La méthode de Seyyidunâ Aboû Bakr (radiy-Allah ‘anhu)

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Le texte que nous présentons est un exemple, notamment, de l’utilisation méthodique initiatique de la prière sur le Prophète (qu’Allah prie sur lui et le salue).

Ce premier document, qui concerne l’utilisation de la prière abrahamique (ibrâhimiyah), également appelée « et-tâmmah« ,  constitue en réalité une parfaite introduction à la présentation suivante qui concernera, in châ Allah, une méthode initiatique d’utilisation des Dalâil el-Khayrât, ainsi que certaines pratiques relatives à cet aspect, propres à la Tarîqah Rifâ’iyah.

Cette traduction inédite a été effectuée à partir de la traduction de Riordan Macnamara La clef de la réalisation spirituelle et l’illumination des âmes d’Ibn ‘Atâ Allah al-Iskandarî 1 ainsi que d’une version de ce qui est un texte semblable, voire partiellement identique, mais attribué au « Cheikh Chams ed-Dîn el-Barchansî, dans son livre Muftâh (sic) el-falâh wa miçbâh el-arwâh fî dhikr el-Karîm el-Fattâh dans le Masâlik el-Hunafâ ilâ machâri’ eç-çalâti ‘alâ el-Mustafâ (qu’Allah prie sur lui et le salue) 2 de l’imâm hâfidh Abu-l-‘abbâs ibn Muhammed ibn Abu Bakr el-Qastalânî (851- 923 H). L’attribution unanime du texte semble donc ne pas être acquise, ce qui reflète peut-être l’existence de voies de transmission différentes.

M.A.S.

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(extrait du)
Chapitre de la progression graduelle du cheminant dans la Voie par les formules d’incantation (adhkâr) et de la façon dont il est transféré de degré en degré.

Celui qui persévère dans les formules d’incantation (adhkâr) verra déferler sur lui des lumières et se lever pour lui les voiles couvrant les réalités cachées. Celui qui est déterminé à rechercher l’enseignement initiatique ainsi que la progression dans la voie droite se doit de chercher un cheikh parmi les gens de réalisation, suivant une méthode initiatique, ayant délaissé ses passions et fermement établi au service de son Seigneur.

Il n’y a pas de meilleure parole à ce sujet que les vers du poète qui a dit :

La vérité du Dieu-Vrai est trop élevée et majestueuse
pour l’âme du voyageur qui suit ses passions

Lorsqu’il l’a trouvé, qu’il se conforme à ce qu’il lui prescrit et qu’il s’abstienne de ce qu’il lui défend et lui interdit, au risque de se perdre. Il énumèrera les Noms de Dieu, se parera des vertus fondamentales et abandonnera les vices découlant des comportements défendus, des actions et des passions. Il devra être sur ses gardes, recherchant la progression et la persévérance dans les pratiques d’adoration, ainsi que la sincérité dans sa recherche vers Allâh dans tout ce qu’il recherche.

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Il existe dans la progression initiatique de nombreuses méthodes : vous ne verrez dans aucune d’elles déviation ou malhonnêteté.

Je vais mentionner à présent intégralement la méthode de l’Imam Abou-Bakr el-çiddîq que j’ai reçue de quelqu’un de réalisé.
Elle consiste en ce que le cheminant dans la Voie débute par la pratique de la prière sur le Prophète ﷺ à l’exception de toutes les autres formes d’incantation (dûn ghayruha min el-adhkâr), car il est ﷺ l’intermédiaire (el-wâsitah) entre nous et Lui (bayna-nâ wa bayna-Hu), le critère qui nous dirige vers Lui, celui par lequel nous Le connaissons. Or l’attachement à l’intermédiaire précède l’attachement à celui dont il est l’intermédiaire.

Par ailleurs, le lieu de la sincérité est le cœur, qui peut se dévouer à « autre qu’Allah » (Elevé soit-Il), l’âme étant orientée vers les créatures, incitant au mal, poursuivant ses passions et inclinant vers les vanités. Tout ceci constitue des impuretés qui voilent le cœur de la pureté (ikhlâç) et de l’orientation véritable vers Allâh (Elevé soit-Il). Elle [l’âme] est réceptive aux commandements du diable : si elle n’y était pas réceptive celui-ci ne pourrait, en effet, se frayer un chemin vers le cœur. Sa réceptivité envers lui est une indication de sa distraction et de son absence (al-ghaybah) envers Allâh, le très-Haut ; or l’absence est un voile épais (kathîf) qui sépare l’âme de son créateur ; et le voile est une obscurité. Le cheminant effectif (sâlik) doit donc chasser cette obscurité et ôter ces impuretés ; or l’obscurité disparaît par la lumière.

