Rappels sur la dégénérescence et les adaptations cycliques – M.L.B.
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Comme l’expose René Guénon, la transmission au sein d’une organisation initiatique n’est pas exclusive d’une certaine adaptation :
1. à l’égard d’un individu en particulier, dans le cadre d’un enseignement personnel 1 .
2. à l’échelle collective afin de tenir compte de conditions cycliques nouvelles 2.
La publication récente sur le Porteur de Savoir de documents relatifs à l’adaptation méthodique de l’enseignement des Maîtres spirituels en Islam et l’amorce d’un travail de réflexion sur ce sujet, nous amènent à revenir plus en détail sur les notions de « dégénérescence» et d’« adaptation» cycliques telles qu’elles apparaissent dans l’œuvre de René Guénon – Cheikh Abd el-Wâhid Yahyâ 3 .
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Selon la tradition hindoue à laquelle l’auteur se réfère essentiellement concernant la doctrine des cycles, « la durée d’un cycle humain, auquel elle donne le nom de Manvantara, se divise en quatre âges, qui marquent autant de phases d’un obscurcissement graduel de la spiritualité primordiale; ce sont ces mêmes périodes que les traditions de l’antiquité occidentale, de leur côté, désignaient comme les âges d’or, d’argent, d’airain et de fer4. Chacun des « âges » de la présente humanité est ainsi marqué « par une dégénérescence par rapport à celle qui l’a précédée ; et ceci […] s’oppose directement à l’idée de « progrès » telle que le conçoivent les modernes »5. Le développement de toute manifestation implique en effet nécessairement « un éloignement de plus en plus grand du principe dont elle procède ; partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas, et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse sans cesse croissante, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin un point d’arrêt. Cette chute pourrait être caractérisée comme une matérialisation progressive, car l’expression du principe est pure spiritualité »6.
Comme l’indique l’auteur au début de sa « Crise du monde moderne », « nous sommes présentement dans le quatrième âge, le Kali-Yuga ou « âge sombre », et nous y sommes, dit-on, depuis déjà plus de six mille ans, c’est-à dire depuis une époque bien antérieure à toutes celles qui sont connues de l’histoire « classique ». Depuis lors, les vérités qui étaient autrefois accessibles à tous les hommes sont devenues de plus en plus cachées et difficiles à atteindre; ceux qui les possèdent sont de moins en moins nombreux, et, si le trésor de la sagesse « non humaine », antérieure à tous les âges, ne peut jamais se perdre, il s’enveloppe de voiles de plus en plus impénétrables, qui le dissimulent aux regards et sous lesquels il est extrêmement difficile de le découvrir »7.
Ce qui vient d’être rappelé concernant le développement de la manifestation « présente une vue qui, pour être exacte dans l’ensemble, est cependant trop simplifiée et schématique, en ce qu’elle peut faire penser que ce développement s’effectue en ligne droite, selon un sens unique et sans oscillations d’aucune sorte; la réalité est bien autrement complexe. En effet, il y a lieu d’envisager en toutes choses, comme nous l’indiquions déjà précédemment, deux tendances opposées, l’une descendante et l’autre ascendante, ou, si l’on veut se servir d’un autre mode de représentation, l’une centrifuge et l’autre centripète et de la prédominance de l’une ou de l’autre procèdent deux phases complémentaires de la manifestation, l’une d’éloignement du principe, l’autre de retour vers le principe, qui sont souvent comparées symboliquement aux mouvements du coeur ou aux deux phases de la respiration. Bien que ces deux phases soient d’ordinaire décrites comme successives, il faut concevoir que, en réalité, les deux tendances auxquelles elles correspondent agissent toujours simultanément, quoique dans des proportions diverses ; et il arrive parfois, à certains moments critiques où la tendance descendante semble sur le point de l’emporter définitivement dans la marche générale du monde, qu’une action spéciale intervient pour renforcer la tendance contraire, de façon à rétablir un certain équilibre au moins relatif, tel que peuvent le comporter les conditions du moment, et à opérer ainsi un redressement partiel, par lequel le mouvement de chute peut sembler arrêté ou neutralisé temporairement »8 .
