« La grande parodie ou la spiritualité à rebours » de René Guénon – Commentaire (M.A.S.)
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« Ce qui est assez digne de remarque, c’est que certaines de ces erreurs [concernant l’initiation] ne sont pas seulement le fait de profanes ou de pseudo-initiés, ce qui n’aurait en somme rien d’extraordinaire, mais aussi de membres d’organisations authentiquement initiatiques, et parmi lesquels il en est même qui sont regardés comme des « lumières » dans leur milieu, ce qui est peut-être une des preuves les plus frappantes de cet actuel état de dégénérescence auquel nous faisions allusion tout à l’heure. À ce propos, nous pensons pouvoir exprimer, sans trop risquer qu’il soit mal interprété, le souhait que, parmi les représentants de ces organisations, il s’en trouve tout au moins quelques-uns à qui les considérations que nous exposons contribueront à rendre la conscience de ce qu’est véritablement l’initiation » (René Guénon – Aperçus sur l’Initiation – Avant-propos – 1946)
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Nous continuons cette série de rappels concernant les différentes attitudes et tendances déviantes liées à la confusion du psychique et du spirituel par l’étude de l’avant dernier chapitre du Règne de la Quantité et les Signes des Temps.
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Chapitre XXXIX
LA GRANDE PARODIE OU LA SPIRITUALITÉ À REBOURS
Par tout ce que nous avons déjà dit, il est facile de se rendre compte que la constitution de la « contre-tradition » et son triomphe apparent et momentané seront proprement le règne de ce que nous avons appelé la « spiritualité à rebours » qui, naturellement, n’est qu’une parodie de la spiritualité, qu’elle imite pour ainsi dire en sens inverse, de sorte qu’elle paraît en être le contraire même ; nous disons seulement qu’elle le paraît, et non pas qu’elle l’est réellement car, quelles que puissent être ses prétentions, il n’y a ici ni symétrie ni équivalence possible.
Ce caractère d’inversion, aussi simpliste que cela puisse paraître, est donc certainement à considérer avec la plus grande attention, malgré la diversité des formes possibles, quand on veut évaluer ce qui est proposé.
Il importe d’insister sur ce point car beaucoup, se laissant tromper par les apparences, s’imaginent qu’il y a dans le monde comme deux principes opposés se disputant la suprématie, conception erronée qui est, au fond, la même chose que celle qui, en langage théologique, met Satan au même niveau que Dieu, et que, à tort ou à raison, on attribue communément aux Manichéens ; il y a certes actuellement bien des gens qui sont, en ce sens, « manichéens » sans s’en douter, et c’est là encore l’effet d’une « suggestion » des plus pernicieuses. Cette conception, en effet, revient à affirmer une dualité principielle radicalement irréductible ou, en d’autres termes, à nier l’Unité suprême qui est au delà de toutes les oppositions et de tous les antagonismes ;
On a tendance à oublier ce point de vue quand, pris par la puissance des oppositions, on n’envisage plus un point de vue réellement transcendant. Seule la concentration constante vers le Tawhîd permet de vaincre les oppositions et de s’en extraire.
qu’une telle négation soit le fait des adhérents de la « contre-initiation », il n’y a pas lieu de s’en étonner, et elle peut même être sincère de leur part puisque le domaine métaphysique leur est complètement fermé ; qu’il soit nécessaire pour eux de répandre et d’imposer cette conception, c’est encore plus évident, car c’est seulement par là qu’ils peuvent réussir à se faire prendre pour ce qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas être réellement, c’est-à-dire pour les représentants de quelque chose qui pourrait être mis en parallèle avec la spiritualité et même l’emporter finalement sur elle.
En tant qu’elle constitue une condition nécessaire au développement de toute subversion future, de la plus minime à la plus complète, la confusion entre psychique et spirituel, même quand elle apparaît au premier abord relativement négligeable, prend ici toute son importance « stratégique », pourrait-on dire.