Il est rapporté qu’il ﷺ a dit : « En vérité, la prière sur moi est une lumière et les impuretés sont enlevées par ce qui purifie »[2] On rapporte dans un hadith qu’il a dit ﷺ : « Les cœurs des croyants sont purifiés et nettoyés de la rouille par la prière qu’ils font sur moi ». C’est pour cela qu’il est prescrit au commencement [de la Voie] à celui qui chemine de pratiquer la prière sur le Prophète ﷺ afin de purifier le lieu-support de la pureté-sincère (mahalu-l-ikhlaç), car il n’y pas de pureté tant qu’il subsiste des imperfections et que les grâces diminuent.
La mention (dhikr) du Bien-aimé d’Allah et l’abondance de la prière sur lui ﷺ amènent la capacité de l’aimer avec le cœur. La capacité de l’aimer avec le cœur produit une dévotion intense envers lui et de l’attention envers ses qualités, son caractère et la distinction spirituelle qui est la sienne. Lorsque le novice aura compris qu’il ne peut suivre ses actions et ses vertus que par une dévotion intense envers lui, qu’il ne peut parvenir à cela que par un amour suprême envers lui, qu’il ne peut atteindre l’amour suprême envers lui que par la multiplication de la prière sur lui, puisque « quiconque aime quelque chose la mentionne souvent », alors il commencera à s’adonner à la prière sur le Prophète ﷺ qui rassemble à la fois le souvenir de Dieu (dhikr Allah) et celui de Son Envoyé (dhikr Rasûli-Hi) ﷺ.

On rapporte que le Prophète ﷺ a dit : « Dieu le Très-Haut m’a dit : « Ô Mohammed ! J’ai fait de toi une mention (ja’altu-ka dhikran) qui est de Ma mention (min dhikr-Î). Qui se souvient de toi (man dhakara-ka), se souvient de Moi et qui t’aime, M’aime.»

Le Prophète a dit : « Qui me mentionne, mentionne [par le fait même] Allah (man dhakaranî faqad dhakar-Allah) et quiconque m’aime, aime Allah [par le fait même] (man ahabbanî faqad ahabb-Allah) ». [En effet], lorsque celui qui fait la prière [sur le Prophète, el-muçallî] dit « Allahoumma » [dans la prière sur le Prophète], il invoque Allah. »

15 août 2013 – V2

Section

Si l’aspirant à la progression effective a commis dans le passé de nombreuses mauvaises actions et des péchés, il doit débuter sur la Voie par la demande de pardon à Dieu pour L’avoir ainsi négligé et ce, jusqu’à ce qu’apparaisse le fruit de sa demande. En effet, chaque invocation possède son fruit propre et son signe spécifiques (qui sont bien connus des Gens de la Voie). Le fruit qui caractérise l’invocation est de deux types : celui qui est visible au cœur lorsqu’on est éveillé et celui que le disciple voit dans son sommeil.

Concernant la production de ces fruits, le disciple peut aussi être de trois types –il s’agit de fruits qui lui donnent la progression d’une invocation vers une autre. Le premier type progresse à partir de ce qui lui est manifesté à lui lorsqu’il est réveillé. Le deuxième type progresse à partir de ce qui lui est manifesté de l’esprit durant son sommeil. Enfin, le troisième combine les fruits de l’éveil et du sommeil : voila la plus parfaite des catégories.

Les fruits varient selon l’individu, mais ils dérivent d’une seule source. Ainsi, en fonction de la familiarité de la proximité à Dieu, est rendu manifeste à une personne ce qui n’est pas rendu manifeste à une autre. Et inversement, chaque personne a cependant produit des fruits puisque ce qui est manifesté aux deux provient de la même origine.

Les fruits diffèrent en fonction de la grâce accordée aux disciples. Ces grâces évoluent autour de principes immuables tenus pour inaltérables par les sages dotés de réalisation. Lorsque son fruit est rendu manifeste au disciple, celui-ci peut avancer d’une invocation à une autre. Lorsque les signes de l’humilité se sont faits évidents en lui, lorsque les traces de la pénitence et de la soumission s’expriment sur son visage, on devra alors lui donner l’ordre d’engager l’invocation qui polit le cœur : la prière sur le Prophète Bien-Aimé. Voilà pour le disciple qui employait jadis ses membres à la transgression et dont l’âme s’adonnait au péché. Concernant celui qui faisait déjà auparavant des efforts de vertu et qui ne se laissait déjà pas séduire par l’âme qui commande au mal (an-nafs el-ammâra bi-ssou), la première chose qui lui sera donnée est la prière sur l’Envoyé, car c’est par ce moyen qu’il atteindra l’Objectif élevé.

