A propos de la doctrine de l’Unicité de l’Être (Wahdat el-Wujûd) – M.A.S.

بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

*

La doctrine qu’il est convenu d’appeler de l’Unicité de l’Être (Wahdatu-l-Wujûd), pourtant si naturellement comprise et admise dans tout milieu traditionnel équilibré depuis des siècles, continue de faire l’objet d’attaques dans un monde où il est de plus en plus facile à tout un chacun de colporter des sottises sur tout et n’importe quoi et où la confusion générale contribue à voiler les esprits des notions à la fois les plus hautes et, sous un certain rapport aussi,  les plus simples.

On constate que le processus d’incompréhension qui conduit certains esprits limités à proférer les pires accusations sur ceux qui adhèrent à ce qui n’est, comme on le sait et comme nous allons le rappeler, in châ Allah, qu’une formulation du plus pur Tawhîd, est bien vivace de nos jours puisqu’il s’actualise même dans des milieux qui, a priori, se déclarent favorables au Taçawwuf  ; et c’est la raison principale pour laquelle il nous est apparu nécessaire de faire ici un certain nombre de rappels de notions importantes à destination de ceux qui, parce qu’ils ne les possèdent pas et ne les comprennent pas encore suffisamment, pourraient être en quelque sorte ébranlés dans leurs convictions et leur orientation en constatant la virulence de personnes qu’ils respectent, et parfois à juste titre, pour leur action dans des domaines moins élevés de la religion.

Nous terminerons ces quelques mots introductifs en précisant que, conformément à l’enseignement de nos Maîtres et particulièrement de Cheikh Zakî ed-Dîn Ibrâhîm, nous considérons que l’absence de compréhension de notions telles que celles-ci n’appelle pas nécessairement à les qualifier d’hérésie (kufr). Il suffit à toute personne intelligente et un tant soit peu respectueuse de ce qu’est réellement l’autorité spirituelle des Maîtres de la Voie de s’abstenir de se positionner à leur sujet, conformément à la sagesse traditionnelle générale. Si nier ce que l’on ignore ou que l’on ne comprend pas n’a évidemment jamais été une preuve d’intelligence et de science ni un critère de justesse et de régularité, accuser d’hérétiques ceux qui adhèrent à un principe de vérité est une erreur grotesque qui risque fort de toucher et de définir, à premier titre, celui qui s’en rend responsable et solidaire, surtout quand rien ne l’oblige, en réalité, à tenir une telle position.

En demandant l’aide d’Allah subhâna-Hu wa ta’âlâ, nous Le prenons à témoin que ne tenons donc aucunement, pour notre part, à entrer en conflit avec qui que ce soit de respectable, pas davantage sur ce point que sur un autre, et nous souhaitons que ceux qui agissent injustement se rendent au plus tôt compte de leur erreur et adoptent, au minimum, la position de réserve et de prudence qu’il convient d’adopter en pareil cas.

*

Le but principal de cet article n’est pas de faire de longs développements doctrinaux mais de ramener les choses à l’essentiel en montrant que ce qui est à rattacher proprement à la Wahdat el-Wujûd est parfaitement conforme au Tawhîd islamique et que les différentes aberrations doctrinales qui lui ont été associées lui sont totalement étrangères.

Loin de constituer un exposé exhaustif, notre travail consistera donc, in châ Allah, à rappeler aussi succinctement que possible ce qui est habituellement considéré comme étant le contenu de la Wahdatu-l-Wujûd puis de présenter les différents points de vue irréguliers qui lui sont plus ou moins habituellement associés à tort.

Le premier texte que nous présentons est une étude générale effectuée par l’équipe du site Tawhid.net qui a l’avantage d’être très proche de notre optique.

*

23 sept. 2012 – V3

Al Wahdat Ul Wujûd – l’Unicité de l’Être

(Ibrâhîm Al Ya’qûbî, Al Ghazâlî & Ar Râzî)

« Allâh (qu’Il soit glorifié et exalté) a dit : « Point de divinité à part Lui. Tout doit périr, sauf Sa Face (Wajh). » [Sourate 28 – Verset 88].

Les exégètes du Qur°ân (al mufassirûn) tels que les Imâms Mujâhid Ibn Jabr, Abu-l-Layth As Samarqandî, Abul Hasan Al Ash’arî et Ismâ’îl Ibn Kathîr (qu’Allâh leur fasse miséricorde) ont dit que le terme « Face – Wajh » désigne en réalité Allâh Lui-même.

L’Imâm de la Mosquée des ‘Umayyades de son temps, le noble descendant du Prophète, le Shaykh de l’Islâm, Sayyidunâ Ibrâhîm Al Ya’qûbî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) a dit concernant l’Attribut de l’Être (Al Wujûd) :

« L’Être (Al Wujûd) est l’Attribut personnel de l’Essence Divine. Le décrire comme « étant » revient à nous parler de l’Essence Même d’Allâh sans aucune description supplémentaire.

