René Guénon et la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah

Sur Le Porteur de Savoir

*

Nous avons été amené à évoquer dernièrement l’une des notions exposées par Michel Vâlsan (Cheikh Mostafâ ‘Abd el-‘Azîz) en conclusion d’un article qu’il écrivit à la mort de René Guénon (Cheikh ‘Abd el-Wâhid Yahyâ) à la suite de critiques et de suspicions diverses qui concernaient le caractère régulièrement islamique de ce dernier. Il concluait ainsi l’article en question :

« L’idée traditionnelle telle qu’on la connaît de nos jours en Occident à la suite de l’œuvre de René Guénon, a ainsi historiquement une sûre origine islamique et akbarienne. Cette origine immédiate et particulière n’exclut point qu’elle en ait une autre plus généralement orientale, car l’unité de direction de tout l’ordre traditionnel comporte la participation de facteurs multiples et divers, agissant tous dans une parfaite cohérence et harmonie. L’Islam lui-même apparaît dans l’œuvre de René Guénon par ce qu’il y a en lui de plus essentiel et transcendant, et donc de plus universellement traditionnel. Aussi la première intention, qui est aussi la majeure, de cette œuvre, est, à la faveur d’une reprise de conscience des vérités les plus universelles et les plus permanentes, de rappeler l’Occident à sa propre tradition. Les autres conséquences possibles, quel que soit leur degré de probabilité cyclique, ne viennent logiquement qu’à titre subsidiaire.

Il était dans l’économie la plus normale des choses que, à l’égard de l’Occident moderne, la fonction intellectuelle de la doctrine traditionnelle prenne son appui immédiat dans l’Islam, car celui-ci est l’intermédiaire naturel entre l’Orient et l’Occident, et par cela il est solidaire, même sur le plan extérieur, de tout l’ordre traditionnel terrestre. C’est cela même qui répond à la question qui concernait le rapport entre la position personnelle islamique de René Guénon et sa fonction doctrinale générale.

D’autre part, nous avons trouvé que le sens de son œuvre et les lignes générales de son travail ont été énoncés par son maître le Cheikh Elîsh, qui fut à notre époque une autorité par excellence de l’orthodoxie islamique sous tous les rapports. Ce Cheikh représentait en même temps l’héritage intellectuel du Cheikh al-Akbar Muhy-d-Dîn Ibn Arabî, l‘autorité par excellence du Taçawwuf et de la doctrine islamique. Cela répond à l’autre question relative à l’orthodoxie islamique de l’enseignement de René Guénon. Les critères profonds de l’orthodoxie, comme nous l’avons dit, se trouvent dans l’intelligibilité métaphysique de la doctrine, mais, étant données des incompréhensions comme celles que nous avons mentionnées au début, il est tout de même d’une certaine importance de constater aussi que la procession apparente de l’enseignement de René Guénon et de sa fonction s’inscrit en même temps dans une lignée d’autorités dont le caractère manifeste est l’orthodoxie la plus pure et l’intellectualité la plus universelle.

En prolongement d’un travail que nous avons déjà commencé sur Le Porteur de Savoir, c’est donc bien de l’idée d’une « lignée d’autorités dont le caractère manifeste est l’orthodoxie la plus pure et l’intellectualité la plus universelle », qui termine cette conclusion, que nous voulons souligner l’intérêt. En des temps où l’orthodoxie en question est encore mise à mal et alors que la recherche, la reconnaissance et la réalité des marques de la garantie traditionnelle sont chaque jour plus vitales, nous nous proposons d’étudier ici plus complètement la part de cette « lignée » existant entre René Guénon et son œuvre d’une part et la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah de Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn Ibrâhîm d’autre part.

Étant donnée l’ampleur du sujet, nous distinguerons formellement ce qui concerne le vivant de Cheikh ‘Abd el-Wâhid des prolongements qui ont suivi sa mort, au Caire, le 7 janvier 1951 – rahimahu-Llah :

  • Islam de René Guénon et rattachements de Cheikh ‘Abd el-Wâhid au Taçawwuf islamique
  • De 1912 à 1951
  • Situation à la mort de Cheikh ‘Abd el-Wâhid (1951) – Prolongements immédiats
  • De 1951 à 1998
  • Après la mort de Cheikh Zakî ed-Dîn (1998) – Prolongements contemporains

*

  • Islam de René Guénon et rattachements de Cheikh ‘Abd el-Wâhid au Taçawwuf islamique

C’est approximativement en 1912 (c’est-à-dire il y a à peine plus d’un siècle à ce jour) que Michel Vâlsan situe l’islam de René Guénon et son premier rattachement :

« Après ce début en terre d’Islam [l’Egypte], Abdul-Hâdi [Aguéli] arrivait finalement en France où il rencontra René Guénon qui à la même époque éditait « La Gnose ». C’est là que reprit, en 1910, l’activité d’Abdul-Hâdi par des études et surtout des traductions qui s’étendirent jusqu’à la cessation de cette revue avec le dernier n° de février 1912, époque à laquelle se situe le rattachement de René Guénon à l’Islam et son initiation au Taçawwuf. »

Quant à son second rattachement initiatique, voici ce qu’ajoute, il est vrai avec beaucoup de pertinence, Muhammad Hassan Chadli dans son étude, mais sans datation :

« Nous savions jusqu’ici que « René Guénon reçut son initiation islamique de la part d’un maître qui lui-même était nourri à l’intellectualité et à l’esprit universel du Cheikh al-Akbar : il s’agit du Cheikh égyptien Elîsh el-Kebir » 122 . La mention expresse d’un second pacte, toujours au sein de la Shâdhiliyya, mais fait cette fois sans intermédiaire – puisque c’est ‘Abdu-l-Hâdî (Aguéli) qui lui avait transmis le rattachement de la part du Cheikh Elîsh – , aurait dû susciter tout de même quelque intérêt de la part des « guénoniens » arabisants, semble-t-il. (…) Reportons-nous à ce qu’affirmait ‘Abd al-Halîm Mahmûd, futur recteur d’El-Azhar 126, au début de son étude, à propos du Cheikh ‘Abd al-Wâhid Yahyâ, « Il est de ceux qui ont pris le pacte initiatique shâdhilite (al-‘ahd ash-shâdhilî) . Il l’a pris de la main (‘alâ yad) du connaissant par Allâh (al-‘ârif bi-Llâh) 127, le regretté Cheikh Salâma ar-Râdî . »

Ainsi, et aussi curieux que cela puisse paraître, nous sommes bien obligé de reconnaître qu’il existe peu d’endroits où l’on mentionne ce double rattachement ; et peu d’endroits aussi où l’on réfléchisse à ce que cela impliquait effectivement en termes d’héritage. Sans écarter que l’on puisse un jour s’intéresser à d’éventuels aspects disciplinaires et méthodiques, nous nous contenterons, conformément à l’objectif annoncé de la présente étude, de rechercher les conséquences directes et indirectes que ces deux transmissions ont eues sous le simple rapport des silsilah et des turûq concernées.

(Suite et référencements progressifs à venir, in châ Allah)

*

par le 22 août 2014, mis à jour le 25 août 2015

Mots clés : , , , , ,