« Il est l’intermédiaire ﷺ … pour celui qui a un cheikh et pour celui qui n’a pas de cheikh » – Cheikh Abu-l-Abbas Al-Mursî

Cet extrait est issu de l’article « Autour de la pratique de la prière sur le Prophète ﷺ à la fin des temps, quand le cheikh murchîd manque – Cheikh Ahmad Dahlân« .

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taqrib shadhili mursi

Le Cheikh Abu-l-Hassan Al-Châdhilî – qu’Allah soit Satisfait de lui – a dit : « J’ai vu l’Envoyé d’Allah et je lui ai demandé : « Ô Envoyé d’Allah quel est [le signe] de la conformité réelle (haqîqatu-l-mutâba’ah)1 ? » ; il dit : « La vision de celui auquel on se conforme (matbû’) auprès de toute chose et en toute chose, la vision désignant ici la contemplation ». Pour cette raison son disciple Abu-l-Abbas Al-Mursî – qu’Allah soit Satisfait de lui – disait : « Si j’avais été voilé à l’égard de l’Envoyé d’Allah le temps d’un battement de paupière, je ne me serais pas compté au nombre des musulmans »2 ; on rapporte également la même parole de son cheikh, le Cheikh Abu-l-Hassan – qu’Allah soit Satisfait de lui.

Le Cheikh Abu-l-‘Abbas – qu’Allah soit Satisfait de lui – a déclaré : « Il se peut qu’Allah attire (yujdhab) à Lui le serviteur sans qu’il lui fasse ensuite don (minnah) d’un enseignant [corporellement vivant], il se peut alors qu’il le réunisse 3 avec l’Envoyé d’Allah ﷺ et qu’il reçoive 4 ainsi de lui [son enseignement spirituel], se suffisant de ce don (minnah)5 car il est l’intermédiaire (Wâsitah) ﷺ  6 [transmetteur] de l’Effusion universelle (fî-l-faydh al-amîm) pour celui qui a un cheikh et pour celui qui n’a pas de cheikh 7 ; quant à son Effusion ﷺ, [elle émane] de son Seigneur (Seyyidi-hi) et de son Créateur (Khâliqi-hi) – Glorifié et Exalté soit-Il – « et à Allah reviennent (tu’ja’) toutes les actions (umûr) » 8 ; « et à Lui revient (yu’ja’) l’action (amr) toute entière » 9 ; « A ton Seigneur appartient le retour (ruj’â10 ; « Mais, vers ton Seigneur est le « point de retour » 11 (muntahâ) », car Il est – Glorifié et Exalté soit-Il – le Protecteur (Walî) de tous et leur Seigneur, et tous sont Ses serviteurs (‘abîdu-Hu) et Son élite (açfiyya’u-Hu). Si le serviteur s’éteint (yafnâ) dans la station de la contemplation d’Allah (chuhûd li-Llah) – Exalté soit-Il – il ne verra alors rien sauf Allah – Exalté soit-Il, absent [quant à la présence] de l’intermédiaire, cependant la station de la persistance (baqâ’) est supérieure et elle consiste en la reconnaissance 12 des intermédiaires (ithbât al-waçâ’it) tout en ayant la conviction (i’tiqâd) que les actions (umûr) des intermédiaires prennent leur fondement en Allah (qâ’imatu bi-Llah) – Exalté soit-Il. Celui-ci est leur Maître qui les manifeste (ajlâ-hum) à leurs places (madhhâri-him). Quant au plus immense intermédiaire, le lien (râbitah) le plus parfait13 , il s’agit du seigneur des derniers et des premiers, notre seigneur Mohammed ﷺ. Le soutien spirituel de la lieutenance14 provient de sa lumière (madad al-khilâfah min nûri-hî) ﷺ15 , ce qui découle de Sa parole : « Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour les mondes »16 .