L’Être est la source de l’existence. La preuve de l’Être est l’existence même de ce monde car la création implique nécessairement un créateur et celui-ci n’est autre qu’Allâh (qu’Il soit glorifié et exalté) Lui-Même.

Le contraire de cet Attribut est le néant qui est impossible en ce qui concerne Allâh. » [Farâ°id Ul Hisân].

Dans la traduction française de ce passage, Ash Shaykh ‘Abdu Llâh Penot (qu’Allâh le bénisse) traduisit le terme « wujûd » par « être » au lieu de « exister », car exister signifie « être à partir de », ce qui est impossible pour notre Seigneur (qu’Il soit béni et exalté).

L’Être (Al Wujûd) est un Attribut qu’Allâh (qu’Il soit glorifié et exalté) ne partage complètement avec personne dans le sens complet et absolu de l’éternité et de l’indépendance totale. Ce n’est pas le cas des créatures dont l’existence est conditionnée par de nombreux facteurs. Elles n’existent donc pas au sens plein et entier du terme.

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le point théologique de l’unicité de l’existence (wahdat ul wujûd) dont ont parlé les Soufis. Allâh (qu’Il soit glorifié et exalté) est Le Seul Être de même qu’Il est Le Seul Agissant, Le Seul Savant, Le Seul Voulant etc. Les créatures ne le sont que d’une manière relative et non absolue.

Notre maître, la Preuve de l’Islâm, Al Imâm Abû Hâmid Al Ghazâlî At Tûsî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) a dit dans son célèbre ouvrage intitulé Ihyâ ‘Ulûm Ud Dîn :

« Nous disons donc que le tawhîd est constitué de quatre degrés (marâtib):

Le noyau (al lubb), le cœur du noyau (lubb ul lubb), l’écorce (al qishr) et l’écorce de l’écorce (al qishr ul qishr). Pour en faciliter la compréhension, nous prendrons l’exemple de la noix de coco et de son écorce supérieure, puisqu’il se trouve que cette noix possède deux écorces, un noyau et une partie grasse à l’intérieur même du noyau que nous appelons le cœur du noyau.

Le premier degré du tawhîd est celui de l’homme qui professe « il n’y a point de divinité en dehors d’Allâh », alors que son cœur est plongé dans l’insouciance ou encore nie ce qu’il professe. Cette affirmation du tawhîd correspond à celle des hypocrites (al munâfiqîn).

Au second degré, le cœur croit en ce que l’on a prononcé : il s’agit ici de la croyance de la plupart des Musulmans et ce degré constitue le credo de la masse (i’tiqâd ul ‘awâm).

Le troisième degré consiste à contempler (cette Unicité divine) au moyen du dévoilement intuitif (al kashf) grâce à la lumière de l’Être-Vrai (Al Haqq), c’est la « station des rapprochés » (maqâm ul muqarrabîn) ; (celui qui l’atteint) voit une multiplicité de choses, mais en dépit de cette multiplicité, il ne les voit que comme procédant de L’Unique, du Contraignant.

Le quatrième degré consiste à ne voir qu’un Seul Être dans l’existence. Il s’agit de la contemplation de ceux qui n’accréditent que la Vérité (as siddiqîn). Les Soufis nomment ce degré « l’extinction (al fanâ) dans l’Unicité » car celui qui y parvient – du fait qu’il ne voit qu’un Être Unique – perd la perception et la conscience de sa propre personne car il est submergé par la perception de l’Unicité ; il est éteint à lui-même au moment même où il proclame l’Unicité, c’est-à-dire qu’il ne se voit pas, ni a fortiori les autres créatures. » Fin de citation.

Les Soufis réalisent ce dernier degré par la méditation profonde de la parole du tawhîd « Lâ ilâha illa Llâh » et adorent ainsi Allâh (qu’Il soit exalté) comme s’ils Le voyaient, comme l’affirme l’Imâm Al Ghazâlî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) un peu plus loin dans le même ouvrage : « La quatrième affirmation du tawhîd est celle du contemplatif qui, au cours de sa contemplation ne voit apparaître que L’Unique (Al Wâhid). Il ne considère pas le tout sous le rapport de la multiplicité mais sous le rapport de Son Unicité ; et ce degré constitue l’ultime étape du tawhîd. »

Et le Prophète (que Le Salut et La Paix d’Allâh soient sur lui) a dit : « La vertu (al ihsân) consiste à adorer Allâh comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, sache que Lui te voit. » [Muslim].

