Bienfaits et excellence du dhikr – Imâm Charani

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Le présent article s’inscrit dans le groupe de textes et d’études que nous développons sur le dhikr ; il est extrait de notre traduction des Lawâqîh.

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Exposition des bienfaits du dhikr, des modalités de son accomplissement et de certains propos concernant l’insistance qu’il y a à le pratiquer.

Sache qu’on ne peut limiter les bienfaits du dhikr car celui qui la pratique obtient la « compagnie » d’Allah. On ne peut alors voir d’intermédiaire entre lui et son Seigneur.

L’auteur précise ce qu’il a déjà évoqué précédemment et qui est une expression islamique de ce que René Guénon appelle l’identification du sujet et de l’Objet par la connaissance initiatique effective.(cf. notamment : L’Homme et son devenir selon le Vedânta, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, La Métaphysique orientale)

Personne ne sait la valeur de ce que la Vrai –Exalté soit-Il- lui a (ainsi) offert en cadeau comme science et en secrets à chaque fois que l’on fait le dhikr. Car c’est une présence à laquelle personne ne parvient ni ne se sépare sans un appui (aide) spirituelle.

Si l’on demande à celui qui prétend s’être concentré en son cœur avec son Seigneur :  » Que t’a-t-Il donné en cadeau durant cette séance ?  » et qu’il répond :  » Il ne m’a rien donné ! « , nous lui disons : « Ne t’en prends qu’à toi-même ; tu ne Lui étais en rien « présent » [dans ton dhikr] ! Cherches ce que tu dois enlever de toi qui t’empêches d’établir une concentration (présence) effective. » Et s’il ne trouve rien, nous lui dirons de multiplier le dhikr, même sans concentration, ainsi que l’a dit l’auteur des Hikam :

«N’abandonne par le dhikr (lâ tatruk edh-dhikr) à cause de ton manque de « présence » avec Allah quand tu t’y adonnes (li ‘adami hudûri-ka ma’-Allah fî-h), car ta négligence à pratiquer Son dhikr [li-anna ghaflata-ka min wujûdi dhikri-Hi] est pire que ta distraction [achaddu min ghaflata-ka] quand tu pratiques Son dhikr [fî wujûdi dhikri-Hi].

Or il se peut qu’Allah t’élève d’un dhikr fait avec distraction en un dhikr fait avec vigilance (éveil),

Et d’un dhikr fait avec vigilance en un dhikr fait avec « présence » (concentration),

Puis d’un dhikr fait avec « présence » en un dhikr pratiqué dans l’absence de tout ce qui autre que Le Mentionné …

« Et cela, pour Allah, n’est pas difficile »

Cette hikmah est constamment reprise dans les exposés classiques des conditions du dhikr (cf. Mafâkir el-‘aliyah, par exemple). Il indique l’importance de ce qui est relatif et de ce qui est secondaire et permet notamment, surtout dans des circonstances particulièrement aggressives ou peu favorables (rue, transports, travail, faculté, etc …), de maintenir une activité de dhikr la plus constante possible.

Il est une expression de l’optique initiatique générale de la méthode de la tarîqah shadhilie, qui est, à la différence de celle de l’imâm Ghazâli par exemple, de s’appuyer davantage sur la miséricorde divine que sur la validité de ses actes d’adoration (cf. la première hikmah d’ibn Atâ Allah es-Sakandarî).

Sans pouvoir développer ici cette question pourtant très importante, notamment par le fait qu’elle est une marque évidente des adaptations méthodiques qui ont pu être apportées dans le temps pour rendre compte de la modification des conditions cycliques, je cite les paroles rapportées de Sidi Ahmed Fathu’Lhah Jâmî, qui évoque cet aspect (traité de manière plus complète par Sidi el-Hâshimî dans une de ses épîtres) : « La méthode de l’imâm al-Ghazâlî, qu’Allah, Exalté soit-il, répande sur lui Sa miséricorde, constitue ma technique de cheminement spirituel (sulûk), alors que la voie de l’imâm ach-Châdhilî, qu’Allâh, Exalté soit-Il, répande sur lui Sa miséricorde, correspond à ma disposition naturelle (machrab). J’applique donc la première pour les exercices spirituels (riyâdât) et la seconde pour le rappel (dhikr). » (Appel aux croyants, p. 17, traduction AbdelWadoud Bour, éditions El-Bouraq)

Le seconde partie de la hikmah expose bien l’aspect relatif des états qualitatifs des pratiques d’adoration selon de degré de progression atteint par l’adorateur : l’aspect de la « présence » diffère selon qu’elle est envisagée par rapport à l’état antécédent (et la station à laquelle on accède) ou selon qu’elle est envisagée par rapport l’état suivant (et la station que l’on quitte).