On devra alors considérer si le disciple fait partie des gens du commun ou des gens de science religieuse (ahl el-ilm). S’il est des gens du commun il devra commencer par la prière «et-tammah» et persévérer jusqu’à ce qu’il comprenne sa réalité et que sa signification lui soit révélée. Il progressera alors vers une autre manière de faire la prière sur le Prophète. Si le disciple est un savant, on ne doit pas lui dire de commencer avec la prière «et-tammah», car sa langue est déjà humide par sa constante répétition et de sa fréquence d’usage. Cependant, il ne pourra pas saisir sa signification dissimulée car il ne sait maîtriser la lumière de la prière sur le Prophète ﷺ. Il lui appartient alors de réciter la prière «et-tammah» onze fois à la fin de chaque prière rituelle obligatoire, en faisant une oraison (wird) jusqu’à ce que son intellect en discerne sa signification. Qu’il persévère dans la prière en question jour et nuit.

Prends garde de ne pas négliger la prononciation du mot « sayyid » (seigneur), car il contient un secret qui apparaît à celui qui persévère dans cette invocation. Lorsque ce secret émerge et se manifeste, le disciple progresse alors vers une invocation plus élevée que la précédente. Il invoque en disant : « Allahumma, bénis Ton Bien-Aimé, notre seigneur Mohammed ». L’invocation l’attache au Créateur, au-dessus des êtres créés, le distinguant par les degrés d’amour les plus élevés. Cependant, afin d’avancer vers les degrés les plus élevés, le disciple doit avoir l’intention accompagnée d’une ferme résolution.

Mentionnons, à présent, la position pour l’invocation. Pour nous, fait partie des règles de convenances (âdâb) de s’asseoir, comme devant son Maître, d’une manière soumise, humble et sans prétention, de placer sa tête dans l’axe des genoux et de fermer les yeux à toute perception sensorielle. A travers cette position, le cœur est recueilli et nettoyé de ses impuretés et ainsi peuvent descendre sur lui les lumières, les parures et les mystères.

Lorsque tu te trouves assis de cette manière, prends refuge en Dieu contre le diable. Ensuite, dis : «Au Nom de Dieu». Immédiatement après, dis : «Allahumma, je demande Ta bénédiction sur notre seigneur Mouhammed », et ainsi de suite un certain nombre de fois, spécifiant le nombre que tu as l’intention de faire, avec la foi et l’espoir d’une récompense de Dieu Très-Haut, tout en magnifiant la grâce qui nous vient par l’Envoyé de Dieu. Puis, entame la prière sur le Prophète ﷺ.

Lorsque tu as terminé le nombre fixé ou lorsqu’avec un chapelet tu es arrivé à l’endroit d’où tu es parti, renouvelle ton intention. Il se pourrait, avec la répétition, qu’apparaissent les mystères contenus dans les mots, car il n’y aucun mot sous la surface duquel ne soit dissimilé un secret.

Avant la pointe de l’aube ou après, le disciple récitera : « Allah atteste, ainsi que Ses Anges et Ceux qui sont doués de science, qu’il n’y a point de divinité à part Lui, le Puissant, le Sage ! »

Après cela, il dira : « J’atteste de Dieu ce que Lui a attesté de Lui-même et ce que les Anges et Ceux qui sont doués de science parmi les créatures ont attesté de Lui. Je remets cette attestation à Dieu jusqu’au moment de ma mort, de mon ensevelissement au tombeau, de mon départ de celui-ci et de ma rencontre avec mon Seigneur. En vérité, Il ne manque pas à ce dont Il se charge. » On répète cela trois, cinq ou sept fois chaque jour. En cette parole est « plié » un bienfait qui est révélé par la sincérité envers Allâh Ta’Ala dont le résultat est révélé par la persévérance. Tu dois mentionner à ton Cheikh les états qui te surviennent, et autres choses ainsi que ce que tu vois en rêve. Lorsque ton cœur irradie des lumières des prières et qu’il est purifié de la saleté des désirs, le fruit de tes prières te devient évident, les fondations de la sincérité se creusent dans ton cœur, les vérités cachées se manifestent et te couvrent de présents venants du monde invisible (el-ghayb). La sagesse apparaît sur ta langue et celui qui t’entends s’étonne de ton éloquence.

