Vertus des lieux Saints de Tunis – Le Maqâm et la Maghârah

 

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بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

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A l’occasion des rites ayant lieu au Maqâm Châdhulî de Tunis, sur le mont du Jallâz, durant les « quatorze semaines » estivales 1 , nous tirons d’un récent article de Lofti Aïssa, enseignant à l’université de Tunis, quelques passages relatifs aux lieux saints de la ville de Tunis, à la tête desquels se trouve la Grotte (Maghârah) et le Sanctuaire (Maqâm) Châdhulî situés sur le mont du Jallâz 2 que nous accompagnerons progressivement de quelques photographies, in châ Allah ! Nous avons revu et annoté la traduction de certains passages quand il nous a paru qu’elle pouvait être améliorée et avons revu la transcription des termes arabes.

Maurice Le Baot

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 « Vertus de la grotte et du sanctuaire » – Extraits

(« Manaqib al-maghâra wal maqâm »)

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 » … حدثني الشيخ…حسن السيجومي [ت 1266] قال رأيت الشيخ الغوث القطب أبي محفوظ محرز بن خلف بن عبد الرحمان بن أبي بكر الصديق رضي الله عنه في جامع الصفصافـ[ة] وهو يقول: بالله لا تتركوا زيارة هذا الجامع سلسلة الأولياء، ما من وليّ لله إلاّ وله قدم وزيارة لهذا الجامع، فإنه كندرة الأولياء في كل وقت. »

…le cheikh Hassan Sijûmî [m  -1266] a dit qu’il a vu le Cheikh, le Secours (ghawth), le Pôle (qutb), Abi Mahfûdh Mahrez Ibn Khalaf  Ibn Abd er-Rahmân Ibn Abi Bakr aç-çiddiq, qu’Allah soit satisfait de lui, à la Mosquée du peuplier (çafçâf) [prés du mont du « Charaf » dans les quartiers sud-ouest de la ville de Tunis], qui disait : « n’abandonnez jamais la visite de cette mosquée, véritable chaîne de sainteté (silsilatu-l-Awliyâ’) ; il n’y a pas de Saint authentique qui ne l’ait visité ; c’est un haut lieu de rencontre (kandarah) des Saints en tous temps.»

 

 » … وحدثني الأجل سيدي أبو العباس أحمد الحبيبي رحمه الله قال: سمعت سيدي علي القرجاني … يوصي أصحابه على هذا الجامع ويقول: أكثروا من الدعاء فيه فانه مقبول. وحدثني الشيخ الأجل سيدي عبد الوهاب رحمه الله أنه قال: جامع الصفصافة كندرة الدعاء ما رأيت قط وليّا إلاّ وهو يدل على زيارته، حتى أنه دفن حوله أربعمائة ولي شهيد. »

 

… le prestigieux cheikh Sidi Abu al-Abbas Ahmed al-Habîbî, que Dieu bénisse son âme, m’a rapporté qu’il a écouté Sidi Alî al-Gorjani … conseiller à ses disciples de se rendre souvent à la dite mosquée et les inciter à y multiplier l’invocation (du’a) car celle-ci y est toujours exaucée. Le prestigieux Cheikh Sidi ‘Abd el-Wahhâb, que Dieu bénisse son âme, m’a rapporté que la Mosquée du peuplier est un haut lieu d’invocation et qu’il n’a jamais vu de saint qui n’incitait à la visiter ; dans son alentour y sont enterrés 400 saints morts en martyrs.»

 

« …وحدثني الشيخ الأجل سيدي سعدون الأسمر …[ت – 1258 ]  قال حدثني سيدي علي القرجاني رحمه الله أن الشيخ سيدي محرز يأتي بالجلاز زائرا بعد صلاة العشاء ليلة الجمعة إلى ثلاثة أماكن جامع الصفصافة وخلوة المركاض وخلوته [الـ]متصلة بكعب السور. »

…le prestigieux cheikh Sidi Sa’dûn al-Asmar [m – 1258] m’a rapporté qu’il a écouté Sidi Alî el-Gorjani – qu’Allah lui fasse miséricorde – dire que le Cheikh Sidî Mahrez allait au Jallâz chaque nuit du vendredi, après la prière de la nuit, puis à trois lieux : La mosquée du peuplier, sa cellule de retraite du Murkâdh3 ainsi que sa cellule de retraite rattachée à l’enceinte de la ville. » 4

 

« …وحدثني الشيخ الأجل سيدي عبد الله الهاشمي رحمه الله تعالى قال: كنت ذات يوم جالسا في الشرف أترحم الأموات إذ أقبل عليّ رجل من الأولياء فقلت له [من أين أتيت] قال: من جبل مراكش أتيت زائرا جبل الجلاز والشرف والخلوة المحرزية لأن الدعاء فيها مستجاب. »