Ce qu’il importe surtout de retenir à notre point de vue, c’est que le développement de la manifestation n’est pas linéaire, et qu’il comprend nécessairement certains « redressements » dont les conséquences peuvent d’ailleurs être de différentes natures (sociales, religieuses, initiatiques). Quelles que soient les apparences, il faut bien comprendre par ailleurs qu’un véritable redressement prend toujours son origine dans le domaine spirituel car la tendance « ascendante » dont parle l’auteur procède directement de cette sagesse « non humaine » qui n’est autre que la Connaissance métaphysique pure9 .
Un tel redressement est de plus susceptible revêtir plusieurs formes : il peut s’agir principalement de l’instauration d’une nouvelle tradition, de l’apparition de nouvelles voies spirituelles au sein de formes traditionnelles déjà constituées ou encore d’une adaptation partielle de méthodes initiatiques préexistantes par les représentants qualifiés et réguliers de l’ « autorité spirituelle ». Cependant, depuis l’avènement de la tradition islamique, « forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle actuel10 « , seules les deux dernières possibilités subsistent.
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Dans l’ordre humain les deux possibilités mentionnées ci-dessus sont « incarnées » respectivement par le Maître fondateur d’une voie initiatique particulière et ses successeurs autorisés: au premier revient une adaptation cyclique majeure de la doctrine caractérisée par l’instauration de nouveaux moyens initiatiques11 et aux seconds une série d’adaptations mineures des formes rituelles et de la méthode initiatique qui s’inscrivent nécessairement dans la perspective doctrinale spécifique héritée du fondateur12 .
Souvenons-nous cependant, comme l’a opportunément rappelé Olivier Courmes, que « tout en ayant validé la possibilité de procéder à une part d’adaptation des formes rituelles employées, René Guénon élimine la possibilité de leur changement radical [par les successeurs réguliers du Maître fondateur] en ce qu’elles ont d’essentiel »13 . Ceci vaut d’ailleurs également pour l’enseignement doctrinal dans lequel s’enracine nécessairement toute pratique rituelle, ainsi que nous l’avons rappelé dans une précédente note. En effet, « l’immutabilité de la doctrine en elle-même ne fait obstacle à aucun développement ni à aucune adaptation, à la seule condition qu’ils soient toujours en stricte conformité avec les principes, mais aussi, en même temps, que rien de tout cela ne constitue jamais des « nouveautés », puisqu’il ne saurait en tout cas s’agir d’autre chose que d’une « explication » de ce que la doctrine impliquait déjà de tout temps, ou encore d’une formulation des mêmes vérités en termes différents pour les rendre plus aisément accessibles à la mentalité d’une époque plus « obscurcie ». Ce qui pouvait tout d’abord être saisi immédiatement et sans difficulté dans le principe même, les hommes des époques postérieures ne surent plus l’y voir, à part des cas exceptionnels, et il fallut alors suppléer à ce défaut général de compréhension par un détail d’explications et de commentaires qui jusque-là n’étaient nullement nécessaires »14 .
On peut voir ici l’importance et la nécessité d’une certaine « reformulation » de l’enseignement traditionnel qui risquerait sinon de ne plus être compris. « Reformulation » ne veut cependant pas dire « vulgarisation », ni « simplification » ; on ne saurait en effet légitimement prétendre faire subir un tel traitement à la doctrine traditionnelle, c’est-à-dire prétendre la mettre « à la portée de tout le monde » ce qui reviendrait « à vouloir abaisser la connaissance jusqu’au niveau des intelligences les plus inférieures. Il ne serait que trop facile de montrer les inconvénients multiples que présente, d’une façon générale, la diffusion inconsidérée d’une instruction qu’on prétend distribuer également à tous, sous des formes et par des méthodes identiques, ce qui ne peut aboutir, comme nous l’avons déjà dit, qu’à une sorte de nivellement par en bas : là comme partout, la qualité est sacrifiée à la quantité »15 . Au contraire, l’enseignement initiatique véritable « dans son universalité, doit comprendre, comme autant d’applications, en variété indéfinie, d’un même principe transcendant, toutes les voies de réalisation qui sont propres, non seulement à chaque catégorie d’êtres, mais aussi à chaque être individuel considéré en particulier »16 .