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  1. La mutâba’ah signifie littéralement le fait de suivre, de prendre pour exemple. []
  2. Dans une autre version de cette parole, le Cheikh déclare ne pas avoir été voilé à l’égard du Prophète ﷺ pendant quarante ans. []
  3. Litt : qu’il réunisse les composantes [de son être]. []
  4. Litt. : prenne. []
  5. Le début de ce propos est reproduit mot pour mot dans les Latâ’if al-Minân d’Ibn ‘Atâ-Allah en conclusion d’un propos du cheikh Al-Mursî qui n’est pas sans rapport avec notre sujet : « Notre voie (tarîqatinâ) ne se rattache ni aux Orientaux ni aux Occidentaux, mais remonte en ligne droite à Hasan, fils de ‘Alî Ibn Abî Tâlib, qui fut le premier des Pôles. En effet, la détermination de la succession des cheikhs ne s’impose qu’aux voies fondées sur la modalité de la khirqa, car celle-ci fonctionne par la transmission (riwâyah) ; or dans toute transmission doivent être précisés les hommes qui composent la chaîne initiatique. Celle-ci constitue une guidée (hidâyah) [propre] et il se peut qu’Allah attire (yujdhab) à Lui le serviteur sans qu’il lui fasse ensuite don (minnah) d’un enseignant [corporellement vivant], il se peut alors qu’il le réunisse avec l’Envoyé d’Allah ﷺ et qu’il reçoive ainsi de lui [son enseignement spirituel], se suffisant de cela. » (Trad. E. Geoffroy modifiée par nous.). On soulignera la mention dans ce contexte du terme hidâyah qui peut être rapproché d’une de ses occurrences coraniques où il est question justement des « chemins de la guidée » . []
  6. Ou le « Médiateur ». []
  7. On voit une nouvelle fois que la célèbre sentence « « celui qui n’a pas de cheikh a le diable pour cheikh » est loin de revêtir un caractère absolu. []
  8. Al-baqarah : 210 []
  9. Hûd : 123 []
  10. Al-Alaq : 8 []
  11. Ou « la limite ». []
  12. Litt : l’affirmation. []
  13. Le terme de râbitah renvoie ici à la pratique bien connue d’établissement d’un lien spirituel avec le Prophète ﷺ et les maitres de la Voie ; dans le cas de ces derniers, on l’a vu plus haut, il ne s’agit pas seulement de représentation imaginale mais bien d’une présence effective. []
  14. Ce terme renvoie habituellement, dans les écrits du taçawwuf, à la fonction du cheikh murchîd lorsqu’elle est rapportée au domaine sulûk ou à celle Pôle pour celui du taçarruf. Exotériquement, il s’agit de la lieutenance politique, en particulier celles des quatre califes bien guidés (qui furent aussi les pôles ésotériques de la tradition et les premiers maîtres spirituels de l’islam après le Prophète ﷺ). Le contexte suggère donc de retenir ici la première signification. Cf. aussi infra note suivante. []
  15. Michel Vâlsan note, dans son article sur le cheikh Al-Alawî : « La doctrine d’Ibn Arabî explique les choses ainsi : le Prophète Muhammad, ou sa lumière, fut la première création divine ; de sa lumière furent tirées les lumières des autres prophètes qui sont venus successivement dans le monde humain comme ses lieutenants – ; lui-même est venu corporellement a la fin du  cycle de la manifestation prophétique, et c’est ainsi du reste que les lois de ses lieutenants se trouvent alors « abrogées » et remplacées par la sienne qui les contient toutes en puissance, dès l’origine, et qui, quand elle les retrouve en acte sur le plan historique, les confirme ou non, selon le régime providentiellement assigné a la dernière partie des temps traditionnels ». Dans ce cas la Khilâfah se rapporte donc aux Prophètes anté-islamiques, dont les entités exercent un certain rôle dans le domaine du sulûk. En effet, comme l’indique ensuite le même auteur : « de toute façon, indépendamment de la présence actuelle, dans le monde, des lois formulées par les révélateurs antérieurs, les entités spirituelles de ceux-ci figurent comme des réalités inhérentes, constitutives de la forme muhammadienne elle-même et comme fonctions présentes dans l’économie initiatique de l’Islam. C’est en raison de cela que les hommes spirituels du Tasawwuf vivent et se développent initiatiquement, et cela sans aucun choix délibéré de leur part, selon tel ou tel type spirituel qui leur correspond de façon naturelle, soit d’une façon générale soit dans l’une des phases de leur carrière ; ils n’en réalisent bien entendu les possibilités que pour autant que celles-ci se trouvent en eux-mêmes. Certains peuvent ainsi avoir à passer successivement sous le régime initiatique de plusieurs de ces entités prophétiques particulières inscrites dans la sphère totalisatrice muhammadienne ». Une édition libanaise récente (Kitâb Nâchirûn) porte, au lieu de la taçliyah de l’édition originale, la mention « ‘Azza wa jall » – Exalté et Magnifié soit-Il réservée traditionnellement à Allah. Si l’on retient cette leçon – fautive à notre avis car moins cohérente doctrinalement – la khilâfah envisagée serait plutôt celle d’Allah sur Terre, octroyée en premier lieu par Ce dernier à Adam, le père du genre humain. Notons toutefois qu’on ne peut séparer tout à fait la lumière prophétique de celle d’Allah – Exalté soit-Il – ni la khilâfah d’Allah de celle de Son messager ﷺ. []
  16. Al-Anbiyâ’ : 107. Dans cette perspective, on se rappellera de l’anecdote reproduite dans la Durratu-l-Asrâr relative aux « deux miséricordes ». []

par le 19 juillet 2015, mis à jour le 20 juillet 2015

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