Commentaire d’Ibn ‘Ajîba du récit coranique de Moïse avec el-Khidr (Bahr el-Madîd)

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Le tafsîr du Coran d’Ibn Ajîbah intitulé El-Bahr el-Madîd fî tafsîr el-Qurân el-Karîm est connu pour avoir la particularité de présenter en un ouvrage unique un commentaire exotérique et un commentaire ésotérique. C’est une des raisons principales pour lesquelles nous avons choisi d’en extraire et de traduire la quinzaine de pages 1 qui concerne le passage relatant le voyage initiatique servant de cadre au compagnonnage entre Moïse et el-Khidr 2.

Wa bi-Llah et-tawfîq

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وَإِذْ قَالَ مُوسَى لِفَتَاهُ

« et » rappelle-toi « quand Moïse dit à son valet » Yûcha’ fils de Nûn fils de Ifrâthîm fils de Yûssuf –sur lui la Paix-, qui était son neveu maternel (fils de sa mère). Il fut appelé « valet » du fait qu’il était à son service, qu’il le suivait et prenait de lui la science.3

لَا أَبْرَحُ

« Je n’arrêterai pas de chercher » cet homme, c’est-à-dire Al-Khidr –sur lui la Paix-

حَتَّى أَبْلُغَ مَجْمَعَ الْبَحْرَيْنِ

« jusqu’à atteindre le confluent des deux mers » : c’est la rencontre de la mer des Perses et des Rûm, en ce qui concerne l’Orient, selon l’avis de la plupart. Ibn Juzzî dit que le « confluent des deux mers » (majma’u-l-bahraïn) est proche de Tanger en tant que c’est l’endroit où se rencontre l’Océan atlantique avec la mer qui en émane, à savoir la mer méditerranée (« mer de l’Andalousie »), selon Ka’b ibn Mohammed Qurtubî, dit l’auteur.

أَوْ أَمْضِيَ حُقُبًا

« dussé-je marcher de longues années » : c’est-à-dire une période suffisamment longue pour trouver ce que je cherche, le terme haqab désignant le temps (dhar) ou une période de 80 ou 70 ans.

Allah ta’âlâ, lorsque notre seigneur Moïse (que la paix soit sur lui) obtint la victoire sur l’Égypte, suite à la ruine des Coptes, ordonna à celui-ci de rappeler à son peuple cette grâce. Il leur fit ainsi un prêche éloquent qui attendrit les cœurs et fit couler les larmes. On lui demanda quel était l’homme le plus savant (‘alamu-n-nâs). Il répondit : « Moi » ; selon une autre version, on lui demanda s’il connaissait quelqu’un de plus savant que lui. Il répondit : « Non », ce qu’Allah lui reprocha pour n’avoir pas rapporté la chose à Lui-même (‘azza wa jalla) ; Il lui révéla ainsi : « Celui qui est plus savant que toi est un serviteur que j’ai (‘abdun lî) au confluent des deux mers. C’est al-Khidr. (Boukhârî – Ahâdîth sur les Prophètes – chapitre 28). Celui-ci vécut précédemment à Dhu-l-Qarnayn et demeura vivant jusqu’au temps de Moïse (que la paix soit sur lui) ; des précisions le concernant seront données ci-dessous, in châ Allah.

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فَلَمَّا بَلَغَا مَجْمَعَ بَيْنِهِمَا نَسِيَا حُوتَهُمَا فَاتَّخَذَ سَبِيلَهُ فِي الْبَحْرِ سَرَبًا

(61) Puis, lorsque tous deux eurent atteint le confluent, ils oublièrent leur poisson qui prit alors librement son chemin dans la mer.
فَلَمَّا جَاوَزَا قَالَ لِفَتَاهُ آتِنَا غَدَاءَنَا لَقَدْ لَقِينَا مِنْ سَفَرِنَا هَذَا نَصَبًا

(62) Puis, lorsque tous deux eurent dépassé [cet endroit,] il dit à son valet: «Apporte-nous notre déjeuner: nous avons rencontré de la fatigue dans notre présent voyage».
قَالَ أَرَأَيْتَ إِذْ أَوَيْنَا إِلَى الصَّخْرَةِ فَإِنِّي نَسِيتُ الْحُوتَ وَمَا أَنْسَانِيهُ إِلَّا الشَّيْطَانُ أَنْ أَذْكُرَهُ وَاتَّخَذَ سَبِيلَهُ فِي الْبَحْرِ عَجَبًا

