Tous les disciples parviennent-ils « à se réaliser en Dieu » ? – Souvenirs du Dr Marcel Carret sur le Cheikh al-Alawî (extrait)

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L’extrait suivant des  « Souvenirs » sur le Cheikh al-Alawî du Dr Marcel Carret évoque un aspect de la Voie rarement envisagé et sur lequel nous connaissons peu de témoignages : tous les disciples parviennent-ils « à se réaliser en Dieu » ? 1 La réponse du Cheikh Al-Alawî est d’autant plus précieuse qu’elle émane d’un maître spirituel contemporain unanimement reconnu comme un éducateur parfait (murabbî kâmil) et comme Pôle de son temps. Par sa réponse le Cheikh nous invite à considérer en priorité, en ce qui concerne la réalisation spirituelle effective, les possibilités propres du disciple, indépendamment des moyens mis en œuvre et de l’élévation du Cheikh qui en assure la transmission et le contrôle éventuel, w’Allahu a’lam !

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Comment la renommée du Cheikh était-elle parvenue à s’étendre ainsi au loin ? Car il n’y eut jamais aucune propagande organisée. Les disciples ne cherchaient nullement à faire du prosélytisme. Ils formaient, comme ils forment encore aujourd’hui dans les agglomérations ou ils se trouvent, des petites zaouïas très fermées, dirigées par l’un d’eux investi de la confiance et de l’autorité du Cheikh et qui est le  » Moqadem « . Ces petites confréries s’interdisent, par principe, toute action extérieure, comme si elle était jalouse de garder leur secret. Et cependant l’influence se propage, des candidats à l’initiation se présentent, il en vient de tous les milieux.

J’en exprimais un jour mon étonnement au Cheikh. Il me dit :
 » Viennent ici tous ceux qui se sentent troublés par la pensée d’Allah  »
Et il ajouta ces mots, dignes de l’Évangile :
 » Ils viennent chercher la paix intérieure. »

Ce jour là, je n’osais pousser plus loin mon interrogatoire, par crainte de paraître indiscret. Mais je fis un rapprochement avec les incantations que j’avais entendues parfois, et qui m’avait intrigué. A plusieurs reprises, en effet, au cours de mes visites, pendant que je m’entretenais paisiblement avec le Cheikh, était parvenu jusqu’à nous, de quelque coin éloigné de la zaouïa, le nom d’Allah, lancé sur une note prolongée et vibrante :  » Aa……….llâ……….ah ! « .

C’était comme un appel désespéré, une imploration éperdue, que, du fond d’une cellule, lançait un disciple solitaire, en méditation.

L’appel se répétait d’ordinaire plusieurs fois de suite, puis tout retombait dans le silence.
Des profondeurs de l’abîme.
J’ai élevé ma voix vers toi, Seigneur !
Je crierai vers toi du bout de la terre
Lorsque mon cœur se pâme !
Conduis-moi sur ce rocher
Qui est trop élevé pour moi !

Ces versets de psaumes me reviennent à la mémoire. C’était en somme la même supplication, l’appel suprême d’une âme en détresse vers la Divinité.

Je ne me trompais pas, car plus tard, lorsque je demandais au Cheikh ce que signifiait ce cri qui venait encore de se faire entendre, il me répondit :
 » C’est un disciple qui demande à Allah de l’aider dans sa méditation !  »
 » Et peut-on savoir quel est l’objet de sa méditation ?  »
 » Arriver à se réaliser en Dieu.  »
 » Tous les disciples y parviennent-ils ?  »
 » Rarement. Cela n’est possible qu’à un petit nombre. »
 » Alors ceux qui n’y parviennent pas, restent désespérés ?  »
 » Non ! Ils s’élèvent toujours assez pour avoir au moins la paix intérieure.  »

La paix intérieure, c’était le point sur lequel il revenait le plus souvent. Et c’était à cela sans doute qu’était due sa grande influence. Car quel est l’homme qui n’aspire pas, d’une manière ou d’une autre à la paix intérieure ?

Dr Marcel Carret

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  1. A ce propos également cf. René Guénon, Sur les degrés initiatiques, publié dans les Études Traditionnelles en sept. 1950, repris dans le recueil posthume Initiation et Réalisation spirituelle, chap. XXV. []

par le 29 avril 2015, mis à jour le 29 avril 2015

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