Aperçus sur l’évolution des modalités de l’enseignement initiatique mohammedien – M.A.S.

A R T I C L E   E N   C O U R S   D E   R É É C R I T U R E

بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

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Si la norme référentielle parfaite et totale est évidemment en Islam celle du Prophète Mohammed -qu’Allah prie sur lui et le salue-, les Maîtres de la Voie après lui -qu’Allah soit Satisfait d’eux tous- ont certainement pu faire subir des modifications plus ou moins importantes à la mise en oeuvre de l’enseignement initiatique au cours des siècles : qu’en est-il lorsque surviennent « Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps » ?

Que disent nos Maîtres des modalités de l’enseignement initiatique en cette période cyclique à la fois normale, puisqu’elle se situe tout entière sous le statut de la loi mohammédienne, et exceptionnelle, puisqu’elle est celle qui clôt le cycle de l’existence de l’humanité dans son ensemble ?

Serait-il étonnant que ce qu’ils disent reflète donc également un caractère normal, qui corresponde aux aspects fondamentaux de la Voie, et un caractère exceptionnel, qui corresponde aux conditions actuelles dans lesquelles l’initiation a à se dérouler ?

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Le présent travail s’appuie notamment sur la liste des Maîtres réguliers de différentes turûq qui, depuis parfois fort longtemps et en des lieux très divers, se sont publiquement exprimés sur la dégénérescence de la Voie, la raréfaction, la diminution ou la disparition extérieure des Maîtres éducateurs, la cessation des méthodes « classiques » et la possibilité d’utiliser la pratique de la multiplication de la prière sur le Prophète ﷺ comme moyen substitutif de réalisation spirituelle effective (sulûk). Nous présentons donc ici une version remaniée d’une étude dont nous avons gardé le titre et complété le contenu en suivant, cette fois, un ordre chronologique.

Ainsi que nous l’avons déjà exprimé, nous avons bien conscience, en établissant un tel travail 1, de réaliser quelque chose qui peut sembler n’avoir qu’un aspect quantitatif et, donc, assez étranger à l’esprit de la Voie. Nous pensons, tout au contraire, qu’il n’en est rien : c’est une réelle nécessité d’agir ainsi puisqu’il s’agit de fournir en quelque sorte une aide (‘awn) à ceux et celles qui ignoreraient ces aspects et qui éprouveraient quelques difficultés à s’en faire une idée suffisamment précise dans l’état actuel des informations auxquelles on peut avoir accès lorsque l’on envisage un rattachement à une tarîqah régulière. En effet, on ne peut qu’être étonné de constater qu’il semble n’exister, en Occident tout au moins, et peut-être même en Orient, aucune publication qui, sans être évidemment exhaustive, exposerait l’ampleur et l’ancienneté réelles de cette tendance au sein du Taçawwuf authentique alors que l’on continue parfois largement, d’autre part et publiquement ou en privé, de faire comme si ces positions n’existaient pas, comme si elles n’étaient ni régulières, ni justifiées ou qu’il n’était pas d’ « actualité » de les considérer pour l’instant.

Est-il besoin de préciser, afin de couper court à des discussions qui, finalement, ne semblent pas pouvoir être d’un grand intérêt (surtout si elles avaient pour base un manque de considération et d’a priori favorable envers les Maîtres concernés), qu’il apparaît évident que les différentes autorités du Taçawwuf qui, sous des rapports divers, se sont manifestées publiquement en ce sens étaient certainement bien mieux informées des différentes données traditionnelles (plus ou moins connues de tout un chacun) concernant, notamment, la persistance de la guidée spirituelle jusqu’à la fin des temps et la « revivification du Dîn à chaque siècle » que ne peuvent l’être ceux qui, de nos jours et même avec la meilleure des intentions et la plus pure sincérité, voudraient faire valoir qu’on aurait pu les ignorer ou les oublier dans toutes ces considérations et depuis tout ces temps écoulés ?…