….Le prestigieux cheikh Sidi ‘Abdallah al-Hâchimi que Dieu bénisse son âme m’a rapporté : « j’étais un jour assis dans le [quartier du] Charaf [probablement dans le cimetière d’Al-Gorjani] où j’appelais la Miséricorde sur les morts. Un des Saints d’Allah s’est présenté à moi et je lui ai dit :  » D’où viens-tu ? » ; il me dit « Je suis venu du mont de Marrakech pour visiter le Jallâz, le Charaf et la cellule de retraite de Sidî Mahrez (al-khalwah al-mahreziyyah) parce que les invocations dites dans ces trois lieux sont toujours exaucées. »

V2 – 30 août 2013

« …وحدثني الشيخ الأجل سيدي أبو القاسم الدبّاغ [ ت – 1258 ] رحمه الله قال حكى لي والدي…أن أربعة أماكن بتونس يقصدهم السيد الخضر عليه السلام كل يوم: جامع الزيتونة، ومسجد الصفصافة، وشرف المركاض، وجبل الجلاز. »

…Le prestigieux cheikh Sidi Abu-al-Qâçim Al-Dabbagh [m. 1258] – qu’Allah lui fasse miséricorde –  m’a rapporté que son père lui a raconté que chaque jour le seigneur (as-sayyid) Al-Khidr – que la Paix soit sur lui – rend visite à quatre lieux situés dans la ville de Tunis : la mosquée de la Zaytuna, la mosquée du Peuplier, le cimetière du Murkadh et le mont du Jallâz.»

 

« … وحدثني سيدي تاج الدين الوفاء قال: وجبل زغوان مبيت السائحين، وجبل إشكل مقبل الزاهدين، وجبل المنارة مسكن العابدين، وجبل البكاء ثمرة المعتقدين، ومسجد الصفصافة كندرة الصالحين، وخلوة سيدي محرز حاكم الزائرين، وشرف المركاض ركن للزائر في كل وقت وحين وبالله التوفيق. »

…le cheikh Sidi Taj-al-Dîn al-Wafâ’ m’a raconté que le mont Zaghouan  est le lieu des saints errants (sâ’ihîn), le mont Echkel est la destination des ascètes (zâ’idîn), le mont du Phare 5 est le lieu de résidence des Adorateurs (‘âbidîn) , le mont des Pleurs (jabâlu-l-Bukâ’6 est le fruit des Croyants (al-mu’taqidîn) , la mosquée du Peuplier est le haut lieu de rencontre (kandarah) des Pieux , la cellule de retraite de Sidî Mahrez est  le capteur des  visiteurs (zâ’irîn) et le Charaf al- Mourkadh est un lieu de pèlerinage incessant ; et la réussite (tawfîq) vient d’Allah!

 

« … وقال سيدي محمد الخياط وقفت على رأس الجبل [ ويقصد الجلاز طبعا] أنا وسيدي أبي الحسن الشاذلي…فقال لي: يا خياط سرّ تونس حلة مفصّلة وخياطتها المقام وهو مقام الجلاز الفوقي، وطوقها المغارة، وصدرها محرز بن خلف، وعمامتها الجلاز والشرف، وبرمتها السلسلة، [ ويقصد مقبرة السلسلة القديمة بين بابي بنات والمنارة ] وصدغها رادس، وعطفها جامع الصفصافة، وفصّالها سيدي أبو سعيد الباجي، وجلاّسها زغوان، وختامها شكلي، كمالها المغارة ولابسها فقير عارف شاذلي. »

Sidî Mohammed el-Khayyât m’a rapporté qu’il s’est arrêté en compagnie de Sidi Abu-l-Hassan al-Châdhulî au sommet du mont [du Jallâz] 7 , celui-ci lui a dit :   » Ô, Khayyat, le secret de la ville de Tunis c’est qu’elle est tel un habit, sa couture 8 est le Sanctuaire (Maqâm) qui se trouve en haut du Jallâz (Maqâmu-l-Jallâz el-fawqî9 , son collier est la Grotte (Maghârah)  10 , son buste (çadr) est [le mausolée de] Sidî Mahrez, son turban (‘imamah) est composé du Jallâz et du Charaf, son ourlet est l’ [ancien cimetière] de Silsilah  [au croisement des deux quartiers de Bâb Bnât et de Bâb Mnâra]. Prés de sa tempe se situe la ville de Rades et sur son flanc se trouve la mosquée du peuplier. Son tailleur est Sidî Abû Sa’îd al-Bâjî, son commensal (julâs) est le mont de Zaghouan, son sceau est l’île de Chikli [dans le lac de Tunis] et la Grotte parfait l’ensemble (kamâluhâ11. Celui qui s’en revêt est un pauvre [en Allah] (faqîr), un Connaissant (‘ârif), un Châdhilî 12 .» .