(63) [Le valet lui] dit: «Quand nous avons pris refuge près du rocher, vois-tu, j’ai oublié le poisson – le Diable seul m’a fait oublier de (te) le rappeler et il a curieusement pris son chemin dans la mer».
قَالَ ذَلِكَ مَا كُنَّا نَبْغِ فَارْتَدَّا عَلَى آثَارِهِمَا قَصَصًا

(64) [Moïse] dit: «Voilà ce que nous cherchions». Puis, ils retournèrent sur leurs pas, suivant leurs traces.
فَوَجَدَا عَبْدًا مِنْ عِبَادِنَا آتَيْنَاهُ رَحْمَةً مِنْ عِنْدِنَا وَعَلَّمْنَاهُ مِنْ لَدُنَّا عِلْمًا

(65) Ils trouvèrent l’un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous.
قَالَ لَهُ مُوسَى هَلْ أَتَّبِعُكَ عَلَى أَنْ تُعَلِّمَنِ مِمَّا عُلِّمْتَ رُشْدًا

(66) Moïse lui dit: «Puis-je te suivre, à la condition que tu m’apprennes de ce qu’on t’a appris concernant une bonne direction?»
قَالَ إِنَّكَ لَنْ تَسْتَطِيعَ مَعِيَ صَبْرًا

(67) (L’autre) dit: «Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi.
وَكَيْفَ تَصْبِرُ عَلَى مَا لَمْ تُحِطْ بِهِ خُبْرًا

(68) Comment endurerais-tu sur des choses que tu n’embrasses pas par ta connaissance?»
قَالَ سَتَجِدُنِي إِنْ شَاءَ اللَّهُ صَابِرًا وَلَا أَعْصِي لَكَ أَمْرًا

(69) [Moïse] lui dit: «Si Allah veut, tu me trouveras patient; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres».
قَالَ فَإِنِ اتَّبَعْتَنِي فَلَا تَسْأَلْنِي عَنْ شَيْءٍ حَتَّى أُحْدِثَ لَكَ مِنْهُ ذِكْرًا

(70) «Si tu me suis, dit (l’autre,) ne m’interroge sur rien tant que je ne t’en aurai pas fait mention».
فَانْطَلَقَا حَتَّى إِذَا رَكِبَا فِي السَّفِينَةِ خَرَقَهَا قَالَ أَخَرَقْتَهَا لِتُغْرِقَ أَهْلَهَا لَقَدْ جِئْتَ شَيْئًا إِمْرًا

(71) Alors les deux partirent. Et après qu’ils furent montés sur un bateau, l’homme y fit une brèche. [Moïse] lui dit: «Est-ce pour noyer ses occupants que tu l’as ébréché? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse! »
قَالَ أَلَمْ أَقُلْ إِنَّكَ لَنْ تَسْتَطِيعَ مَعِيَ صَبْرًا

(72) [L’autre] répondit: « N’ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie?»
قَالَ لَا تُؤَاخِذْنِي بِمَا نَسِيتُ وَلَا تُرْهِقْنِي مِنْ أَمْرِي عُسْرًا

(73) «Ne t’en prends pas à moi, dit [Moïse.] pour un oubli de ma part; et ne m’impose pas de grande difficulté dans mon affaire».
فَانْطَلَقَا حَتَّى إِذَا لَقِيَا غُلَامًا فَقَتَلَهُ قَالَ أَقَتَلْتَ نَفْسًا زَكِيَّةً بِغَيْرِ نَفْسٍ لَقَدْ جِئْتَ شَيْئًا نُكْرًا

(74) Puis ils partirent tous deux, et quand ils eurent rencontré un enfant, [l’homme] le tua. Alors [Moïse] lui dit: «As-tu tué un être innocent, qui n’a tué personne? Tu as commis certes, une chose affreuse!»
قَالَ أَلَمْ أَقُلْ لَكَ إِنَّكَ لَنْ تَسْتَطِيعَ مَعِيَ صَبْرًا