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  • Rappelons encore à ce propos et pour mémoire2, qu’il n’est aucunement question pour nous de rejeter évidemment l’idée que tout Maître légitime de la Voie puisse revendiquer pour lui-même et selon les autorisations initiatiques régulières dont il dispose à titre nominal, de diriger la tarîqah dont il est responsable de manière à faire valoir et respecter une fonction d’éducation spirituelle (irchâd, tarbiyah) qui prendrait appui sur l’existence de son propre degré de réalisation spirituelle. Chacun, en ce domaine comme en bien d’autres, est responsable devant Allah (subhâna-Hu wa ta’âlâ), les Anges (‘alayhim es-salâm), le Prophète (‘alayhi es-salâtu wa-s-salâm) et les Maîtres de la Voie (radiy-Allah ‘anhum ajma’în) de ce qu’il avance et met en œuvre ou exige des prétendants au sulûk ; les droits et les devoirs du cheikh persistent tant qu’ils sont réguliers.
  • Il n’est pas, non plus, question de dire que tout murîd pourrait se passer ou se dispenser pour autant, quand il constate l’absence d’un Maître murabbî, des dispositions méthodiques et disciplinaires formelles d’ordre général qui existent habituellement dans toute tarîqah régulière et qui constituent la majeure partie des moyens initiatiques que tout murîd sincère et qualifié peut être amené à mettre en œuvre dans sa quête ; les droits et les devoirs du murîd persistent également tant qu’ils sont réguliers.
  • Mais il n’est pas davantage question de laisser croire ou affirmer qu’aucun Maître de la Voie ne se serait jamais prononcé sur les possibilités initiatiques réelles qui s’offrent au même prétendant en cas de raréfaction ou de disparition extérieure des Maîtres éducateurs, ou que ce que ceux-ci ont effectivement dit à ce sujet n’aurait pas à être pris en considération dans des conditions cycliques qui sont, pourtant et de l’avis général, les plus proches des pires de celles qu’ait jamais connu l’humanité tout entière.

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Précisons enfin, pour clore cette introduction, que nous avons réunis dans une liste unique les noms de Maîtres qui ne se sont pas tous également exprimés sur l’ensemble des sujets que nous évoquons, cette décision se justifiant largement, à nos yeux, par la cohérence globale des différents aspects concernés : il est, en effet, normal de pouvoir considérer de concert les différentes conséquences méthodiques qui découlent des modifications des conditions cycliques et plutôt anormal de tendre à les envisager séparément.

Mohammed Abd es-Salâm

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Aperçus sur l’évolution des modalités de l’enseignement initiatique mohammedien

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Abû Mûsâ (/874) & Hakim Tirmidhî (310/922)

Nous débutons cette présentation par quelques lignes extraites de l’article intitulé « Les Maîtres spirituels en Islam » de Michel Chodkiewicz qui montrent clairement l’ancienneté de la problématique.

« Au III°/IX° siècle le neveu et disciple d’Abû Yazîd al-Bistâmî, Abû Mûsâ, annonce à ses proches qu’il emportera dans sa tombe une grande partie de l’enseignement qu’il a reçu car il n’a trouvé personne capable de le transmettre 3 . Quant à Hakim Tirmidhî (ob. 310/922), c’est en vain, affirme-t-il à la même époque, qu’il a cherché un Maître dans sa ville natale de Tirmidh4 . »


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Ghazalî (1058/1111)

« De la voie par laquelle l’homme connaît les défauts de son âme » – Imam Ghazâlî

Si l’on s’accorde parfois à dire que les conditions de la Voie spirituelle ont peu évolué depuis l’époque des grands Maîtres, tels que l’Imâm Ghazâlî, nous pensons qu’il faut dans ce cas, afin d’être tout à fait cohérent, prendre en compte l’intégralité de leur enseignement sur ces questions. A ce propos, le texte qui suit semble être à l’origine d’une part importante des enseignements à visée « substitutive » véhiculés par les Maitres, depuis le 11ème siècle jusqu’à nos jours et que l’on retrouve chez plusieurs Maîtres contemporains, sous une forme similaire, complétés par deux « méthodes » supplémentaires.