Un tel travail de « reformulation » vise donc à offrir à ceux qui sont toujours qualifiés pour l’initiation, et dont le nombre va sans cesse en décroissant, un support initiatique régulier et qualitatif, adapté à leur état, qui soit susceptible de les amener à une compréhension effective de la doctrine traditionnelle, la condition sine qua non pour cela étant que l’enseignement transmis à l’initié soit toujours traditionnellement « constitué de telle façon qu’il s’ouvre sur des possibilités réellement illimitées, et qu’ainsi il lui permette d’étendre indéfiniment ses conceptions, en largeur et en profondeur tout à la fois, au lieu de les enfermer, comme le fait tout point de vue profane, dans les limites plus ou moins étroites d’une théorie systématique ou d’une formule verbale quelconque »17 .
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D’une manière générale, « les aptitudes à parvenir directement à la pure connaissance devenant toujours plus rares, il fallut ouvrir d’autres « voies » mettant en oeuvre des moyens de plus en plus contingents, suivant en quelque sorte, pour y remédier dans la mesure du possible, la « descente » qui s’effectuait d’âge en âge dans le parcours du cycle de l’humanité terrestre. Ainsi, pourrait-on dire, celle-ci reçut, pour atteindre ses fins transcendantes, des facilités d’autant plus grandes que son niveau spirituel et intellectuel s’abaissait davantage, afin de sauver tout ce qui pouvait l’être encore, en tenant compte des conditions déterminées inévitablement par la loi du cycle.18 » Le processus d’adaptation des moyens initiatiques apparaît ainsi comme la manifestation providentielle d’un principe de « compensation » cyclique qui trouve son expression la plus caractéristique dans la période finale du cycle, dans laquelle nous nous trouvons, et qui est généralement connue comme la « fin des temps » (akhir al-zamân en arabe)19 .
Extérieurement, si les moyens mis en œuvre, « dans lesquels il faut naturellement comprendre, que ce soit à titre principal ou simplement accessoire, les rites de tout genre, paraissent […] revêtir un certain caractère de « nouveauté » par rapport à ceux qui les ont précédés, c’est qu’il n’y avait pas lieu de les envisager dans les époques antérieures, si ce n’est peut-être à titre de pures possibilités, puisque les hommes n’en avaient alors aucun besoin et qu’ils disposaient d’autres moyens qui convenaient mieux à leur nature »20 . Ces adaptations, doctrinales ou rituelles, contrairement à ce que profèrent certains pseudo-réformateurs partisans d’une « simplification » ou « vulgarisation » dont nous avons rappelé l’incompatibilité foncière des positions avec la doctrine traditionnelle21 , « ne constitue[nt] pas davantage une « apparition » spontanée ou une « innovation» quelconque, puisque, dans ce cas également, il ne peut jamais s’agir réellement que d’une application des principes, donc de quelque chose qui avait en ceux-ci une préexistence au moins implicite, et qu’il était toujours possible, par conséquent, de rendre explicite à n’importe quel moment, à supposer qu’il y ait eu quelque raison de le faire ; mais, précisément, cette raison ne se trouve en fait que dans les circonstances contingentes qui conditionnent une époque déterminée. »22 . Ces courants auxquels nous faisons allusions considèrent ainsi abusivement la plupart des adaptations traditionnelles comme étant, en elles-mêmes, des dégénérescences. On constate par ailleurs que ce point de vue, signe d’un esprit contaminé par la mentalité moderne et anti-traditionnelle, est largement répandu, y compris dans certains milieux initiatiques, en Occident en particulier, où les critères de la régularité traditionnelle ne sont plus connus, ou que de manière très partielle, et apparaissent de plus en plus comme l’apanage d’une minorité23 .
Nous parlons ici de régularité car c’est effectivement le critère décisif qui permet de différencier une adaptation véritable d’une dégénérescence, celle-ci se caractérisant justement, comme l’a rappelé Olivier Courmes, à la suite de René Guénon, par une « rupture avec la tradition », c’est-à-dire une perte de régularité dans la « conservation et la transmission de l’influence spirituelle »24 .
De manière significative, les courants mentaux ainsi générés amènent immanquablement l’abandon pratique et le discrédit d’une part plus ou moins importante des dites adaptations traditionnelles, privant bien souvent dans les faits certains initiés de moyens régulièrement véhiculés au sein des organisations auxquelles ils appartiennent. D’un autre coté, il est parfois difficile de saisir, a priori, en quoi peuvent consister de telles adaptations. Nous pensons donc que quelques exemples ne seront pas inutiles afin d’illustrer notre propos.
