid’a) et la prétention de s’approprier exclusivement (takfir) la capacité d’accéder à un Islam pur et authentique. Sectaire par définition, ce mouvement de pensée basé sur un littéralisme rigoriste grossier s’est développé de manière monstrueusement tentaculaire au sein de la communauté musulmane sous l’influence du monde moderne profane, accompagné du défilé des divisions multiples qui sont propres à toute forme de conception religieuse protestante, parce que rejetant brutalement l’autorité de ce qu’elle ne peut restreindre à l’intérieur de ses propres limites 3.

Qui donc est pseudo-salafî ?

Et Allah est Plus Savant

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  1. Nous adopterons une méthode minimaliste dans le souci d’aller à l’essentiel et évitant toute perte de temps, in châ Allah []
  2. Avant qu’il ne soit trop tard, les détenteurs des fonctions temporelles de notre monde moderne en crise, s’ils avaient la capacité d’échapper suffisamment à la charge immédiate des extrémismes agressifs, trouveraient certainement un intérêt à favoriser, en ce domaine, ce qui doit l’être et sans quoi rien ne peut être efficace ; mais est-ce encore possible, lorsque l’on constate tant de déferlements ? []
  3. Cf. Islam et Protestantisme – O.C. []

par le 3 juillet 2015, mis à jour le 17 juillet 2015