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Extrait de l’Ihya ‘ulûm ed-Dîn, livre XXII 5

De la voie par laquelle l’homme connaît les défauts de son âme

Sache que, lorsque Allah, Exalté et Magnifié soit-il, veut du bien à quelqu’un, il lui ouvre les yeux sur les défauts de son âme (nafs) [ …] S’il connaît les défauts, il lui est possible de les soigner. Mais la plupart des gens ignorent leurs propres défauts. Ils voient la paille dans l’oeil de leur frère et ne voient pas la poutre dans leur oeil, à eux.Pour celui qui veut connaître ses défauts, il existe quatre méthodes :
1. La première consiste à se confier à un cheikh clairvoyant (baçîr) connaissant les défauts de l’âme et capable de scruter jusqu’aux plus secrètes des infirmités, à l’investir juge de son âme (yahkimu-hu fi nafsi-hi) et suivre ses indications dans cette lutte [intérieure] (mujahâdithi). C’est le cas du disciple avec son cheikh et de l’élève avec son professeur (ustâdh). Ce dernier, tout comme le cheikh, fait connaître à l’élève les défauts dont il est affligé, ainsi que la méthode à suivre pour les traiter. Mais ceci existe rarement à notre époque.
2. La deuxième méthode consiste à demander à un ami-sincère (çadîqan), clairvoyant (baçîr) et attaché à la religion (mutadayyin), puis à l’investir surveillant de son âme (fayançibu-hu raqîban ‘alâ nafsi-hi) , pour qu’il remarque ses états (ahwâlu-hu) et ses actes (af’âlu-hu) afin qu’il l’avertisse de tout ce qui est détestable dans ses comportements (akhlâq), ses actes et ses défauts, cachés et apparents. C’est ainsi que faisaient les hommes intelligents, de même que les notables parmi les chefs religieux [ …] Cependant, cela s’avère aussi être rare. En effet, peu nombreux sont, parmi les amis, ceux qui n’usent pas de flatterie, qui font connaître les défauts, ou qui ne sont pas jaloux, de sorte qu’ils ne font rien de plus que leur strict devoir […]Ainsi donc, le désir des hommes soucieux de religion consistait à se faire informer de leurs défauts par autrui. Quant à nous, et les gens qui sont comme nous, nous en sommes arrivés au point que les personnes que nous détestons le plus sont celles qui nous donnent des conseils et qui nous font connaître nos défauts. Peu s’en faut que cela ne soit révélateur de la faiblesse de notre foi.[…]
3. La troisième méthode consiste à acquérir la connaissance de nos défauts en tirant profit de [ce qui en est révélé par] la langue des ennemis, car l’oeil de leur courroux révèle nos méchancetés et il se peut que l’homme ait davantage intérêt à écouter un ennemi haineux, qui lui signale ses défauts, plutôt qu’un flatteur, qui lui fait des compliments et des éloges et lui cache ses défauts. Mais la nature est ainsi faite qu’elle considère l’ennemi comme un menteur et attribue ses paroles à la jalousie. Toutefois, l’homme clairvoyant ne manque pas de bénéficier des paroles de ses ennemis, car c’est nécessairement que ses défauts sont exprimés par leurs propos.
4. La quatrième méthode consiste à fréquenter les autres humains, puis à se demander compte, à soi-même, de tout ce que l’on aura remarqué de blâmable chez eux, et à se l’attribuer.En effet , tout croyant est le miroir de son semblable: il considère que les défauts des autres sont ses propres défauts et il sait que les tempéraments sont, tous, proches les uns des autres dans la poursuite de leur passion. Ce par quoi l’un de ses pairs se caractérise, un autre n’en est pas exempt dans sa racine, ou pour une part plus ou moins importante. Qu’il examine donc son âme et qu’il la purifie de tout ce qu’il réprouve chez les autres. Cela pourrait te suffire comme méthode d’éducation. Si tous les humains abandonnaient ce qu’ils détestent chez les autres, ils pourraient se passer d’éducateur.

Voila donc autant de solutions (hîl) pour ceux qui ne disposent pas d’un cheikh avisé et intelligent, clairvoyant dans le domaine des défauts de l’âme, bienveillant et bon conseiller en matière de religion, bref, un cheikh qui, ayant achevé sa propre formation, est occupé à former les serviteurs de Allah et à les conseiller. Quant à celui qui a découvert un tel cheikh, il a trouvé son médecin. Qu’il s’attache donc à lui, car c’est lui qui le délivrera de ses maladies spirituelles et le sauvera de la perdition dont il est menacé.»