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Une des premières conséquences de la descente cyclique fût la nécessité du rattachement initiatique, c’est-à-dire de la réception régulière d’une influence spirituelle comme préalable à toute réalisation spirituelle.
En effet, comme l’explique René Guénon, » la nécessité du rattachement initiatique est, non pas une nécessité de principe, mais seulement une nécessité de fait, qui ne s’en impose pas moins rigoureusement dans l’état qui est le nôtre et que, par conséquent, nous sommes obligés de prendre pour point de départ. D’ailleurs, pour les hommes des temps primordiaux, l’initiation aurait été inutile et même inconcevable, puisque le développement spirituel, à tous ses degrés, s’accomplissait chez eux d’une façon toute naturelle et spontanée, en raison de la proximité où ils étaient à l’égard du Principe ; mais, par suite de la « descente » qui s’est effectuée depuis lors, conformément au processus inévitable de toute manifestation cosmique, les conditions de la période cyclique où nous nous trouvons actuellement sont tout autres que celles là, et c’est pourquoi la restauration des possibilités de l’état primordial est le premier des buts que se propose l’initiation »25.
On sait par ailleurs que « le véritable guru ou maître26 se trouve dans l’homme lui-même et non point dans le monde extérieur, quoiqu’une aide extérieure puisse être utile au début, pour préparer l’homme à trouver en lui et par lui-même ce qu’il ne peut trouver ailleurs et particulièrement ce qui est au-dessus du niveau de la connaissance rationnelle27 ». A ce titre, l’homme primordial (al-insân al-qadîm en arabe), n’a « nul besoin de l’aide d’un Guru extérieur et humain, puisqu’en réalité, l’action du véritable Guru intérieur opère en lui dès le début »28, la nécessité de recourir à l’enseignement d’un « Maître vivant », c’est-à-dire à « un « subsitut » provisoire29», une « représentation extériorisée et comme « matérialisée »30du véritable « Guru intérieur »31 n’étant due qu’à « ce que l’initié, tant qu’il n’est pas parvenu à un certain degré de développement spirituel est incapable d’entrer directement en communication consciente avec celui-ci ». Ce « degré de développement spirituel » est justement celui de l’ « homme primordial » qui se caractérise principalement par « la renonciation au mental », c’est-à-dire à « l’ensemble des facultés de connaissance qui sont spécifiquement caractéristiques de l’individu humain (désigné aussi lui-même, dans diverses langues, par des mots ayant la même racine) et dont la principale est la raison »32.
La nécessité du rattachement initiatique ainsi que celle de recourir à l’enseignement d’un Guru humain peuvent ainsi être considérées comme deux adaptations traditionnelles majeures, chacune d’elles étant en réalité liée à l’autre puisque le rôle essentiel du Guru humain, « celui qui rend son intervention rigoureusement indispensable, est avant tout d’assurer la transmission initiatique régulière » de l’influence spirituelle33 .
A notre époque cependant, il se peut que l’initiation proprement dite soit « conférée par quelqu’un qui ne possède pas les qualités requises pour remplir la fonction d’un Maître spirituel34 ». En effet, « si les deux fonctions sont normalement réunies là où les institutions traditionnelles n’ont subi aucun amoindrissement, elles sont bien loin de l’être toujours en fait dans les conditions actuelles35 ». Dans ce cas, un tel initiateur peut-être « être assimilé proprement à un upaguru36 ». Le terme upaguru, selon la tradition hindoue à laquelle Guénon emprunte ce terme, indique qu’un tel être « n’a qu’un rôle accessoire et subordonné, qui, au fond, pourrait être considéré comme celui d’un auxiliaire du véritable Guru [humain ou Intérieur]37 » . Nous avons établi par ailleurs38 qu’un tel upaguru, sans pouvoir se substituer à celui d’un Maître spirituel véritable, et à la condition expresse qu’il dispose des autorisations traditionnelles correspondantes, pouvait cependant constituer un « prolongement » effectif et vivant de la méthode et de l’enseignement initiatiques hérités des Maîtres précédents et par delà eux, du Maître fondateur de la voie39 .