La fin de la hikmah évoque l’extinction et la perte de toute dualité qui caractérisent la Connaissance ultime.

La communauté des Initiés est unanime à dire que le dhikr est la clef du Non-Manifesté. Il attire le bien, est le compagnon qui s’adresse à celui qui est attristé, « édite » la sainteté ; il ne faut donc pas le délaisser, même s’il est fait avec distraction et même sans la noblesse qui lui revient. Car même si l’on ne considérait du dhikr que le fait qu’il puisse être pratiqué à n’importe quel moment (du jour), cela suffirait à faire valoir sa noblesse ; Allah –T- dit en effet à ce sujet :  » … ceux qui mentionnent Allah debout, assis ou sur leur côté ….. » (Al ‘Omrân, 191)

Ils disent :  » Il n’y a rien de plus rapide que l’ouverture obtenue par le dhikr : il rassemble les aspects séparatifs de celui qui le pratique. Lorsque le dhikr l’emporte sur l’incantateur l’amour du nom du Mentionné se mélange à l’esprit de l’incantateur à tel point qu’on rapporte qu’il est arrivé qu’une pierre ayant frappé la tête de l’un d’entre les pratiquants du dhikr, du sang coulait de sa tête par terre en écrivant : « Allah, Allah, … »

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Après t’avoir mentionné les bienfaits de l’incantation auxquels tu dois faire attention, nous voudrions t’exposer un peu de ce qu’il en est de sa supériorité, car le cœur est renforcé par l’examen des arguments.

Les deux Maîtres *,et bien d’autres, [rapportent le hadith suivant reconnu et « remontant »] :  » Voulez-vous savoir quel est le meilleur de vos actes, le plus pur auprès de votre Roi, le plus élevé dans votre hiérarchie de vos actes, meilleur pour vous que la dépense de l’or et de l’argent (wurq), meilleur pour vous que de rencontrer vos ennemis au combat en les frappant sur le cou et en frappant vos cous ?  » Ils répondirent :  » Oui !  » Il dit alors :  » Le dhikr d’Allah. »

* On désigne habituellement ainsi Bokhârî et Muslim, deux principaux collecteurs de hadiths prophétiques.

Les Deux Maîtres du hadith rapportent le hadith suivant :  » Allah –qu’Il soit Magnifié- a dit :  » Je suis auprès de Mon serviteur selon l’opinion qu’il a de Moi et Je suis avec lui quand il Me mentionne. » Dans une autre version :  » Je suis avec Mon serviteur lorsqu’il Me mentionne et que, par Moi, se meuvent ses lèvres. »

Cette notion a une application initiatique directe qui devrait intéresser le sâlik qui se demande s’il a progressé dans la Voie. Elle est mentionnée par Ibn Ajiba dans son commentaire des Hikam « Iqâdh el-Himam » qui cite un hadîth : « Que celui qui désire savoir ce qu’il est auprès d’Allah considère ce qu’Allah est auprès de lui (mâ Li-Llah ‘inda-hu)» ; et selon une autre version : « Que celui qui désire savoir qu’elle est sa « demeure » (manzil) auprès d’Allah considère la « demeure » d’Allah Ta’âlâ en son cœur (min qalbi-hi). Car, en vérité, Allah établit le serviteur [chez Lui] selon la demeure que le serviteur établit pour Lui en lui-même.»

L’aptitude plus ou moins grande qu’a l’incantateur à établir une présence divine consciente en son cœur lors de son dhikr est donc un critère assez directement appréciable par l’intéressé lui-même, la principale difficulté demeurant, peut être alors, dans l’appréciation de la nature réelle de ce qui s’établit réellement. Quoi qu’il en soit des applications qui peuvent être faites de cette notion dans le travail inititatique personnel (et qui sont ultimement à soumettre au Sheikh si l’on est son disciple), on pouvait néanmoins attirer l’attention sur l’existence réelle de cette possibilité.

Mu`adh ibn el-Jabal –qu’Allah soit satisfait de lui- disait :  » La dernière parole sur laquelle j’ai quitté l’Envoyé d’Allah –qu’Allah prie sur lui et le salue- a été quand je lui ai dit :  » Quel acte est le plus aimé d’Allah –Elevé soit-Il- ?  » Il me répondit :  » De mourir alors que ta langue est humide de la mention d’Allah. »

Dans les deux recueils authentiques :  » A chaque chose correspond un autre qui la polit (çaqâlah) et ce qui polit les cœurs est le dhikr d’Allah. Il n’y a rien qui ne sauve davantage du châtiment d’Allah que la mention d’Allah. » Ils demandèrent :  » Pas même la guerre sainte pour Allah ?  » – Pas même si vous frappiez d’un sabre jusqu’à ce qu’il se brise ! «

Ainsi qu’on l’a déjà entrevu, le « polissage du cœur » est une phase préparatoire essentielle et nécessaire au tajallî divin. On verra, in châ Allah, que ce n’est pas la seule, car un miroir, même parfaitement poli, ne reflète que ce vers quoi il est orienté.