Cette « spiritualité à rebours » n’est donc, à vrai dire, qu’une fausse spiritualité, fausse même au degré le plus extrême qui se puisse concevoir ;
On n’est pas étonné de lire cette qualification sous la plume de René Guénon, surtout quand on a lu, si ce n’est la totalité de son œuvre publique, au minimum l’ensemble du Règne de la Quantité. On l’est peut-être davantage en lisant la suite.
mais on peut aussi parler de fausse spiritualité dans tous les cas où, par exemple, le psychique est pris pour le spirituel, sans aller forcément jusqu’à cette subversion totale ;
L’altération, quelle qu’en soit la forme et le degré, de la conception de ce qui est proprement spirituel, surtout quand elle est associée à ce qu’on peut souvent regarder comme un « ersatz », présente nécessairement ce goût de fausseté.
c’est pourquoi, pour désigner celle-ci, l’expression de « spiritualité à rebours » est en définitive celle qui convient le mieux, à la condition d’expliquer exactement comment il convient de l’entendre. C’est là, en réalité, le « renouveau spirituel » dont certains, parfois fort inconscients, annoncent avec insistance le prochain avènement, ou encore l’« ère nouvelle » dans laquelle on s’efforce par tous les moyens de faire entrer l’humanité actuelle1, et que l’état d’« attente » générale créé par la diffusion des prédictions dont nous avons parlé peut lui-même contribuer à hâter effectivement.
On sait bien, parce qu’on en constate chaque jour la plus grande évidence, que la présentation des notions qui figurent dans l’œuvre de René Guénon, notamment à ce sujet, est évidemment très loin d’être un pur hasard. On peut réellement, pour cette raison, relever les désignations qui y figurent et constituer ainsi une sorte de « memento » qui aura pour utilité, même s’il n’est que le fruit d’une compréhension superficielle, de permettre une repérage relativement efficace de l’accumulation des points irréguliers de ce qui se présente au chercheur sincère et d’éveiller ainsi son attention et sa méfiance.
Parmi ceux-ci, la désignation de ce qui prendra progressivement, au milieu du siècle dernier, l’appellation de New Age (ici « ère nouvelle ») occupe certainement une place éminente puisqu’elle regroupe à elle-seule l’ensemble de ce qui a été critiqué par René Guénon en ce domaine. Les « prédictions » ne sont pas exemptes du cortège des tendances qui, avec le projet affiché de projets « mondialistes », se manifestent dans cette « perspective » générale ; et ce sont autant d’aspects qu’on peut aisément relever au sein de la triste logomachie habituellement présentée de manière étonnamment uniforme dans tant de contextes différents. A cet égard, l’ « attentisme » exprime certainement une forme de disposition particulièrement perverse, surtout quand elle s’applique à la venue du Mahdi ou du Messie, par la disposition passive qu’elle implique dans un cadre de fausse spiritualité, ou, pire encore, quand elle s’exprime dans un contexte qui est, au départ, parfaitement régulier mais qui présente conjointement des aspects irréguliers : on sait bien que c’est le mélange intime d’aspects en apparence semblables qui, à la fin des temps, rend presque impossible la discrimination.
L’attrait du « phénomène », que nous avons déjà envisagé comme un des facteurs déterminants de la confusion du psychique et du spirituel, peut également jouer à cet égard un rôle fort important, car c’est par là que la plupart des hommes seront pris et trompés au temps de la « contre-tradition », puisqu’il est dit que les « faux prophètes » qui s’élèveront alors « feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes »2.
L’examen détaillé de René Guénon continue donc : pour reprendre ce qui était exposé plus haut, l’association de la phénoménologie à la confusion du psychique et du spirituel est toujours très significative et caractéristique des déviations diverses qui sont présentées, même sous les meilleures instances.
C’est surtout sous ce rapport que les manifestations de la « métapsychique » et des diverses formes du « néo-spiritualisme » peuvent apparaître déjà comme une sorte de « préfiguration » de ce qui doit se produire par la suite, quoiqu’elles n’en donnent encore qu’une bien faible idée ; il s’agit toujours, au fond, d’une action des mêmes forces subtiles inférieures, mais qui seront alors mises en œuvre avec une puissance incomparablement plus grande ;
René Guénon ne parle donc ici que de prémisses de modes de séduction beaucoup plus prégnantes.
et quand on voit combien de gens sont toujours prêts à accorder aveuglément une entière confiance à toutes les divagations d’un simple « médium », uniquement parce qu’elles sont appuyées par des « phénomènes », comment s’étonner que la séduction doive être alors presque générale ?
La simple justification d’une position par la mise en avant de « phénomènes » n’est pas en elle-même suffisante pour assurer la régularité traditionnelle. Il n’est donc pas étonnant de la voir accompagnée de la kyrielle habituelle des notions qui sont ici relevées par l’auteur.