A ce propos, si l’on considère, à la suite de René Guénon, qu’il est de plus en plus difficile à notre époque de trouver un Maître spirituel véritable et que ceux qui parviennent à la réalisation de l’ « Etat primordial », c’est-à-dire qui sont capables d’être en relation directe avec le Maître intérieur, sont extrêmement rares , le rôle d’ un tel upaguru se trouve mis en exergue d’une manière particulièrement remarquable et, au-delà de lui, l’ensemble des possibilités « substitutives » à la présence d’un maître spirituel réalisé et corporellement vivant40 . Ces dernières ont d’ailleurs fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des autorités traditionnelles de l’ésotérisme et ce depuis bien plus longtemps que l’on ne se l’imagine habituellement. A ce titre, elles méritent d’être considérées pour ce qu’elles sont réellement : une aide effective à la réalisation spirituelle et un témoignage vivant de la persistance de l’enseignement initiatique à la fin des temps.
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V7 / 14 août 2012 – Note 7
- De manière générale, cette adaptation est nécessitée par la diversité des natures individuelles ; on dit à ce propos dans le Taçawwuf que « les voies vers Dieu sont aussi nombreuses que les âmes des hommes » (et-turûqu ila ‘Llahi ka-nufûsi banî Adam) » Cf. René Guénon, « L’ésotérisme islamique » repris dans Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme. [↩]
- Cf. Le « Mandat du Ciel » et les « qualifications du transmetteur ». Les deux aspects évoqués ici sont en réalité étroitement solidaires et peuvent être conçus comme « les deux faces d’une même médaille », d’une part l’individu est nécessairement affecté par les conditions du « milieu » et du « temps » et d’autre part la collectivité n’est qu’une extension de l’individualité. Sur ces différents aspects cf. « L’être et le milieu » (René Guénon – La Grande Triade), « Travail collectif et présence spirituelle » (Initiation et réalisation spirituelle) et « La prière et l’incantation » (Aperçus sur l’initiation) [↩]
- Sauf indication contraire, les ouvrages et articles mentionnés dans la suite du présent article sont tous de cet auteur [↩]
- La crise du monde moderne(ch. I) [↩]
- « Quelques remarques sur la doctrine des cycles cosmiques » repris dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques [↩]
- La crise du monde moderne (ch. I) [↩]
- La crise du monde moderne(ch. I). Immédiatement après ce passage, Guénon précise que : « C’est pourquoi il est partout question, sous des symboles divers, de quelque chose qui a été perdu, en apparence tout au moins et par rapport au monde extérieur, et que doivent retrouver ceux qui aspirent à la véritable connaissance ; mais il est dit aussi que ce qui est ainsi caché redeviendra visible à la fin de ce cycle, qui sera en même temps, en vertu de la continuité qui relie toutes choses entre elles, le commencement d’un cycle nouveau« . Dans l’ésotérisme islamique, certaines autorités évoquent en effet, depuis plusieurs siècles déjà, la disparition (faqd) des Maîtres spirituels. Mohammed ‘Abd es-Salâm a indiqué à ce propos que « l’utilisation du terme faqd réfère à l’absence actuelle de quelque chose ou de quelqu’un qui a été présent : on parle ainsi de la disparition d’un être ou d’un livre épuisé (mafqoûd). On voit donc, […] qu’il ne s’agit pas ici simplement de raréfaction, qui impliquerait que ce dont on parle n’a pas encore totalement disparu » mais bien de quelque chose qui a été « perdu » comme l’indique René Guénon ainsi que le sens premier du terme arabe utilisé. Cette perte n’a cependant qu’un caractère apparent, elle ne concerne en effet que les supports d’enseignement extérieurs et non la « véritable connaissance » qui persiste, de manière plus ou moins cachée, jusqu’à la fin du cycle où elle redevient alors « visible ». On comprend mieux ainsi l’affirmation de Guénon, dans certains de ses articles sur l’initiation, de la nécessaire – et finalement jamais vraiment explicitée – persistance de l’enseignement au sein des organisations initiatiques ainsi que le fait que, bien souvent, les mêmes Maîtres qui évoquent cette « perte » confirment en même temps les traditions qui assurent la persistance des Maîtres réalisés jusqu’à la fin des temps, fûssent-ils de plus en plus rares et de moins en moins accessibles. [↩]