Imam Ghazâlî

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En résumé :
 1. Se confier à un cheikh clairvoyant, connaissant les défauts les défauts de l’âme […] « mais ceci existe rarement à notre époque ».
2. Demander à un ami-sincère, clairvoyant et attaché à la religion puis l’investir surveillant de son âme  [ …] « cependant, cela s’avère aussi être rare ».
3.Tirer profit de ce qui est révélé des défauts par la langue des ennemis.
4. Fréquenter les autres humains, puis se demander compte, à soi-même, de tout ce que l’on aura remarqué de blâmable chez eux, et se l’attribuer […] « cela pourrait suffire comme méthode d’éducation ».

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Abd al-Salâm Ibn Machîch (/1228) & Abul-Hassan Ali Châdhili (/1197-1258)

« Le cheminement spirituel ne peut être accompli sans la compagnie d’un frère pieux ou d’un cheikh » – Moulay Abd es-Salâm Ibn Machîch

Selon Sidi Abî ‘Alî-l-Hassan al-Kuhan 6 : « Notre Maître Sidi Abu-l-Hassan el-Chadhilî disait – qu’Allah l’agréé : «le cheminement spirituel (sulûk tarîq el-Qawm7 ne peut être accompli par le savant (‘âlim) sans la compagnie d’un frère pieux (çâlih) ou d’un cheikh de bon conseil (nâçih)». De nombreuses versions attestent cependant de l’antériorité de cet enseignement qu’elles font remonter à son propre Maître, le Pôle Moulay Abd es-Salâm Ibn Machîch.

Cet enseignement qui témoigne de la possibilité, bien plus ancienne qu’on le croit ordinairement 8 , d’accomplir son sulûk par la fréquentation d’un « frère pieux » en l’absence d’un cheikh véritable, est d’autant plus remarquable qu’il clôture – dans le texte qui suit – une longue définition méthodique de la Voie spirituelle. De plus, on notera que dans toutes les versions consultées le « frère pieux » est mentionné avant le cheikh, comme pour insister toute particulièrement sur l’importance de cette possibilité, w’Allahu a’lam9.

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Extrait de « Durrat el-asrâr wa tuhfat el-Abrâr » de l’Imâm Ibn Çabbâgh 10

« [Cheikh Abu-l-Hassan el-Châdhilî] rapportait qu’un homme interrogeait son Maître (ustâdh11 :

« Donne-moi des choses à faire (wadhdhif ‘alayya wadhâ’if12 et des invocations journalières (awrâd) » !

[Son Maître] se mit en colère après lui et lui dit : « Suis-je un Envoyé (a-rassulun anâ), établissant ce qui est obligatoire (ujibu-l-wâjibât) ? Les devoirs (farâ’id) sont connus et les désobéissances sont notoires. Préserve les devoirs et refuse les désobéissances 13.  Garde ton cœur de la recherche du bas-monde (irâdatu-d-dunyâ’), de l’amour des femmes, de l’amour des honneurs (al-jâh) et de la provocation des passions (îthâr ach-chahawât) et contente-toi pour tout cela de la part qu’Allah t’a attribuée. Si « tu es satisfait (ridâ), rends grâce (shakirân) à Allah pour cela, et si la colère (sakhat) te gagne, sois endurant (çâbiran)» 14 . L’Amour (hubb) d’Allah est le Pôle (qutb) autour duquel tournent les bienfaits et l’origine de toutes les sortes de « prodiges » (karâmat). La réalisation de tout cela tient en quatre choses : la sincérité du scrupule pieux (çidq el-wara’), la bonne intention (husn en-niyyah), l’épuration des actes (ikhlaç el-‘amal) et l’amour de la science 15 ; tu n’accompliras cela que grâce à la compagnie d’un frère pieux (çâlih) ou d’un cheikh de bon conseil (nâçih) » .

