Définitions des pactes complet (kâmil) et incomplet (nâqiç) – Commentaire (M.A.S.)

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Les notions exposées depuis de nombreuses années, notamment du vivant de Cheikh Zaki ed-Dîn et sous son autorité, dans l’article récemment traduit et édité sur le Porteur de Savoir intitulé « Le Pacte initiatique – Cheikh Ibrâhîm al-Khalil al-Châdhilî » sont de nature assez générale ; il n’est donc pas étonnant de les rencontrer sous une forme ou sous une autre en dehors du cadre propre de la Tarîqah Mohammediyyah elle-même.

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« Le pacte sur la voie du peuple initiatique se divise en deux catégories :

Pacte complet : celui-ci n’est possible que de la main du Maitre versé dans les sciences légales et reconnu comme complet, qui possède les caractéristiques que nous t’avons énoncées précédemment à propos des conditions du Maître éducateur parfait.

Pacte incomplet : il se fait avec un Cheikh qui n’a pas atteint le degré de la perfection, ou qui n’est pas encore apte à la guérison des âmes à cause de son ignorance, ou de son innovation, ou de son ostentation, ou de sa négligence des lois islamiques, ou de différentes autres choses. »

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C’est pour nous l’occasion de formuler quelques rappels généraux et de donner des précisions sur les définitions des pactes qui apparaissent dans ce texte.

La principale de celles-ci sera de dire que les définitions données par le cheikh sont évidemment cohérentes avec les règles générales formulées à ce propos par les Autorités de la Voie.

Elles ne peuvent donc en aucune manière être comprises en un sens différent, notamment qui aurait pour effet de contredire ce qui est habituellement entendu à ce sujet, particulièrement dans la Voie même de la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyah.

Qu’il s’agisse d’un pacte complet ou incomplet, il est en effet bien connu que la fonction première (si ce n’est unique) de tout Maître est d’amener son disciple à son propre niveau de réalisation spirituelle (maqâm) puis, dans l’éventualité où ce dernier l’aurait atteint, de le mettre « entre les mains » d’un Maître dont la réalisation serait supérieure, dans la mesure du possible, afin qu’il envisage de parfaire sa progression. En d’autres termes et comme cette règle l’implique à l’évidence, il est donc clair qu’un sulûk peut bel et bien être régulièrement envisagé dans le cadre d’un pacte initiatique incomplet, c’est-à-dire à l’exacte mesure de celui-ci ; et nous disons une fois encore que la « loi du tout ou rien », qui consisterait à dire qu’en dehors d’un pacte réalisé directement avec un Maître de réalisation totale rien n’est possible ni envisageable en terme de sulûk, ne s’applique aucunement en ce domaine.

Comme d’autres l’ont souligné avant nous depuis longtemps, on peut remarquer également que cette perspective et les possibilités qu’elle offre sont d’ailleurs bien heureuses pour les candidats à une réalisation spirituelle effective : s’il fallait poser comme condition pour envisager un sulûk que celui-ci doive nécessairement s’opérer entre les mains d’un Maître totalement accompli dans la Voie, bien des turûq, ici ou là et progressivement, auraient été fermées depuis un certain temps déjà.

Comme nous l’avons déjà exposé ailleurs précédemment la dégénérescence des conditions cycliques a progressivement concouru à complexifier les situations proposées dans telle ou telle Tarîqah régulière. A la place d’un cheikh unique de réalisation spirituelle intégrale supportant à lui seul l’ensemble des fonctions initiatiques permettant au disciple qualifié d’envisager une réalisation de même nature, bien des Turûq ne sont plus dirigées de nos jours, dans le meilleur des cas, que par des maîtres de réalisation partielle assurant plus ou moins complètement les différentes fonctions dont ils sont finalement dépositaires.

Rappelons, à ce sujet, que les fonctions en question sont de natures différentes, impliquant celui ou ceux qui les assument éventuellement à des degrés et sous des rapports différents. On peut distinguer en effet la transmission de l’influence spirituelle, la transmission générale de la méthode initiatique (incluant notamment la transmission et la mise en oeuvre de rites individuels et collectifs), les enseignements initiatiques généraux (incluant la transmission doctrinale) et personnels.

Sans entrer dans la considération de détails qui nous écarterait trop du présent sujet (qui est uniquement la définition des pactes complet et incomplet, sous le rapport du degré de la réalisation du Cheikh, en dehors de ce qui concerne le murîd), il est néanmoins possible de remarquer que la transmission de l’influence spirituelle n’implique pas de compétence personnelle, à la différence de la fonction d’enseignement, par exemple, qui nécessite à la fois de détenir les connaissances nécessaires correspondantes (celles-ci pouvant d’ailleurs être de natures et de domaines d’application assez différentes) et certaines capacités liées à la nature même de la mise en oeuvre de l’enseignement par elle-même.

Les lecteurs assidus du Porteur de Savoir, qui connaissent les articles concernant le sulûk, le tabarruk, la râbitah rûhîyyah et la recherche de madad, comprendront aisément que nous nous attardions quelque peu sur ce qui concerne la transmission de la méthode initiatique générale de la Tarîqah, quelle qu’elle soit. Il existe en effet certaines situations dans lesquelles celle-ci, même lorsqu’elle a été instaurée par un Maître accompli peut en effet être valablement transmise alors que le transmetteur concerné n’a pas lui-même opéré une réalisation complète. Il s’agit alors d’une situation en quelque sorte « intermédiaire »  dans laquelle la qualification du pacte (d’être complet ou incomplet) ne dépend pas du transmetteur intermédiaire mais peut valablement être rapportée à celle du Maître complet ayant instauré la méthode en question1  ; et l’on peut être davantage assuré de la régularité et de l’effectivité d’une telle possibilité quand elle a été garantie de son vivant par le Maître de réalisation complète.

Mohammed Abd es-Salâm

khadîm et-Tarîqah

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  1. On pourrait en effet qualifier alors le pacte de complet sous le rapport du dernier Maître accompli ayant instauré la méthode initiatique et d’incomplet sous le rapport du ou des transmetteurs, postérieurs dans la silsilah, à la mesure de leur manque de réalisation spirituelle. Voir à ce propos notre article « Entre sulûk et tabarruk » et l’article sur la râbitah rûhiyyah dans la Tarîqah Naqshbandiyyah []

par le 1 mai 2016, mis à jour le 11 mai 2016

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