- La crise du monde moderne (ch. I) [↩]
- Dans la tradition hindoue, cette tendance « ascendante » correspond au guna sattwa , « la conformité à l’essence pure de l’Être (Sat), qui est identique à la lumière de la Connaissance (Jnâna) ». Sur tout ceci cf. notamment Le symbolisme de la Croix, Chap. V [↩]
- « Les Mystères de la lettre Nûn » repris dans Symboles [Fondamentaux] de la Science Sacrée [↩]
- Nous nous exprimons ainsi afin de mieux faire comprendre l’étendue de cette « adaptation », même si en réalité « la doctrine n’est jamais envisagée comme une simple théorie se suffisant à elle-même, mais comme une connaissance qui doit être réalisée effectivement et, de plus, elle comporte des applications qui s’étendent à toutes les modalités de la vie humaine sans aucune exception» et notamment donc dans l’ordre rituel. Pour le lecteur intéressé par cette question, nous avons déjà étudié ailleurs certaines des conséquences sur le plan « technique » qui découlent de cette conception de la doctrine et plus particulièrement concernant l’exercice d’une « fonction d’enseignement ». [↩]
- Ces deux modalités peuvent être rattachées aux notions de transmission « verticale » et « horizontale » décrites par Guénon dans ses Aperçus sur l’initiation, ainsi que nous l’avons fait remarquer dans l’étude citée en note 1. Par ailleurs, dans un des textes que nous avons récemment reproduit sur le forum du Porteur de Savoir, le Cheikh al-Hachimî (Khalîfah du célèbre cheikh Ahmad el-Alawi el-Mustagnâmî et représentant (na’îb) de la ‘Achîrah Mohammediyyah de l’Imâm er-Raîd Mohammed Zâkî Ibrâhîm) fait état de six turuq permettant de connaître ses défauts et de les corriger, la première de ces turuq étant le recours à un Cheikh réalisé, les suivantes ayant pour vocation de s’y substituer lorsque celui-ci fait défaut, en fonction des possibilités propres de l’ « être » et du « milieu » . Nous avons indiqué d’autre part que la classification du Cheikh al-Hachimî à un précédent célèbre dans l’Ihya ‘ulum al-dîn de l’Imâm Ghazalî. Le terme arabe turuq, utilisé par ces deux Maîtres, est rendu, dans la traduction de l’Echiquier des Gnostiques par Jean-Louis Michon, par celui de « modalités » et de « moyens ». Il s’agit en fait du pluriel de tarîqah qui signifie littéralement « la voie » ou le « chemin » et par extension la « méthode » pour faire quelque chose. A ce titre, Guénon a fait remarquer dans son article « Doctrine et méthode » (repris dans Initiation et réalisation spirituelle) que « dans les pays de langue arabe, il est passé en expression proverbiale de dire que « chaque cheikh a sa tarîqah, » pour dire qu’il y a de nombreuses façons de faire une même chose et d’obtenir un même résultat »). Dans les deux cas précités, on peut considérer qu’il s’agit plutôt d’adaptations de la méthode au sein de voies initiatiques préexistantes que de l’ouverture d’une voie nouvelle [↩]
- « Transmission et régularité » [↩]
- « Le cinquième Vêda » repris dans Etudes sur l’Hindouisme [↩]
- Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps (Chapitre XI) [↩]
- Aperçus sur l’initiation, Ch. XXXI [↩]
- Aperçus sur l’initiation, Ch. XXXI. Sous ce rapport, notons que René Guénon insiste souvent aussi, d’une manière ou d’une autre, à dire que « l’enseignement initiatique, extérieur et transmissible dans des formes, n’est en réalité et ne peut être, nous l’avons déjà dit et nous y insistons encore, qu’une préparation de l’individu à acquérir la véritable connaissance initiatique par l’effet de son travail personnel » (Ibid.) [↩]
- « Le cinquième Vêda » [↩]