(75) [L’autre] lui dit: «Ne t’ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie?»
قَالَ إِنْ سَأَلْتُكَ عَنْ شَيْءٍ بَعْدَهَا فَلَا تُصَاحِبْنِي قَدْ بَلَغْتَ مِنْ لَدُنِّي عُذْرًا

(76) «Si, après cela, je t’interroge sur quoi que ce soit, dit [Moïse,] alors ne m’accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi».
فَانْطَلَقَا حَتَّى إِذَا أَتَيَا أَهْلَ قَرْيَةٍ اسْتَطْعَمَا أَهْلَهَا فَأَبَوْا أَنْ يُضَيِّفُوهُمَا فَوَجَدَا فِيهَا جِداَرًا يُرِيدُ أَنْ يَنْقَضَّ فَأَقَامَهُ قَالَ لَوْ شِئْتَ لَاتَّخَذْتَ عَلَيْهِ أَجْرًا

(77) Ils partirent donc tous deux, et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants; mais ceux-ci refusèrent de leur donner l’hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s’écrouler. L’homme le redressa. Alors [Moïse] lui dit: «Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire».
قَالَ هَذَا فِرَاقُ بَيْنِي وَبَيْنِكَ سَأُنَبِّئُكَ بِتَأْوِيلِ مَا لَمْ تَسْتَطِعْ عَلَيْهِ صَبْرًا

(78) «Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, dit [l’homme,] Je vais t’apprendre l’interprétation de ce que tu n’as pu supporter avec patience.
أَمَّا السَّفِينَةُ فَكَانَتْ لِمَسَاكِينَ يَعْمَلُونَ فِي الْبَحْرِ فَأَرَدْتُ أَنْ أَعِيبَهَا وَكَانَ وَرَاءَهُمْ مَلِكٌ يَأْخُذُ كُلَّ سَفِينَةٍ غَصْبًا

(79) Pour ce qui est du bateau, il appartenait à des pauvres gens qui travaillaient en mer. Je voulais donc le rendre défectueux, car il y avait derrière eux un roi qui saisissait de force tout bateau .
وَأَمَّا الْغُلَامُ فَكَانَ أَبَوَاهُ مُؤْمِنَيْنِ فَخَشِينَا أَنْ يُرْهِقَهُمَا طُغْيَانًا وَكُفْرًا

(80) Quant au garçon, ses père et mère étaient des croyants; nous avons craint qu’il ne leur imposât la rébellion et la mécréance.
فَأَرَدْنَا أَنْ يُبْدِلَهُمَا رَبُّهُمَا خَيْرًا مِنْهُ زَكَاةً وَأَقْرَبَ رُحْمًا

(81) Nous avons donc voulu que leur Seigneur leur accordât en échange un autre plus pur et plus affectueux.
وَأَمَّا الْجِدَارُ فَكَانَ لِغُلَامَيْنِ يَتِيمَيْنِ فِي الْمَدِينَةِ وَكَانَ تَحْتَهُ كَنْزٌ لَهُمَا وَكَانَ أَبُوهُمَا صَالِحًا فَأَرَادَ رَبُّكَ أَنْ يَبْلُغَا أَشُدَّهُمَا وَيَسْتَخْرِجَا كَنْزَهُمَا رَحْمَةً مِنْ رَبِّكَ وَمَا فَعَلْتُهُ عَنْ أَمْرِي ذَلِكَ تَأْوِيلُ مَا لَمْ تَسْطِعْ عَلَيْهِ صَبْرًا

(82) Et quant au mur, il appartenait à deux garçons orphelins de la ville, et il y avait dessous un trésor à eux, et leur père était un homme vertueux. Ton Seigneur a donc voulu que tous deux atteignent leur maturité et qu’ils extraient. [eux-mêmes] leur trésor, par une miséricorde de ton Seigneur. Je ne l’ai d’ailleurs pas fait de mon propre chef. Voilà l’interprétation de ce que tu n’as pas pu endurer avec patience.»

(A suivre, in châ Allah)

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  1. Dâr el-kutûb el-‘ilmiyyah []
  2. Nous accueillerons avec joie les bonnes volontés qui désireraient se joindre à nous pour ce travail, in châ Allah !… []
  3. Le fatâ désigne en Arabe le jeune homme … []

par le 26 septembre 2014, mis à jour le 26 septembre 2014

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