La prière du Cheikh Fakhr al-Dîn al-Râzî

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Remarques introductives

Au delà de son bénéfice propre, cette prière nous est apparue particulièrement digne d’intérêt, d’un point de vue doctrinal, du fait des indications qu’elle comporte concernant les « réactions concordantes » à sa récitation. Elle regroupe en effet un ensemble de précisions propre à établir certaines correspondances avec l’enseignement de Cheikh Abd el-Wahid – René Guénon sur ce point.

Elle semble d’autre part susceptible de s’appliquer au Pôle particulier de la tradition islamique qui est sous un certain rapport, à chaque époque, après le Prophète Mohammed – sur lui la Grâce et la Paix – dont il est le substitut (Na’îbu-Rasûli-Llah, selon une formule traditionnelle), le « serviteur le plus parfait, dans ce monde, parmi fils d’Adam ». Ceci est renforcé d’une part par la lecture de la fâtiha finale dédiée « à la Présence (hadra) du Prophète – qu’Allah prie sur lui et le salue » et « au Pôle singulier et universel » et d’autre part par le fait qu’elle succède, dans le recueil de Nabbahânî, à la « Prière sur le Pôle » du Cheikh el-Akbar1. A ce propos, on dit aussi que « celui qui la récite tous les jours est dans le cœur de Pôle, qui est la Ka’bah essentielle (haqîqiyyah) et le support (mahal) du regard d’Allah dans ce monde »2. Il est parfois préconisé de la réciter « trois fois par jour »3, w’Allahu a’lâm !

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39ème prière

attribuée au Cheikh Fakhr al-Râzî

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 اللَّهُمَّ جَدِّدْ وَجَرِّدْ فِي هَذَا الْوَقْتِ وَفِي هَذِهِ السَّاعَةِ مِنْ صَلَوَاتِكَ التَّامَّاتِ. وَتَحِيَّاتِكَ الزَّاكِيَاتِ. وَرِضْوَانِكَ

الأَكْبَرِ الأَتَمِّ الأَدْوَمِ إِلَى أَكْمَلِ عَبْدٍ لَكَ فِي هَذَا الْعَالَمِ مِنْ بَنِي آدَمَ

« Allahumma renouvelle (jaddid) et détache (jarrid)4), en cet instant, cette heure, Tes prières les plus complètes et Tes salutations les plus purifiantes ainsi que Ton agrément le plus grand, le plus complet, le plus permanent en direction de Ton serviteur le plus parfait, dans ce monde, parmi fils d’Adam

الَّذِي جَعَلْتَهُ لَكَ ظِلاًّ. وَلِحَوَائِجِ خَلْقِكَ قِبْلَةً وَمَحَلاًّ

Que tu as disposé tel une ombre (dhillan) pour toi et pour les besoins de Tes créatures tel une qiblah et un « support » (mahall),

وَاصْطَفَيْتَهُ لِنَفْسِكَ وَأَقَمْتَهُ بِحُجَّتِكَ. وَأَظْهَرْتَهُ بِصُورَتِكَ

que tu as élu pour Toi-même (bi-nafsi-Ka), établi comme Ta preuve, manifesté selon Ta forme,

وَاخْتَرْتَهُ مُسْتَوًى لِتَجَلِّيكَ. وَمَنْزِلاً لِتَنْفِيذِ أَوَامِرِكَ وَنَوَاهِيكَ. فِي أَرْضِكَ وَسَمَوَاتِكَ

choisi comme lieu 5 de Tes Épiphanies, comme demeure pour l’exécution de Tes ordres et Tes interdictions, sur Ta terre et Tes cieux,

 وَوَاسِطَةً بَيْنَكَ وَبَيْنَ مُكَوَّنَاتِكَ

comme intermédiaire entre Toi et Tes créatures6

وَبَلِّغْ سَلاَمَ عَبْدِكَ هَذَا إِلَيْهِ فَعَلَيْهِ مِنْكَ الآنَ عَنْ عَبْدِكَ أَفْضَلُ الصَّلاَةِ وَأَشْرَفُ التَّسْلِيمِ وَأَزْكَى التَّحِيَّاتِ

et transmet lui le Salâm de Ton serviteur (‘abdika hadha), de sorte que lui revienne dès maintenant (al-’ân), de Ta part (min-Ka), depuis Ton serviteur, les meilleures prières, les salutations (taslîm) les plus nobles et les « vivifications » (tahiyyât) les plus pures

اللًهُمً ذَكِّرْهُ بِيَ لِيَذْكُرَنِي عِنْدَكَ بِمَا أَنْتَ أَعْلَمُ أَنَّهُ نَافِعٌ لِي عَاجِلاً وآجِلا