- Cette compensation est illustré par un hadith bien connu « qui enseigne qu’au début de l’islam celui qui omet un dixième de la Loi sera damné, alors que dans les derniers temps celui qui en accomplira le dixième sera sauvé » (selon Michel Vâlsan, cf. « Le Livre du nom de Majesté « Allah » » in Etudes Traditionnelles (Décembre 1948, avant-dernière note de la traduction. L’Imâm Qurtubî donne, dans sa Tadhkirah, le texte suivant, selon Tirmidhî qui le rapporte d’Abû Horeïrah : » Innakum fî zamânin man taraka minkum ‘uchr mâ umira bihi halaka wa ya’tî alâ en-nâs zamân man ‘amila minhum bi’uchri mâ umira bihi najâ« ). [↩]
- « Le cinquième Vêda » [↩]
- Nous ne résistons pas à reproduire le passage suivant du Règne de la Quantité et les Signes des Temps (Chapitre XI ) qui, bien que s’appliquant plus particulièrement à l’ordre religieux, présente un intérêt certain pour mieux comprendre certaines positions « doctrinales » contemporaines, comme par exemple, celles des courants idéologiques prétendument « salafi » (c’est-à-dire prônant un soi-disant « retour aux origines ») qui, depuis maintenant près de trois siècles, ont largement pénétré la communauté musulmane :
« Toute tradition contient dès son origine la doctrine tout entière, comprenant en principe la totalité des développements et des adaptations qui pourront en procéder légitimement dans la suite des temps, ainsi que celle des applications auxquelles elle peut donner lieu dans tous les domaines ; aussi les interventions purement humaines ne peuvent-elles que la restreindre et l’amoindrir, sinon la dénaturer tout à fait, et c’est bien là, en effet, ce en quoi consiste réellement l’œuvre de tous les « réformateurs». Ce qui est encore singulier, c’est que les « modernistes » de tout genre (et ici nous n’entendons pas parler seulement de ceux de l’Occident, mais aussi de ceux de l’Orient, qui ne sont d’ailleurs que des « occidentalisés »), en vantant la simplicité doctrinale comme un « progrès » dans l’ordre religieux, parlent souvent comme si la religion devait être faite pour des sots, ou tout au moins comme s’ils supposaient que ceux à qui ils s’adressent doivent forcément être des sots ; croit-on, en effet, que c’est en affirmant à tort ou à raison qu’une doctrine est simple qu’on donnera à un homme tant soit peu intelligent une raison valable de l’adopter ?
Ce n’est là, au fond, qu’une manifestation de l’idée « démocratique » en vertu de laquelle, comme nous le disions plus haut, on veut aussi mettre la science « à la portée de tout le monde » ; et il est à peine besoin de faire remarquer que ces mêmes « modernistes » sont aussi toujours, et par une conséquence nécessaire de leur attitude, les adversaires déclarés de tout ésotérisme ; il va de soi que l’ésotérisme, qui par définition ne s’adresse qu’à l’élite, n’a pas à être simple, de sorte que sa négation se présente comme la première étape obligée de toute tentative de simplification. Quant à la religion proprement dite, ou plus généralement à la partie extérieure de toute tradition, elle doit assurément être telle que chacun puisse en comprendre quelque chose, suivant la mesure de ses capacités, et c’est en ce sens qu’elle s’adresse à tous ; mais ce n’est pas à dire pour cela qu’elle doive se réduire à ce minimum que le plus ignorant (nous ne l’entendons pas sous le rapport de l’instruction profane, qui n’importe aucunement ici) ou le moins intelligent peut en saisir ; bien au contraire, il doit y avoir en elle quelque chose qui soit pour ainsi dire au niveau des possibilités de tous les individus, si élevées qu’elles soient, et ce n’est d’ailleurs que par là qu’elle peut fournir un « support » approprié à l’aspect intérieur qui, dans toute tradition non mutilée, en est le complément nécessaire, et qui relève de l’ordre proprement initiatique. Mais les « modernistes », rejetant précisément l’ésotérisme et l’initiation, nient par là même que les doctrines religieuses portent en elles-mêmes aucune signification profonde ; et ainsi, tout en prétendant « spiritualiser » la religion, ils tombent au contraire dans le « littéralisme » le plus étroit et le plus grossier, dans celui dont l’esprit est le plus complètement absent, montrant ainsi, par un exemple frappant, qu’il n’est souvent que trop vrai que, comme le disait Pascal, « qui veut faire l’ange fait la bête » ! » [↩]