Cheikh Abu-l-Hassan el-Châdhilî

Annotation et présentation du traducteur


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27 juillet 2015 – V5

Abul-‘Abbas al-Mûrsi – Egypte

    Le Cheikh Abu-l-Hassan Al-Châdhilî – qu’Allah soit Satisfait de lui – a dit : « J’ai vu l’Envoyé d’Allah et je lui ai demandé : « Ô Envoyé d’Allah quel est [le signe] de la conformité réelle (haqîqatu-l-mutâba’ah)16 ? » ; il dit : « La vision de celui auquel on se conforme (matbû‘) auprès de toute chose et en toute chose, la vision désignant ici la contemplation ». Pour cette raison son disciple Abu-l-Abbas Al-Mursî – qu’Allah soit Satisfait de lui – disait : « Si j’avais été voilé à l’égard de l’Envoyé d’Allah le temps d’un battement de paupière, je ne me serais pas compté au nombre des musulmans »17 ; on rapporte également la même parole de son cheikh, le Cheikh Abu-l-Hassan – qu’Allah soit Satisfait de lui.

Le Cheikh Abu-l-‘Abbas – qu’Allah soit Satisfait de lui – a déclaré : « Il se peut qu’Allah attire (yujdhab) à Lui le serviteur sans qu’il lui fasse ensuite don (minnah) d’un enseignant [corporellement vivant], il se peut alors qu’il le réunisse 18 avec l’Envoyé d’Allah ﷺ et qu’il reçoive 19 ainsi de lui [son enseignement spirituel], se suffisant de ce don (minnah)20 car il est l’intermédiaire (Wâsitah) ﷺ  21 [transmetteur] de l’Effusion universelle (fî-l-faydh al-amîm) pour celui qui a un cheikh et pour celui qui n’a pas de cheikh 22 ; quant à son Effusion ﷺ, [elle émane] de son Seigneur (Seyyidi-hi) et de son Créateur (Khâliqi-hi) – Glorifié et Exalté soit-Il – « et à Allah reviennent (tu’ja’) toutes les actions (umûr) » 23 ; « et à Lui revient (yu’ja’) l’action (amr) toute entière » 24 ; « A ton Seigneur appartient le retour (ruj’â25 ; « Mais, vers ton Seigneur est le « point de retour » 26 (muntahâ) », car Il est – Glorifié et Exalté soit-Il – le Protecteur (Walî) de tous et leur Seigneur, et tous sont Ses serviteurs (‘abîdu-Hu) et Son élite (açfiyya’u-Hu). Si le serviteur s’éteint (yafnâ) dans la station de la contemplation d’Allah (chuhûd li-Llah) – Exalté soit-Il – il ne verra alors rien sauf Allah – Exalté soit-Il, absent [quant à la présence] de l’intermédiaire, cependant la station de la persistance (baqâ’) est supérieure et elle consiste en la reconnaissance 27 des intermédiaires (ithbât al-waçâ’it) tout en ayant la conviction (i’tiqâd) que les actions (umûr) des intermédiaires prennent leur fondement en Allah (qâ’imatu bi-Llah) – Exalté soit-Il. Celui-ci est leur Maître qui les manifeste (ajlâ-hum) à leurs places (madhhâri-him). Quant au plus immense intermédiaire, le lien (râbitah) le plus parfait28 , il s’agit du seigneur des derniers et des premiers, notre seigneur Mohammed ﷺ. Le soutien spirituel de la lieutenance29 provient de sa lumière (madad al-khilâfah min nûri-hî) ﷺ30 , ce qui découle de Sa parole : « Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour les mondes »31 .

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Conclusions (progressives, à chaque ajout de référence)

  • Depuis le troisième siècle de l’Hégire déjà certaines des plus hautes Autorités de l’Islam témoignent de l’apparition d’une dégénérescence au sein du Taçawwuf et de la possibilité de ne pas pouvoir trouver de Cheikh dans la Voie.
  • Depuis plus de neuf cents ans  (Ghâzâlî) on trouve clairement et publiquement exposée la possibilité de chercher un « frère-sincère » (çâdiqan) en cas d’absence de Cheikh, idée qui sera continuellement reprise par la suite (« frère pieux ») jusqu’à nos jours. Les générations des Maîtres de la Voie détailleront également les possibilités évoquées déjà par Hujjatu-l-Islâm -qu’Allah soit satisfait de lui.
  • Soulignons également dès maintenant, puisque cette remarque ne sera pas contredite par la suite, in châ Allah, que ce sont les Maîtres eux-mêmes qui s’expriment le plus librement sur ce sujet et que personne n’a jamais semblé parmi eux, alors ni depuis, vouloir nier la possibilité aux prétendants à la Voie de faire eux-mêmes, et sans contrainte, l’éventuel constat qu’il pouvait manquer de Cheikh dans tel ou tel contexte spatio-temporel qui était le leur.