Ibn Habbân rapporte dans son livre de hadith-s authentiques le hadith suivant :  » Il y aura des gens qui mentionneront Allah assis sur les couches (lits) confortables et qu’Allah fera entrer dans les degrés les plus hauts (du Paradis). «

Les deux Maîtres rapportent :  « Celui qui fait le dhikr d’Allah est par rapport à celui qui ne fait pas le dhikr d’Allah comme le vivant est par rapport au mort.»

L’Imâm Ahmed (ibn Hanbal) et et-Tabarânî rapportent :  « Deux hommes dirent : « Ô Envoyé d’Allah, quels sont, parmi ceux qui déploient des efforts spirituels, ceux qui ont le plus de récompense ? » Il répondit :  « Ceux qui multiplient davantage le dhikr d’Allah.» Puis il mentionna la prière, l’impôt légal (zakât), le pèlerinage et l’aumône (çadaqah), tout cela alors que l’Envoyé d’Allah –qu’Allah prie sur lui et le salue- avait dit : « Ceux d’entre eux qui multiplient le dhikr d’Allah». Abou Bakr dit alors à Omar :  « Ô Abû Hafs, ceux qui font le dhikr d’Allah sont partis avec tout le bien ?!  » et l’Envoyé d’Allah –qu’Allah prie sur lui et le salue- de dire :  » Certainement (ajal) ! «

Et-Tabarânî rapporte dans un hadith marfu` : « Les gens du Paradis ne regrettent qu’une heure qu’ils auraient passée sans faire le dhikr d’Allah. »

Et-Tabarânî rapporte aussi le hadith suivant (….) :  « Celui qui ne fait pas le dhikr d’Allah est dépourvu de foi. »

Le Cheikh Aboû el-Mawâhib a dit : « Celui qui oublie Allah Lui a été infidèle (kafarâ bi-Hi). »

Hadith par Tabarânî : « Allah –Elevé et Magnifié soit-Il- dit :  » Ô fils d’Adam ! Lorsque tu Me mentionnes, tu Me remercies ! Et quand tu M’oublies tu M’es infidèle ! »

Si l’on dit : « Qu’est-il plus utile : le dhikr personnel ou le dhikr collectif ? », la réponse est la suivante : le dhikr personnel (munfaridan) est plus utile à ceux qui pratiquent l’isolement absolu (el-khalwah) et le dhikr collectif est plus utile à celui qui ne pratique pas l’isolement.

Si l’on demande : le dhikr à voix basse (sirran) est-il plus utile ou le dhikr à voix haute (jahran) ? La réponse est que le dhikr à voix haute est plus utile à celui des débutants qui a vaincu les difficultés propres aux gens du début de la Voie. Le dhikr à voix basse est plus utile à qui, parmi les gens de la progression effective, à dépassé la collectivité.

Si tu dis : « L’aspect collectif du dhikr est-il meilleur ou bien (comme certains le pensent), est-ce une innovation ? Nous répondons que c’est recommandé : Allah l’aime ainsi que Son Prophète. Et y a-t-il une oeuvre d’adoration meilleure que le rassemblement d’un peuple qui se regroupe pour le dhikr d’Allah et à qui Il tient compagnie à cause de son incantation ?

Si tu dis : « Quel est l’argument par lequel on voit que le dhikr collectif est meilleur ? », la réponse est que ce qui détermine cet avis vient de ce que rapporte Muslim et Tirmidhi (selon un hadith marfu’) : « Il n’est pas un groupe qui ne fasse le dhikr d’Allah (.) sans que les Anges ne l’entourent, ne les couvrent de la miséricorde, que la Grande Paix (es-Sekînah) ne descende sur eux et qu’Allah ne les mentionne chez ce qui est chez Lui».