C’est pourquoi on ne redira
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[1] On ne saurait croire à quel point cette expression d’« ère nouvelle » a été, en ces derniers temps, répandue et répétée dans tous les milieux, avec des significations qui souvent peuvent sembler assez différentes les unes des autres, mais qui toutes ne tendent en définitive qu’à établir la même persuasion dans la mentalité publique.
[2] St Matthieu, XXIV, 24.jamais trop que les « phénomènes », en eux-mêmes, ne prouvent absolument rien quant à la vérité d’une doctrine ou d’un enseignement quelconque, que c’est là le domaine par excellence de la « grande illusion » où tout ce que certains prennent trop facilement pour des signes de « spiritualité » peut toujours être simulé et contrefait par le jeu des forces inférieures dont il s’agit ; c’est même peut-être le seul cas où l’imitation puisse être vraiment parfaite, parce que, en fait, ce sont bien les mêmes « phénomènes », en prenant ce mot dans son sens propre d’apparences extérieures, qui se produisent dans l’un et l’autre cas, et que la différence réside seulement dans la nature des causes qui y interviennent respectivement, causes que la grande majorité des hommes est forcément incapable de déterminer, si bien que ce qu’il y a de mieux à faire, en définitive, c’est de ne pas attacher la moindre importance à tout ce qui est « phénomène », et même d’y voir plutôt a priori un signe défavorable ;
Tout en donnant la clé du problème, René Guénon ferme immédiatement cette porte en insistant sur la rareté des personnes qui seraient en mesure d’assumer une analyse efficace et conseille d’adopter préventivement une attitude systématique de distanciation lorsque la présentation d’une perspective ou d’une pratique s’articule plus ou moins directement autour d’un « phénomène » ou de la « phénoménologie ».
mais comment le faire comprendre à la mentalité « expérimentale » de nos contemporains, mentalité qui, façonnée tout d’abord par le point de vue « scientiste » de l’« antitradition », devient ainsi finalement un des facteurs qui peuvent contribuer le plus efficacement au succès de la « contre-tradition » ?
On constate en effet que l’acceptation de telles perspectives est certainement facilitée par la disposition intérieure qui consiste à accorder un a priori positif à tout ce qui procède de l’expérimentation.
Le « néo-spiritualisme » et la « pseudo-initiation » qui en procède sont encore comme une « préfiguration » partielle de la « contre-tradition » sous un autre point de vue : nous voulons parler de l’utilisation, que nous avons déjà signalée, d’éléments authentiquement traditionnels dans leur origine, mais détournés de leur véritable sens et mis ainsi en quelque sorte au service de l’erreur ;
Ce détournement peut prendre des formes parfois tellement grotesques qu’elles en deviennent évidentes mais aussi tellement bénignes en apparence qu’elles en sont d’autant plus insidieuses.
ce détournement n’est, en somme, qu’un acheminement vers le retournement complet qui doit caractériser la « contre-tradition » (et dont nous avons vu, d’ailleurs, un exemple significatif dans le cas du renversement intentionnel des symboles) ; mais alors, il ne s’agira plus seulement de quelques éléments fragmentaires et dispersés, puisqu’il faudra donner l’illusion de quelque chose de comparable, et même d’équivalent selon l’intention de ses auteurs, à ce qui constitue l’intégralité d’une tradition véritable, y compris ses applications extérieures dans tous les domaines. On peut remarquer, à ce propos, que la « contre-initiation », tout en inventant et en propageant, pour en arriver à ses fins, toutes les idées modernes qui représentent seulement l’« antitradition » négative, est parfaitement consciente de la fausseté de ces idées, car il est évident qu’elle ne sait que trop bien à quoi s’en tenir là-dessus ; mais cela même indique qu’il ne peut s’agir là, dans son intention, que d’une phase transitoire et préliminaire, car une telle entreprise de mensonge conscient ne peut pas être, en elle-même, le véritable et unique but qu’elle se propose ; tout cela n’est destiné qu’à préparer la venue ultérieure d’autre chose qui semble constituer un résultat plus « positif », et qui est précisément la « contre-tradition ».