(A suivre, in châ Allah)

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GÉNÉRALITÉS SUR LE TASAWWUF

GÉNÉRALITÉS SUR LES RÈGLES DE L’INITIATION

MAÎTRE SPIRITUEL ET ENSEIGNEMENT

LA PRIÈRE SUR LE PROPHÈTE ﷺ COMME MOYEN DE SULÛK en cas de raréfaction de Maître éducateur (Cheikh tarbiyah) – M.A.S.

  1. Évidemment provisoire et modifiable, in châ Allah []
  2. Nous nous sommes déjà largement exprimé sur ce point []
  3. A.R. Badawî, Shatahât al-sûfiyya []
  4. Tirmidhî, Buduww al-sha’n []
  5. Le texte présenté se base sur les traductions disponibles respectivement aux éditions du Cerf et chez Al-Burâq sous les titres de « Maladies de l’âme et maîtrise du cœur » et « L’éducation de l’âme » ainsi que sur deux éditions arabe récentes. []
  6. Tabaqât ach-Chadhiliyyah el-Kubrâ. []
  7. Litt. = le cheminement de la Voie du Peuple des initiés []
  8. Comme référence « classique » à ce sujet on consultera aussi les précisions données par l’Imâm Ghazâlî dans son Ihyâ’, livre de référence de la Châdhiliyyah. []
  9. Sur le rôle du « frère pieux », voir infra en particulier les précisions de l’Imâm al-Haddâd. []
  10. Une traduction des passages biographiques de cet ouvrage est disponible sur Le Porteur de Savoir. []
  11. Dans le Mafâkhîr el-‘Aliyyah de Ibn ‘Iyyad figure une version légèrement différente de celle reproduite par Ibn Çabbâgh qui commence par « Et un homme dit à Sidî ‘Abd es-Salâm [ibn Mashîsh], Ô mon Maître (Seyyidî) … ». []
  12. Ou encore «Prescris-moi (wadhafa ‘alayya) des oraisons (wadhâ’if)» []
  13. Comparer ce passage avec les conseils contenus dans la conclusion des Qawâ’îd de l’Imam Zarrûq. []
  14. Nous traduisons ici le sens général en conservant les termes techniques dans l’impossibilité de rendre de manière satisfaisante la tournure de la phrase arabe. []
  15. Dans l’édition tunisienne des Mafakhîr on trouve « la compagnie des Gens de science (çuhbatu Ahli-l-‘ilm) » []
  16. La mutâba’ah signifie littéralement le fait de suivre, de prendre pour exemple. []
  17. Dans une autre version de cette parole, le Cheikh déclare ne pas avoir été voilé à l’égard du Prophète ﷺ pendant quarante ans. []
  18. Litt : qu’il réunisse les composantes [de son être]. []
  19. Litt. : prenne. []
  20. Le début de ce propos est reproduit mot pour mot dans les Latâ’if al-Minân d’Ibn ‘Atâ-Allah en conclusion d’un propos du cheikh Al-Mursî qui n’est pas sans rapport avec notre sujet : « Notre voie (tarîqatunâ) ne se rattache ni aux Orientaux ni aux Occidentaux, mais remonte en ligne droite à Hasan, fils de ‘Alî Ibn Abî Tâlib, qui fut le premier des Pôles. En effet, la détermination de la succession des cheikhs ne s’impose qu’aux voies fondées sur la modalité de la khirqa, car celle-ci fonctionne par la transmission (riwâyah) ; or dans toute transmission doivent être précisés les hommes qui composent la chaîne initiatique. Celle-ci constitue une guidée (hidâyah) [propre] et il se peut qu’Allah attire (yujdhab) à Lui le serviteur sans qu’il lui fasse ensuite don (minnah) d’un enseignant [corporellement vivant], il se peut alors qu’il le réunisse avec l’Envoyé d’Allah ﷺ et qu’il reçoive ainsi de lui [son enseignement spirituel], se suffisant de cela. » (Trad. E. Geoffroy modifiée par nous.). On soulignera la mention dans ce contexte du terme hidâyah qui peut être rapproché d’une de ses occurrences coraniques où il est question justement des « chemins de la guidée » . []
  21. Ou le « Médiateur ». []
  22. On voit une nouvelle fois que la célèbre sentence « « celui qui n’a pas de cheikh a le diable pour cheikh » est loin de revêtir un caractère absolu. []