Bokhârî rapporte le hadith suivant : « Allah a des Anges qui tournent sur les chemins en cherchant des gens de dhikr ; lorsqu’ils trouvent un groupe qui fait le dhikr d’Allah (.) ils leur annonce ?………

L’Imâm Ahmed rapporte le hadith suivant : « Il n’existe pas un groupe de gens qui se réunissent pour le dhikr d’Allah (.), en ne voulant en cela autre chose que Sa Face, sans qu’un héraut ne leur annonce depuis le Ciel : « Levez-vous, vous êtes pardonnés. Vos mauvaises actions ont été changées en bonnes ! »

Et-Tirmidhî rapporte : « Il n’existe pas un groupe de gens qui se réunissent pour le dhikr d’Allah (.), ne désirant en cela que Sa Face, sans qu’un héraut ne leur annonce depuis le Ciel

Ibn Habbân a rapporté dans son recueil de hadith certifiés véritables le hadith suivant : « Allah (.) dit : « On reconnaîtra les gens du «rassemblement» des gens de la «générosité»  » On demanda :  « Qui sont les gens de la «générosité» ô Prophète d’Allah ?» Il répondit :  « Les gens des assemblées de dhikr dans les mosquées (lieux de prière) ; ils font le dhikr d’Allah à tel point qu’on dit d’eux : « Ils sont fous (possédés) ! »

Les savants (uléma) anciens et (leurs) successeurs sont unanimes quant au caractère recommandé du dhikr d’Allah (.) en commun, dans les mosquées et autres lieux semblables, sans dénégation aucune sauf si leur dhikr dérange quelqu’un qui dort, prie, récite (le Coran) ou autres choses semblables, toutes détaillées dans les livres de fiqh.

L’Imâm el-Ghazâlî compare le dhikr de l’homme seul et le dhikr collectif au grand appel à la prière (adhân) fait seul et l’appel fait en commun, en disant :  » Comme les voix des muezzins [litt. ceux qui font l’adhân] en commun rompent davantage les attaches des désirs que la voix d’un muezzin unique, le dhikr en commun fait en un choeur unique est davantage propre à lever le voile (de l’ignorance) que celui d’un seul. »

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Quant à ce qui est de la récompense : à chacun des participants revient le bienfait qui lui personnel ainsi que le bienfait propre à la « séance » de son compagnon » * et ce pour quoi le dhikr fait en commun est plus efficace à lever les voiles épais vient de la comparaison qu’Allah (.) a établi entre les cœurs et les pierres ; il est en effet connu qu’une pierre de grande taille ne peut être brisée qu’avec la force d’un groupe qui se réunit (…) car la force de la collectivité est plus puissante que la force d’une seule personne. C’est pourquoi on a fait une condition du dhikr qu’il se fasse avec une force parfaite en prenant comme argument Sa parole (.) :  » puis leurs coeurs sont endurcis après cela ; ils sont comme des pierres ou pire que des pierres » (II,74) Comme la pierre n’est brisée que par la force, de même le dhikr ne peut rassembler les aspects séparatifs du coeur de celui qui le pratique avec force.**

* Dans Initiation et Réalisation spirituelle (p. 189, note 1, édition de 1975) René Guénon-Cheikh Abd el-Wâhid Yahyâ évoque également cette notion dans une occurrence un peu particulière :

« (…) dans l’initiation islamique, certaines turuq, surtout dans les conditions actuelles, ne sont plus dirigées par un véritable Sheikh capable de jouer effectivement le rôle d’un Maître spirituel, mais seulement par des Kholafâ qui ne peuvent guère faire plus que de transmettre valablement l’influence initiatique ; il n’en est pas moins vrai que, lorsqu’il en est ainsi, la barakah du Sheikh fondateur de la tarîqah peut fort bien, tout au moins pour des individualités particulièrement bien douées, et en vertu de ce simple rattachement à la silsilah, suppléer à l’absence d’un Sheikh présentement vivant,(…) »

** On se souvient que cette question de l’intensité avec laquelle doit être pratiqué le dhikr a déjà été soulevée précédemment dans le texte.

A la question de savoir s’il est préférable de faire le dhikr (simplement par la formule) « Lâ ilâha ill-Allah » ou d’ajouter « Mohammadun rasûl Allah » on répondra que le meilleur dhikr de ceux qui progressent sur la Voie de la Réalisation effective (es-Sâlikîn) est le dhikr « Lâ ilâha illâ Allah« , sans (la formule) « Mohammed est l’Envoyé d’Allah », tant qu’ils n’ont pas obtenu le rassemblement avec Allah (.) en leurs coeurs, condition dans laquelle le dhikr « Mohammed est l’Envoyé d’Allah » est alors meilleur.

Si l’on dit :  » N’est-il pas mieux de réciter le Coran, sous le rapport que cela constitue, à la fois, un dhikr et une récitation ? «

La réponse est que le dhikr est [techniquement, sous le rapport du travail initiatique) meilleur pour le murîd et la récitation meilleure pour celui qui, ayant une connaissance effective de l’Immensité d’Allah, est parfaitement réalisé (el-kâmil).

Imâm Charani

Commentaires du traducteur

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par le 5 juillet 2015, mis à jour le 5 juillet 2015

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