Sans que cela diminue pour autant la gravité intrinsèque de leur position, la conscience de ceux qui sont simplement des vecteurs plus ou moins passifs de telles tendances n’est pas nécessairement toujours aussi nette que chez ceux qui sauront instaurer effectivement un ordre inversé.
C’est pourquoi on voit déjà s’esquisser notamment, dans des productions diverses dont l’origine ou l’inspiration « contre-initiatique » n’est pas douteuse, l’idée d’une organisation qui serait comme la contrepartie, mais aussi, par là même, la contrefaçon, d’une conception traditionnelle telle que celle du « Saint-Empire », organisation qui doit être l’expression de la « contre-tradition » dans l’ordre social ;
Ces prétentions apparaissent nettement dans les constructions pseudo-doctrinales qui se donnent expressément le projet ou la vocation d’affecter l’ordre mondial de l’humanité 1.
et c’est aussi pourquoi l’Antéchrist doit apparaître comme ce que nous pouvons appeler, suivant le langage de la tradition hindoue, un Chakravartî à rebours [1].
Dans cette perspective eschatologique (la doctrine hindoue évoquée ici par René Guénon fait état de 10 avataras), le contenu de la note 1 ne devrait pouvoir amener qu’à développer une extrême méfiance vis-à-vis de tout ce qui, de près ou de loin et quel que soit le « packaging » 2 employé, se présente lui-même comme un avatara avant le « second avènement du Christ », c’est-à-dire seyyidunâ ‘Îssâ ‘alayhi es-salâm.
Ce règne de la « contre-tradition » est en effet, très exactement, ce qui est désigné comme le « règne de l’Antéchrist » : celui-ci, quelque idée qu’on s’en fasse d’ailleurs, est en tout cas ce qui concentrera et synthétisera en soi, pour cette œuvre finale, toutes les puissances de la « contre-initiation », qu’on le conçoive comme un individu ou comme une collectivité ; ce peut même, en un certain sens, être à la fois l’un et l’autre car il devra y avoir une collectivité qui sera comme l’« extériorisation » de l’organisation « contre-initiatique » elle-même apparaissant enfin au jour, et aussi un personnage qui, placé à la tête de cette collectivité, sera l’expression la plus complète et comme l’« incarnation » même de ce qu’elle représentera, ne serait-ce qu’à titre de « support » de toutes les influences maléfiques que, après les avoir concentrées en lui-même, il devra projeter sur le monde [2]. Ce sera évidemment un
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[1] Sur le Chakravartî ou « monarque universel », voir L’Ésotérisme de Dante, p. 76, et Le Roi du Monde, pp. 17-18. – Le Chakravartî est littéralement « celui qui fait tourner la roue », ce qui implique qu’il est placé au centre même de toutes choses, tandis que l’Antéchrist est au contraire l’être qui sera le plus éloigné de ce centre ; il prétendra cependant aussi « faire tourner la roue », mais en sens inverse du mouvement cyclique normal (ce que « préfigure » d’ailleurs inconsciemment l’idée moderne du « progrès »), alors que, en réalité, tout changement dans la rotation est impossible avant le « renversement des pôles », c’est-à-dire avant le « redressement » qui ne peut être opéré que par l’intervention du dixième Avatâra ; mais justement, s’il est désigné comme l’Antéchrist, c’est parce qu’il parodiera à sa façon le rôle même de cet Avatâra final qui est représenté comme le « second avènement du Christ » dans la tradition chrétienne.
[2] Il peut donc être considéré comme le chef des awliyâ esh-Shaytân, et comme il sera le dernier à remplir cette fonction, en même temps que celui avec lequel elle aura dans le monde l’importance la plus manifeste, on peut dire qu’il sera comme leur « sceau » (khâtem), suivant la terminologie de l’ésotérisme islamique ; il n’est pas difficile de voir par là jusqu’où sera poussée effectivement la parodie de la tradition sous tous ses aspects.« imposteur » (c’est le sens du mot dajjâl par lequel on le désigne habituellement en arabe), puisque son règne ne sera pas autre chose que la « grande parodie » par excellence, l’imitation caricaturale et « satanique » de tout ce qui est vraiment traditionnel et spirituel ; mais pourtant, il sera fait de telle sorte, si l’on peut dire, qu’il lui serait véritablement impossible de ne pas jouer ce rôle. Ce ne sera certes plus le « règne de la quantité », qui n’était en somme que l’aboutissement de l’« antitradition » ; ce sera au contraire, sous le prétexte d’une fausse « restauration spirituelle », une sorte de réintroduction de la qualité en toutes choses, mais d’une qualité prise au rebours de sa valeur légitime et normale1 ; après l’« égalitarisme » de nos jours, il y aura de nouveau une hiérarchie affirmée visiblement, mais une hiérarchie inversée, c’est-à-dire proprement une « contre-hiérarchie » dont le sommet sera occupé par l’être qui, en réalité, touchera de plus près que tout autre au fond même des « abîmes infernaux ».