- « Le cinquième Vêda » [↩]
- Ceci vaut d’ailleurs pour tout ce qui se rapporte aux connaissances « techniques » concernant l’initiation en général. Voir à ce propos notre note additionnelle sur la « préparation doctrinale ». [↩]
- Cf. « Transmission et régularité ». Nous rappelons au lecteur que l’influence spirituelle est véhiculée par les rites mais aussi par la doctrine. Sur ce point cf. Doctrine et infaillibilité traditionnelle et La fonction d’enseignement: « une autre sorte d’infaillibilité ». [↩]
- Initiation et réalisation spirituelle, Chap. V [↩]
- L’expression correspondante dans le texte arabe original de l’article est celle de « al-cheikh al-haqîqî ». Sur l’usage du terme guru, nous indiquions dans l’avant-propos de notre étude sur le Maître vivant que, sous la plume de Guénon, l’usage du terme de « Maître spirituel » ou « d’instructeur », sans référence à une tradition particulière, est équivalent à ce qu’on appelle un Guru dans la tradition hindoue, ou un Cheikh dans la tradition islamique , mais qu’aussi, pour simplifier le langage , l’auteur se sert parfois du terme Guru, bien que ce terme appartienne proprement à la tradition hindoue , pour désigner un Maître spirituel au sens le plus général, quelle que soit la forme traditionnelle dont il relève . [↩]
- « Connais-toi toi-même », article traduit de l’arabe, publié dans la revue El-Ma’rifah, n°1, mai 1931, et repris dans Mélanges, chap.VI, p.48-57. [↩]
- Initiation et réalisation spirituelle, Chap. XXII [↩]
- Initiation et réalisation spirituelle, Chap. XXII [↩]
- On retrouve ici cette notion de « matérialisation » dont nous avons déjà souligné l’importance plus haut. [↩]
- Initiation et réalisation spirituelle, Chap. XX [↩]
- Aperçus sur l’Initiation, Chap. XXXII [↩]
- Sur ce point et le caractère relatif de cette nécessité du Guru humain, cf. Un rôle de « transmetteur » et De la nécessité de l’instructeur spirituel . [↩]
- Initiation et réalisation spirituelle, Chap. XXII [↩]
- Aperçus sur l’Initiation, Chap. XXI [↩]
- Initiation et réalisation spirituelle, Chap. XXII [↩]
- Ibidem [↩]
- Cf. Doctrine et infaillibilité traditionnelle et La fonction d’enseignement: « une autre sorte d’infaillibilité » [↩]
- Nous avons pu parler dans ce cas, à la suite d’Olivier Courmes, d’upaguru-transmetteur. Il faudrait une autre occasion pour étudier plus avant la question des upaguru, auxquels Guénon n’a lui-même consacré qu’un seul article – fort riche au demeurant – repris dans Initiation et réalisation spirituelle ( Chap. XXII ). Tout ce que nous pouvons dire pour l’instant, c’est que loin de se limiter au seul cas particulier évoqué par nous, le terme d’upaguru désigne plus largement « tout être, quel qu’il soit, dont la rencontre est pour quelqu’un l’occasion ou le point de départ d’un certain développement spirituel » et, comme l’indique l’auteur, « si nous parlons ici d’un être, nous pourrions tout aussi bien parler d’une chose ou même d’une circonstance quelconque qui provoque le même effet ; cela revient en somme à ce que nous avons déjà dit souvent, que n’importe quoi peut, suivant les cas, agir à cet égard comme une « cause occasionnelle » ; il va de soi que celle-ci n’est pas une cause au sens propre de ce mot, et qu’en réalité la cause véritable se trouve dans la nature même de celui sur qui s’exerce cette action, comme le montre le fait que ce qui a un tel effet pour lui peut fort bien n’en avoir aucun pour un autre individu. » (Ibidem) [↩]
- De manière générale, ces possibilités « substitutives », si l’on se réfère à la définition donnée plus haut, peuvent d’ailleurs être considérées elles-même comme des upaguru. [↩]
par Maurice Le Baot le 30 mars 2011, mis à jour le 20 juillet 2015
Mots clés : Enseignement-Tarbiyah, Perte-disparition / Faqd, Upaguru / Hâmilu fiqh