Chemins de la guidée (subul el-hidâyah) et éducation spirituelle (tarbiyah) – M.A.S.

  بسم الله الرحمن الرحيم الحمد لله والصلاة والسلام على سيدنا محمد رسول الله وآله وصحبه ومن والاه

وَالَّذِينَ جَاهَدُوا فِينَا لَنَهْدِيَنَّهُمْ سُبُلَنَا

وَإِنَّ اللَّهَ لَمَعَ الْمُحْسِنِينَ

« Et ceux qui auront déployé des efforts pour Nous, Nous les guiderons assurément sur Nos chemins. En vérité Allah est assurément avec ceux qui ont une pratique excellente » 1.

Bien qu’il n’y ait pas un bien habituel, surtout dans le domaine qui nous intéresse, à suivre de trop près les péripéties changeantes de l’actualité, nous nous devons pourtant de réagir à ce qui apparaît bien être une manifestation supplémentaire de la tendance qui consiste à dénigrer des positions tout à fait régulières et traditionnelles en les faisant passer pour contradictoires avec d’autres plus connues parce que « classiques ». Comme il s’était agit, il y a quelques années, de remettre en cause l’intérêt que pouvait présenter la simple transmission de l’influence spirituelle au sein d’une tarîqah, il s’agit maintenant, de la manière, finalement assez répandue pour être considérée comme unique ou dominante dans bien trop de milieux à notre avis, de présenter la prise en compte de la raréfaction des maîtres de la Voie comme une tendance qui, parce qu’elle serait « actuelle », serait ainsi erronée.

On laisse croire en effet, en agissant ainsi et en présentant avec force détails et références la position inverse 2, que cette situation n’a nullement à être considérée comme telle puisque l’on présente le cas de sa propre tarîqah comme un exemple décisif d’existence d’un maître spirituel éducateur (cheikh tarbiyah). On laisse penser ainsi, ou l’on évoque sans le dire vraiment, que l’hypothèse même de la disparition extérieure des maîtres spirituels éducateurs dans la Voie 3  s’opposerait à la notion traditionnelle qui affirme la persistance de la guidée spirituelle au sein de la communauté humaine jusqu’à la fin des temps. Or, on sait, par principe et quand on s’intéresse de suffisamment près à ce sujet, qu’il n’en est rien.

Il nous semble donc important de demander fraternellement à ceux qui pratiquent ainsi, avec le respect minimal que l’on doit à toute personne qui agirait avec sincérité comme avec l’exigence de vérité qu’implique toute démarche intellectuellement honnête, s’ils ne feraient pas mieux de se contenter de réfléchir avec un tant soit peu de scrupule et d’attention à l’intérêt qu’il y aurait à comprendre véritablement ce que recouvrent, par exemple dans le passage coranique précité, le terme général de hidâya 4 ainsi que la pluralité des subul 5. Ils pourraient, notamment, se demander ainsi si les termes en question impliquent uniquement la présence corporelle tangible d’un maître spirituel, plutôt que de s’opposer, de manière finalement aussi grossière que frontale, aux avis qu’ont porté à ce sujet des autorités du Taçawwuf aussi nombreuses et diverses que parfois très anciennes qui, par contre, parce qu’ils tiennent justement compte de significations que ces détracteurs semblent ignorer ou assurément ne pas comprendre, ouvrent des possibilités réelles, adaptées et régulières à ceux qui cherchent une initiation effective dans les temps … actuels.

Il est décidément plus qu’étonnant de constater ce que l’on est bien obligé d’appeler l’obstination des personnes en question à vouloir dénigrer de manière parfois outrageuse les avis auxquels  nous faisons allusion et dont vous avons entrepris la collection, la présentation et le commentaire sur Le Porteur de Savoir6