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Le Maqâm Châdhulî surplombant le lac de Tunis

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  1. Ces pratiques se basent sur une vision (ru’ya) du Cheikh Abu-l-Hassan où le Prophète lui a promis qu’il visitera le Maqâm, une fois par an, jusqu’à la fin des temps, en été, la veille d’un vendredi. []
  2. Les passages en question sont extraits du manuscrit intitulé « Vertus de la grotte et du sanctuaire » (« Manaqib al-maghâra wal maqâm » – fond des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Tunis, n°413) dû à un certain Mohammed ibn Al-Ghalî Al-Sahlî. []
  3. Il s’agit de l’endroit où le Cheikh est maintenant enterré. []
  4. Il s’agit certainement de la petite mosquée, en hauteur, qui se situe à l’intérieur de Bâb el-Jadîd, dans laquelle il enseignait le Coran et où se situe également une khalwah. []
  5. Il s’agit de la colline qui accueille aujourd’hui le village de Sidî Bû Sa’îd, du nom du Saint qui y repose, Sidî Abû Sa’îd al-Bâjî – qu’Allah Soit satisfait de lui. []
  6. Nous n’avons pu identifier ce lieu. []
  7. C’est à dire précisément à l’endroit où est établi le sanctuaire (Maqâm) dont il va être question ensuite. []
  8. Il y a ici un lien direct entre le nom du compagnon, el-Khayyât « le couturier », et le symbolisme employé par le Cheikh. []
  9. On remarquera que le Maqâm est désigné ici comme l’endroit qui « se trouve en haut » (fawqî), ce qui est du reste toujours l’usage actuel, puisque pour indiquer qu’ils se rendent précisément à ce lieu, les visiteurs du Jallâz utilisent toujours  le terme tunisien dérivé : « fûq » . La racine du terme arabe « fâq » est l’anagramme exact de la la lettre qâf qui présente un rapport étroit avec le terme Maqâm. René Guénon indique à ce propos : « le nom même de la lettre qâf est […], dans la tradition arabe, celui de la Montagne sacrée ou polaire ; la pyramide, qui est essentiellement une image de celle-ci, porte donc ainsi, par cette lettre […], sa propre désignation comme telle, comme pour ne laisser subsister aucun doute sur la signification qu’il convient de lui reconnaître traditionnellement. De plus, si le symbole de la montagne ou de la pyramide est rapporté à l’« Axe du Monde », son sommet, où est placé cette lettre, s’identifie plus spécialement au Pôle même ; or qâf équivaut numériquement à maqâm [En note : Qâf = 100 + 1 + 80 = 181 ; maqâm = 40 + 100 + 1 + 40 = 181], ce qui désigne ce point comme le « Lieu » par excellence, c’est-à-dire l’unique point qui demeure fixe et invariable dans toutes les révolutions du monde. La lettre qâf est, en outre, la première du nom arabe du Pôle, Qutb, et, à ce titre encore, elle peut servir à le désigner abréviativement, suivant un procédé dont l’emploi est très fréquent » (Cf. « Un hiéroglyphe du Pôle » repris dans Symboles [fondamentaux] de la Science sacrée) . Ceci est d’ailleurs tout à fait concordant avec la fonction polaire attribuée traditionnellement au  Cheikh Abû-l-Hassan Châdhilî et à ses successeurs. []
  10. Celle-ci se trouve en contrebas de la colline du Maqâm. En rapport avec la précédente remarque, on notera que le « coeur » de celle-ci est appelée parfois « la grotte d’ « en bas ». Sur le symbolisme de « la Montagne et la Caverne » cf. l’article de René Guénon du même nom repris par Michel Vâlsan dans les Symboles [fondamentaux] de la Science sacrée, ainsi que tout le chapitre intitulé « Symboles de la forme cosmique ». Michel Vâlsan est revenu sur cette question dans l’appendice de la première édition du recueil, puis dans son article « Le Triangle de l’Androgyne et le monosyllabe « Om » ». L’ensemble est repris dans le volume posthume intitulé « L’islam et la fonction de René Guénon » aux éditions de l’Oeuvre (1984). []
  11. La Grotte apparaît ainsi, en conformité avec la première mention qui fait d’elle le collier de la ville, comme la parure ou le bijou qui rehausse l’ensemble du « costume » et dont la valeur est supérieure à l’ensemble de ses autres composantes, ce qui n’est pas sans rapport non plus avec le symbolisme des pierres « précieuses » et des aérolithes tels la pierre noire en particulier. On remarquera enfin que c’est le lieu le plus « intérieur » à la cité qui la rend parfaite, ce qu’on pourra rapprocher de  certaines narrations qui font d’elle la caverne des « Lumières (Anwâr) et des « Secrets (Asrâr) » et qui indique que « son secret reste lié au Secret d’Allah » ! Sur tout ces aspects symbolique, on prolongera utilement la lecture des articles déjà cités issus des Symboles [fondamentaux] de la Science sacrée , par les chapitres consacrés aux « pierres » (dans la partie « Symbolisme constructif ») ainsi que les trois derniers chapitres de l’ouvrage et tout particulièrement celui qui le clôt : « La Cité Divine ». []
  12. Cette dernière remarque du Cheikh achève de souligner les correspondances symboliques et initiatiques qui relient tout microcosme avec son macrocosme. []

par le 31 mai 2013, mis à jour le 27 novembre 2013

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