Ce dernier passage est particulièrement important puisqu’il constitue une véritable « grille de lecture » des différentes phases qui se développent ou qui sont amenées à se développer dans la période cyclique actuelle.
Cet être, même s’il apparaît sous la forme d’un personnage déterminé, sera réellement moins un individu qu’un symbole, et comme la synthèse même de tout le symbolisme inversé à l’usage de la « contre-initiation » qu’il manifestera d’autant plus complètement en lui-même qu’il n’aura dans ce rôle ni prédécesseur ni successeur ;
Il s’agit en réalité d’une fonction ou d’un « principe inversé » qui, comme tels, peuvent prendre un ou plusieurs supports et qui affirment ou réalisent également des qualifications à rebours (Cf. « lam yalid wa lam yûlad » – Coran).
pour exprimer ainsi le faux à son plus extrême degré, il devra, pourrait-on dire, être entièrement « faussé » à tous les points de vue, et être comme une incarnation de la fausseté même2. C’est d’ailleurs pour cela même, et en raison de cette extrême opposition au vrai sous tous ses aspects, que l’Antéchrist peut prendre les symboles mêmes du Messie mais, bien entendu, dans un sens également opposé3 ; et la prédominance donnée à l’aspect « maléfique »,
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[1] La monnaie elle-même, ou ce qui en tiendra lieu, aura de nouveau un caractère qualitatif de cette sorte puisqu’il est dit que « nul ne pourra acheter ou vendre que celui qui aura le caractère ou le nom de la Bête, ou le nombre de son nom » (Apocalypse, XIII, 17), ce qui implique un usage effectif, à cet égard, des symboles inversés de la « contre-tradition ».
[2] C’est encore ici l’antithèse du Christ disant : « Je suis la Vérité », ou d’un walî comme El-Hallâj disant de même : « Anâ el-Haqq ».
[3] « On n’a peut-être pas suffisamment remarqué l’analogie qui existe entre la vraie doctrine et la fausse ; saint Hippolyte, dans son opuscule sur l’Antéchrist, en donne un exemple mémorable qui n’étonnera point les gens qui ont étudié le symbolisme : le Messie et l’Antéchrist ont tous deux pour emblème le lion » (P. Vulliaud, La Kabbale juive, t. II, p. 373). – La raison profonde, au point de vue kabbalistique, en est dans la considération des deux faces lumineuse et obscure de Metatron ; c’est également pourquoi le nombre apocalyptique 666, le « nombre de la Bête », est aussi un nombre solaire (cf. Le Roi du Monde, pp. 34-35).ou même, plus exactement, la substitution de celui-ci à l’aspect « bénéfique » par subversion du double sens de ces symboles, est ce qui constitue sa marque caractéristique. De même, il peut et il doit y avoir une étrange ressemblance entre les désignations du Messie (El-Mesîha en arabe) et celles de l’Antéchrist (El-Mesîkh)1 ; mais celles-ci ne sont réellement qu’une déformation de celles-là, comme l’Antéchrist lui-même est représenté comme difforme dans toutes les descriptions plus ou moins symboliques qui en sont données, ce qui est encore bien significatif. En effet, ces descriptions insistent surtout sur les dissymétries corporelles *, ce qui suppose essentiellement que celles-ci sont les marques visibles de la nature même de l’être auquel elles sont attribuées, et effectivement elles sont toujours les signes de quelque déséquilibre intérieur ; c’est d’ailleurs pourquoi de telles difformités constituent des « disqualifications » au point de vue initiatique, mais en même temps on conçoit sans peine qu’elles puissent être des « qualifications » en sens contraire, c’est-à-dire à l’égard de la « contre-initiation ». Celle-ci, en effet, allant au rebours de l’initiation, par définition même, va par conséquent dans le sens d’un accroissement du déséquilibre des êtres dont le terme extrême est la dissolution ou la « désintégration » dont nous avons parlé ; l’Antéchrist doit évidemment être aussi près que possible de cette « désintégration », de sorte qu’on pourrait dire que son individualité, en même temps qu’elle est développée d’une façon monstrueuse, est pourtant déjà presque annihilée, réalisant ainsi l’inverse de l’effacement du « moi » devant le « Soi » ou, en d’autres termes, la confusion dans le « chaos » au lieu de la fusion dans l’Unité principielle ; et cet état, figuré par les difformités mêmes et les disproportions de sa forme corporelle, est véritablement sur la limite inférieure des possibilités de notre état individuel, de sorte que le sommet de la « contre-hiérarchie » est bien la place qui lui convient proprement dans ce « monde renversé » qui sera le sien.