Tout ceci n’a donc rien à voir avec les doctrines panthéistes que les détracteurs attribuent à tort aux Soufis et au reste des théologiens parmi les Ahl Us Sunnah.

Le panthéisme consiste à croire que tout est Allâh et qu’Allâh est tout. Ce qui est une aberration autant du point de vue du Qur°ân et de la Sunnah que de la raison. Aussi, par extension, on attribue faussement aux Soufis la croyance en l’incarnation (al hulûl) qui est la présence d’une substance à l’intérieur d’un corps vide qui le reçoit, ainsi qu’en l’assimilation, la fusion (al ittihâd).

Et notre maître, Al Imâm Fakhr Ud Dîn Ar Râzî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) a dit :

« La réponse est la suivante : la doctrine de l’ittihâd, l’union ou l’unification, est sans fondement. En effet, de trois choses l’une :

– Les deux choses subsistent et, de ce fait, restent deux réalités distinctes ;
– elles disparaissent toutes deux pour devenir une troisième chose différente ;
– il ne reste que l’une des deux, l’autre cessant d’être.

Mais, alors [dans chacun de ces trois cas], l’union reste impossible, car L’Existant ne peut être le même que le non-existant. » [Lawâmi’ Ul Bayyinât].

Et notons à ce titre que ce sont plutôt les anthropomorphistes, Ibn Taymiyyah en tête, qui, confinant Allâh dans un lieu, sont les adeptes de l’incarnation et de la fusion (al hulûl wal ittihâd) ; ce qui conduisit d’ailleurs l’Imâm Ibn Rajab Al Hanbalî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) à faire le takfîr de Ibn Taymiyyah et de tous ceux qui adoptent cette croyance.

Et dans une lettre qui lui est attribuée, Al Imâm Abû Hâmid Al Ghazâlî At Tûsî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) réfute ces doctrines qu’on attribue faussement aux Soufis : « Cependant, comme une certaine ivresse s’est emparée des élites de ce rang qui les rend sujettes à deux sortes d’aberrations : l’une consiste à imaginer qu’une union (ittisâl), qu’elles qualifient d’inhérence (hulûl), s’est produite et l’autre à croire qu’il s’est réalisé une assimilation (ittihâd) grâce à laquelle elles assimilent Allâh ; les premières jugeant cette assimilation impossible, considèrent néanmoins avoir abouti à une union, ce qui revient au même, car elles disent : « Je suis la Vérité, louange à Moi » ; revenues à elles-mêmes elles s’aperçoivent de cette aberration, car l’inhérence (hulûl) est un accident qui se traduit par la présence d’une substance ou d’une matière à l’intérieur d’un corps vide ; or aucune de ces deux formes ne saurait être appliquée à Allâh. De même l’union de deux choses, si elles sont créées, ne pouvant se présenter que sous un des trois aspects suivants, se révèle également irréalisable : soit les deux sont dotées d’une existence à part entière, soit les deux sont inexistantes, donc elles ne peuvent être unies, car elles n’existent ni l’une ni l’autre ; soit l’une est existante et l’autre inexistante, ce qui enlève toute idée d’union. » Fin de citation.

Et concernant les paroles extatiques de certains maîtres auxquels fait allusion l’Imâm Abû Hâmid Al Ghazalî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) telles que : « Je suis la Vérité, louange à Moi » et d’autre propos similaires, elles ont été prononcées dans des états d’ivresse spirituelle. Les états particuliers, tels qu’une joie intense par exemple, peuvent excuser ces paroles comme le prouve le hadîth authentique suivant rapporté par l’Imâm Muslim d’après Sayyidunâ Anas Ibn Mâlik (qu’Allâh l’agrée) : « L’agrément qu’Allâh accorde lorsque Son serviteur se repent est plus forte que la joie qu’éprouva l’un d’entre vous qui, traversant une terre désertique, vit sa monture lui échapper, emportant nourriture et boisson. Désespéré, il parvint à un arbre à l’ombre duquel il s’allongea. Il était tout à son désespoir lorsque sa monture se dressa devant lui. Il la saisit par la bride s’écriant : « Ô Allâh, Tu es mon serviteur et je suis Ton seigneur – Allâhumma Anta ‘abdî wa anâ rabbuk », son excès de joie lui faisant commettre un lapsus. » Ce hadîth figure également dans le RiyâdUsSâlihîn de l’Imâm Muhyi Ddîn An Nawawî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) au chapitre du Repentir.

Voici donc ce que nous pouvions dire sur le point doctrinal de l’unicité de l’être et sur les fausses accusations de certains innovateurs à l’encontre des Sunnites. »

*

ARTICLES THÉMATIQUES correspondants

GENERALITES SUR LE TASAWWUF

GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)

par le 15 septembre 2012, mis à jour le 12 août 2015