  23. Al-baqarah : 210 []
  24. Hûd : 123 []
  25. Al-Alaq : 8 []
  26. Ou « la limite ». []
  27. Litt : l’affirmation. []
  28. Le terme de râbitah renvoie ici à la pratique bien connue d’établissement d’un lien spirituel avec le Prophète ﷺ et les maitres de la Voie ; dans le cas de ces derniers, on l’a vu plus haut, il ne s’agit pas seulement de représentation imaginale mais bien d’une présence effective. []
  29. Ce terme renvoie habituellement, dans les écrits du taçawwuf, à la fonction du cheikh murchîd lorsqu’elle est rapportée au domaine sulûk ou à celle Pôle pour celui du taçarruf. Exotériquement, il s’agit de la lieutenance politique, en particulier celles des quatre califes bien guidés (qui furent aussi les pôles ésotériques de la tradition et les premiers maîtres spirituels de l’islam après le Prophète ﷺ). Le contexte suggère donc de retenir ici la première signification. Cf. aussi infra note suivante. []
  30. Michel Vâlsan note, dans son article sur le cheikh Al-Alawî : « La doctrine d’Ibn Arabî explique les choses ainsi : le Prophète Muhammad, ou sa lumière, fut la première création divine ; de sa lumière furent tirées les lumières des autres prophètes qui sont venus successivement dans le monde humain comme ses lieutenants – ; lui-même est venu corporellement a la fin du  cycle de la manifestation prophétique, et c’est ainsi du reste que les lois de ses lieutenants se trouvent alors « abrogées » et remplacées par la sienne qui les contient toutes en puissance, dès l’origine, et qui, quand elle les retrouve en acte sur le plan historique, les confirme ou non, selon le régime providentiellement assigné a la dernière partie des temps traditionnels ». Dans ce cas la Khilâfah se rapporte donc aux Prophètes anté-islamiques, dont les entités exercent un certain rôle dans le domaine du sulûk. En effet, comme l’indique ensuite le même auteur : « de toute façon, indépendamment de la présence actuelle, dans le monde, des lois formulées par les révélateurs antérieurs, les entités spirituelles de ceux-ci figurent comme des réalités inhérentes, constitutives de la forme muhammadienne elle-même et comme fonctions présentes dans l’économie initiatique de l’Islam. C’est en raison de cela que les hommes spirituels du Tasawwuf vivent et se développent initiatiquement, et cela sans aucun choix délibéré de leur part, selon tel ou tel type spirituel qui leur correspond de façon naturelle, soit d’une façon générale soit dans l’une des phases de leur carrière ; ils n’en réalisent bien entendu les possibilités que pour autant que celles-ci se trouvent en eux-mêmes. Certains peuvent ainsi avoir à passer successivement sous le régime initiatique de plusieurs de ces entités prophétiques particulières inscrites dans la sphère totalisatrice muhammadienne ». Une édition libanaise récente (Kitâb Nâchirûn) porte, au lieu de la taçliyah de l’édition originale, la mention « ‘Azza wa jall » – Exalté et Magnifié soit-Il réservée traditionnellement à Allah. Si l’on retient cette leçon – fautive à notre avis car moins cohérente doctrinalement – la khilâfah envisagée serait plutôt celle d’Allah sur Terre, octroyée en premier lieu par Ce dernier à Adam, le père du genre humain. Notons toutefois qu’on ne peut séparer tout à fait la lumière prophétique de celle d’Allah – Exalté soit-Il – ni la khilâfah d’Allah de celle de Son messager ﷺ. []
  31. Al-Anbiyâ’ : 107. Dans cette perspective, on se rappellera de l’anecdote reproduite dans la Durratu-l-Asrâr relative aux « deux miséricordes ». []

par le 4 décembre 2011, mis à jour le 28 juillet 2015

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