Allahumma mentionne-le7 par moi (dhakkir-hu bî) afin qu’il me mentionne8  auprès de Toi à propos de ce que tu sais mieux, en vérité, être utile pour moi, maintenant et à l’avenir9

 عَلَى قَدْرِ مَعْرِفَتِهِ بِكَ وَمَكَانَتِهِ لَدَيْكَ لاَ عَلَى مِقْدَارِ عِلْمِي وَمُنْتَهَى فَهْمِي

Selon la valeur de sa connaissance par Toi (ma’rifati-hi bi-Ka), de son rang (makân) auprès de Toi, non selon la mesure de ma science et la limite de ma compréhension

إِنَّكَ بِكُلِّ فَضْلٍ جَدِيرٌ وَعَلى مَا تَشَاءُ قَدِيرٌ

En vérité tu es capable de toute Grâce et tu es Puissant sur ce que tu veux !

وَصَلَّى الله عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَعَلَى آلِهِ وَصَحْبِهِ وَسَلَّمَ

Et prie sur notre Seigneur Mohammed ainsi que sur ses Gens et ses Compagnons et salue-les

 وَالْحَمْدُ لِلَّهِ رَبِّ الْعَالَمِينَ

Et la louange est à Allah, le Seigneur des mondes.

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ثم يقرأ الفاتحة ويهديها إلى حضرة النبي صلى الله عليه وسلم وللقطب الفرد الجامع ورجال الله تعالى.

Ensuite on lit la Fâtiha que l’on dédie à la Présence (hadra) du Prophète – qu’Allah prie sur lui et le salue, au Pôle singulier et universel, ainsi qu’aux Hommes (rijâl) d’Allah – élevé soit-Il. »

On trouve cette noble prière attribuée dans certains recueils à l’Imam des aspirations spirituelles (humâm), le « savant-maître » (el-‘alâmati-l-mutafanin) dans l’ensemble des sciences intellectuelles et révélées (el-‘ulûm ma’quliha wa manquliha), le vainqueur de la Tradition sur l’innovation, de la Vérité sur l’erreur, de la Guidée sur l’égarement, par les preuves tranchantes et les arguments convaincants, le plus grand (a’dham) des Maîtres : Fakhr al-Dîn al-Râzî, l’auteur du grand Tafsîr dont les œuvres « ne peuvent être dénombrées ». Il dédia cette prière au grand hâfidh, le célèbre Cheikh réalisé, Waliy-al-Dîn al-‘Irâqî10 et cela constitue une indication suffisante de l’immensité de son mérite, de l’élévation de sa valeur, de la multiplicité de ses bienfaits ainsi que de l’augmentation de la récompense liée à sa récitation  ».

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  1. Traduite par Michel Vâlsan et publiée en 1975, après sa disparition, dans les Etudes Traditionnelles. []
  2. cf. Al aqwâl el-majmu’ah du cheikh Jelloul el-Jazirî []
  3. cf. Al-fath el-mubîn du cheikh al-Hârûchî []
  4. litt. dépouiller (un arbre de ces feuilles par ex. []
  5. litt. mustawan = plan, niveau []
  6. litt. mukawanatika = ceux que tu as existencié []
  7. ou plutôt « fais son dhikr » []
  8. ou plutôt « fasse mon dhikr » []
  9. ou « dans ce monde et dans l’autre »- L’ensemble de ce passage n’est pas sans rappeler un autre, issu du Tafsîr de l’Imam Râzî, dont une traduction devrait être proposée prochainement sur le Porteur de savoir []
  10. Les rapports de l’imam Fakhr al-Din avec le Taçawwuf sont particulièrement complexes et difficiles à cerner. Malgré ce qui a pu être dit de défavorable à son sujet par certains maîtres anciens (cf. l’introduction de P. Ballanfat à sa traduction des « Eclosions de la Beauté » de Najm al-Dîn Kubrâ – Ed. de L’Eclat 2001 – p. 41-48) l’attribution de cette prière et sa dédicace, sans compter la terminologie utilisée qui présente une coloration akbarienne assez marquée,  tend à confirmer la remarque de Michel Vâlsan qui affirmait, dans sa présentation de sa traduction de « L’épitre adressée à l’Imâm Fakhru-d-Dîn Râzî » par le Cheikh al-Akbar, que « l’effet de cette correspondance a été assez positif, et que Râzî s’est interessé effectivement aux questions initiatiques à la fin de sa vie ». []

par le 28 janvier 2012, mis à jour le 31 janvier 2012