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  • Rappelons à ce propos et pour mémoire7, qu’il n’est aucunement question pour nous de rejeter évidemment l’idée que tout maître légitime de la Voie puisse revendiquer pour lui-même et selon les autorisations initiatiques régulières dont il dispose à titre nominal, de diriger la tarîqah dont il est responsable de manière à faire valoir et respecter une fonction d’éducation spirituelle (irchâd, tarbiyah) qui prendrait appui sur la réalité de son propre degré de réalisation spirituelle. Chacun, en ce domaine comme en bien d’autres, est responsable devant Allah (subhâna-Hu wa ta’âlâ), les Anges (‘alayhim es-salâm), le Prophète (‘alayhi es-salâtu wa-s-salâm) et les Maîtres de la Voie (radiy-Allah ‘anhum ajma’în) de ce qu’il avance et met en œuvre ou exige des prétendants au sulûk ; les droits et les devoirs du cheikh persistent tant qu’ils sont réguliers.
  • Il n’est pas, non plus, question de dire que tout murîd pourrait se passer ou se dispenser pour autant, quand il constate l’absence d’un Maître murabbî, des dispositions méthodiques et disciplinaires formelles d’ordre général qui existent habituellement dans toute tarîqah régulière et qui constituent la majeure partie des moyens initiatiques que tout murîd sincère et qualifié peut être amené à mettre en œuvre dans sa quête ; les droits et les devoirs du murîd persistent également tant qu’ils sont réguliers.
  • Mais il n’est pas davantage question de laisser croire ou affirmer qu’aucun Maître de la Voie ne se serait jamais prononcé sur les possibilités initiatiques réelles qui s’offrent au même prétendant en cas de raréfaction ou de disparition extérieure des Maîtres éducateurs, ou que ce que ceux-ci ont effectivement dit à ce sujet n’aurait pas à être pris en considération dans des conditions cycliques qui sont, pourtant et de l’avis général, les plus proches des pires de celles qu’ait jamais connu l’humanité tout entière.

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18 fév. 2015 – V6

Quant à savoir, finalement, quelle est l’ « actualité » réelle de telle ou telle position méthodique, faut-il donc, pour que ces affirmatifs détracteurs se rendent compte de ce qu’elle a de ridiculement absurde, aller jusqu’à évoquer l’hypothèse que l’on devrait se tenir à constater la survenue soudaine, brutale et dévastatrice des évènements apocalyptiques eux-mêmes pour s’autoriser à commencer à envisager de prendre enfin en considération de manière effective les adaptations méthodiques dont les Maîtres dont nous parlons ont rendu possible la mise en œuvre régulière, parfois depuis plusieurs siècles déjà, mais que l’on s’est, pourtant, refusé d’accepter l’application ou que l’on dénigre en critiquant leur valeur ainsi que celle de ceux qui les envisagent ou les pratiquent ?… Quelle est donc, sous ces rapports, la position réaliste et celle qui ne l’est pas ?

• A titre d’illustration, que pense-t-on, de ce passage de Qawâ’id el-‘aqâid de Ghazâlî  8 ?

« Plus tard, si l’enfant qui a grandi en portant en lui cette croyance élémentaire tourne son attention vers les biens de ce bas-monde, aucune autre possibilité de compréhension de la doctrine ne s’offrira à lui. Il accèdera toutefois au salut dans l’Au-delà en vertu de la vérité de sa foi […] En revanche, si l’enfant désire, comme d’autres, prendre le chemin de l’Autre monde, pour s’y engager activement avec succès, en s’imposant la piété et en domptant son âme, à travers la discipline spirituelle [riyâdah] et la lutte contre son égo [mujâhadah], alors les portes de la guidance s’ouvriront à lui. Il connaîtra par dévoilements intérieurs, au moyen d’une lumière divine projetée dans son cœur [en raison de son effort (mujahâdah)], les réalités profondes qui sont exprimées de façon théorique dans la doctrine [haqâïq hadhi-hi el-‘aqîdah] , [vérifiant ainsi] la Promesse de Dieu : Ceux qui auront combattu en Nous [alladhîna jahâdû fî-nâ], Nous les guiderons assurément sur Nos chemins. En vérité, Dieu est avec ceux qui pratiquent la vertu spirituelle [el-muhsinîn] [Coran 29 ;69] ».

• Que pense-t-on de l’ « actualité » d’un texte tel que celui-ci, plus récent ?…

Le Cheikh Abu-l-Mawâhib – qu’Allah soit satisfait de lui – a dit : « Il se trouve, parmi les Saints,

  1. celui qui est davantage utile à son murîd sincère (aç-çâdiq) après sa mort que durant sa vie ainsi que, parmi les adorateurs,
  2. celui dont Allah se charge lui-même de son éducation (tarbiyyah) sans intermédiaire,
  3. celui qui est pris en charge par l’intermédiaire de l’un d’entre Ses Saints, fût-il mort et enterré (law mayyitan fi qabrihi), qui éduque (yurabbî) son murîd alors qu’il se trouve dans sa tombe (qabr) et dont le murîd entend sa voix depuis la tombe,
  4. Allah a enfin des adorateurs dont l’éducation a été confiée au Prophète lui-même – qu’Allah prie sur lui et le salue -, sans autre intermédiaire, par la multiplication de leur prière sur lui – qu’Allah prie sur lui et le salue. »