Même si elles n’affectent que l’ordre corporel, on voit que ces dissymétries, surtout quand elles concernent la face, sont à prendre en compte avec une certaine importance, notamment quand il s’agit d’êtres qui sont eux-mêmes supports de confusions diverses.
D’autre part, même au
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[1] Il y a ici une double signification qui est intraduisible : Mes’kh peut être pris comme une déformation de Mesîha par simple adjonction d’un point à la lettre finale ; mais en même temps, ce mot lui-même veut dire aussi « difforme », ce qui exprime proprement le caractère de l’Antéchrist.point de vue purement symbolique, et en tant qu’il représente la « contre-tradition », l’Antéchrist n’est pas moins nécessairement difforme : nous disions tout à l’heure, en effet, qu’il ne peut y avoir là qu’une caricature de la tradition, et qui dit caricature dit par là même difformité ; du reste, s’il en était autrement, il n’y aurait en somme extérieurement aucun moyen de distinguer la « contre-tradition » de la tradition véritable, et il faut bien, pour que les « élus » tout au moins ne soient pas séduits, qu’elle porte en elle-même la « marque du diable ». Au surplus, le faux est forcément aussi l’« artificiel », et à cet égard, la « contre-tradition » ne pourra pas manquer d’avoir encore, malgré tout, ce caractère « mécanique » qui est celui de toutes les productions du monde moderne dont elle sera la dernière ; plus exactement encore, il y aura en elle quelque chose de comparable à l’automatisme de ces « cadavres psychiques » dont nous avons parlé précédemment, et elle ne sera d’ailleurs, comme eux, faite que de « résidus » animés artificiellement et momentanément, ce qui explique encore qu’il ne puisse y avoir là rien de durable ; cet amas de « résidus » galvanisé, si l’on peut dire, par une volonté « infernale », est bien, assurément, ce qui donne l’idée la plus nette de quelque chose qui est arrivé aux confins mêmes de la dissolution.
Nous ne pensons pas qu’il y ait lieu d’insister davantage sur toutes ces choses ; il serait peu utile, au fond, de chercher à prévoir en détail comment sera constituée la « contre-tradition », et d’ailleurs ces indications générales seraient déjà presque suffisantes pour ceux qui voudraient en faire par eux-mêmes l’application à des points plus particuliers, ce qui ne peut en tout cas rentrer dans notre propos. Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés là au dernier terme de l’action antitraditionnelle qui doit mener ce monde vers sa fin ; après ce règne passager de la « contre-tradition », il ne peut plus y avoir, pour parvenir au moment ultime du cycle actuel, que le « redressement » qui, remettant soudain toutes choses à leur place normale, alors même que la subversion semblait complète, préparera immédiatement l’« âge d’or » du cycle futur.
René Guénon – Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps – La grande parodie ou la spiritualité à rebours
Commentaire – Mohammed Abd es-Salâm
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- Nous espérons avoir l’occasion, à ce propos, de montrer in châ Allah ce qui est véhiculé par les « théories » concernant la formation et l’usage annoncé ou espéré de ce qu’on y appelle la « masse critique », quand on désigne par là une quantité minimale de « membres » sur laquelle on pourrait s’ « appuyer » pour obtenir un changement du cours des évènement à l’échelle planétaire [↩]
- Nous n’employons certainement pas cette terminologie sans raison [↩]
par Mohammed Abd es-Salâm le 21 août 2015, mis à jour le 27 septembre 2015
Mots clés : René Guénon