• Trouve-t-on aussi que le texte suivant, de Cheikh Zaynî Dahlan (Taqrîb el-wuçûl), pourtant plus récent encore, n’a pas à être pris en considération parce qu’il manquerait à la fois de régularité, d’autorité et de réalisme ?

« La prière sur le Prophète est utile quelle que soit la formule employée et il n’y a rien de plus utile à l’illumination des cœurs et à l’arrivée des mouridîn à Allâh qu’elle, car celui qui est persévérant dans la prière sur le Prophète obtient de nombreuses lumières et, par son influence spirituelle, parvient au Prophète ou bien est réuni avec quelqu’un qui le fait parvenir à lui, particulièrement si cela est pratiqué avec rectitude (istiqâmah) et particulièrement à la fin des temps (âkhir al-azmân) au moment de l’appauvrissement en Maîtres spirituels (qillatou-l-Mourshidîn) et de la confusion des choses (iltibas el-oumoûr) chez les gens. Qui donc veut guider les créatures et leur enseigner, prescrive aux gens, du commun comme de l’élite, la demande de pardon (istighfâr) et la prière sur le Prophète. »

Pendant combien de temps encore (et sans qu’aucune forme de contradiction ne s’élève à l’intention des prétendants sincères et qualifiés au sulûk) va-t-on voir tenter de restreindre aussi facilement la pluralité des chemins de la guidée spirituelle (subul el-hidâyah) à un seul d’entre eux, serait-il le plus connu et « classiquement » le plus pratiqué ?

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Fidèle à notre devise 9, espérons que, malgré notre ignorance, nous aurons transmis à ceux qui en sont dignes une part du savoir dont ils ont besoin et gageons, in châ Allah, que ceux qui, de tout temps, ont su, parce qu’ils étaient les Maîtres héritiers de l’enseignement mohammédien véritable, adapter avec miséricorde les possibilités méthodiques initiatiques régulières selon les différentes conditions cycliques seront ainsi, au moins, reconnus et compris par ceux qui sont aptes à comprendre leurs enseignements et à les mettre en œuvre pour les faire fructifier.

Et Allah est plus Savant

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GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)

  1. Autre traduction : avec ceux qui font le bien. Coran, L’araîgnée, 69. Nous nous permettons de souligner ici, avec l’insistance qui nous semble nécessaire, un point de traduction qui mériterait certainement un peu plus qu’un simple remarque : nous rendons le lam qui est employé deux fois dans ce passage (« la-nahdiyanna-hum« , « la-ma’a« ) pour indiquer l’insistance d’Allah Lui-même à montrer ce qu’Il garantit subhâna-Hu wa ta’âlâ, à ceux qui « auront déployé des efforts pour Nous » (« jâhadû fî-Nâ« ) et qui « ont une pratique excellente » (« muhsinîn« ). []
  2. Ce qui est fort aisé quand celle-ci est tellement ancienne que l’on peut la qualifier de « classique » []
  3. Nous considérons ici la fonction générale d’éducation ou d’enseignement initiatique, sans entrer dans la distinction de ses différentes formes possibles et quelles qu’aient pu être leurs différentes appellations []
  4. Ce terme est habituellement traduit par guidée ou guidance spirituelle []
  5. Pluriel de sabîl, chemin []
  6. La vénération, naturelle ou nourrie, que l’on porte à son Cheikh, quelle que soit la qualité éventuelle de celui-ci, est-elle d’ailleurs encore justifiée quand elle s’accompagne de la moindre part de dénigrement à l’égard de ceux des Maîtres réguliers de la Voie qui présentent des positions différentes ? []
  7. Nous nous sommes déjà largement exprimé sur ce point []
  8. Présenté par Luc de la Hilay dans La ‘Aqîdah comme point d’appui de la réalisation spirituelle []
  9. «Il se peut que le porteur d’un savoir le transmette à quelqu’un qui le comprendra mieux que lui» []

par le 12 mars 2013, mis à jour le 8 juin 2015

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