Celui qui est au début de la Voie doit adopter deux litanies (wird) : après la prière du lever du soleil et la prière du coucher du soleil. Quant à ceux qui sont fermement enracinés et qui sont à la fin de la Voie, l’invocation occupe leur cœur à tout moment.

Prends garde de ne pas te presser à finir la prière sur le Prophète ﷺ pour une autre pratique avant que son fruit ne se révèle à toi et ajoutes-y, selon ce que tu détiens, le dhikr de la négation et de l’affirmation : ce sera ton objectif et ton occupation pour le reste de ton temps ; cela consiste à dire : « Lâ ilâha ill-Allâh, Mohammadoun rassoulou-Llâh ». C’est une invocation puissante, bien plus puissante que la première, et que ne peuvent supporter que les plus forts.

Si l’invocateur est d’une certaine maturité d’esprit, s’il est équilibré et s’il est fermement établi dans son état spirituel, il lui est prescrit d’abonder dans cette pratique. S’il est perturbé, faible, d’un tempérament « échauffé », on doit le mener avec douceur et une litanie courante lui est prescrite, basée sur ce qui précède (ou : à cause de cela), jusqu’à ce qu’elle s’impose à l’âme et que la force afflue vers lui petit à petit. Arrivé à ce point, il pourra invoquer fréquemment de cette manière car il aura rejoint la catégorie des plus forts, alors que s’il augmentait l’invocation avant le moment approprié, et tout en étant d’un tempérament « échauffé », l’invocation le « brûlerait » et il se couperait de son objectif.

Persiste donc dans cette invocation, jusqu’à ce que le monde entier s’ordonne en une sphère unique et que tu ne voies par l’œil de ton cœur rien d’autre dans les deux mondes que l’Un. Tu accompliras alors pour tous les êtres la prière des morts et tu feras quatre takbirât sur eux. L’éloge ou le blâme te seront de valeur égale : tu considéreras leur critique comme une discipline et une réprimande, et leurs éloges seront pour toi une épreuve à surmonter (fitna). En effet, c’est par Son Décret que leurs langues se meuvent en éloge ou en réprimande à ton égard ; et lorsque persiste en toi un support quelconque pour la nafs, ne serait-ce que du poids d’un atome, alors tu es prétentieux et tu as un diable qui te fourvoie.

Lorsque le fruit de l’invocation de la négation et de l’affirmation se manifestent sur toi, occupes-toi alors avec l’invocation de la transcendance (tanzîh) qui consiste à dire : « Gloire à Dieu le Suprême et par Sa Louange. Allâhumma, prie sur notre seigneur Mohammed et sur Sa Famille ». Une fois que le fruit de ceux-là te seront devenus apparents et que leurs mystères t’apparaîtront, tu seras digne de prononcer l’ « invocation simple » en disant : « Allâh, Allâh, Allâh », de manière permanente. Fais très attention de ne pas délaisser le souvenir du Prophète ﷺ car il est la clef de chaque porte par la Grâce du Généreux, Celui qui donne. Nous avons réellement été l’objet d’un don providentiel en suivant cette méthode extraordinaire, dont nous avons profité. Louange à Dieu le Proche, Celui qui répond à la demande !

Il existe une autre méthode qui est celle d’el-Junayd, elle comporte huit conditions :

  1. le maintien constant de la pureté,
  2. la constance dans le jeûne,
  3. le silence constant,
  4. la retraite spirituelle constante,
  5. l’invocation constante à dire Lâ illâh ill-Allâh,
  6. l’attachement constant au cœur du Cheikh et bénéficier de sa Connaissance des événements spirituels en éteignant sa volonté propre dans la sienne,
  7. le rejet constant des suggestions de la nafs,
  8. l’abstention constante de s’opposer à Dieu le Très-Haut dans tout ce qui advient, bon ou mauvais et enfin,
  9. l’abstention de poser des questions sur le Paradis et chercher refuge contre le Feu.

Une autre méthode consiste à décroitre graduellement sa consommation de nourriture. En vérité le diable et l’âme se renforcent dans l’excès de nourriture. Et ainsi lorsque la nourriture est diminuée, leur puissance l’est aussi.

Une autre méthode consiste à se confier à un Cheikh digne de confiance qui aura autorité sur l’âme du disciple et qui pourra décider de ce qui pourra le corriger. En vérité le mourid est dans sa progression spirituelle (souloûk) comme un enfant, un nourrisson et un dépensier : chacun d’eux devant avoir un gardien, un conseiller, un juge ou une autorité qui se chargera de ses affaires. »

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ARTICLE THEMATIQUE correspondant

LA PRIERE SUR LE PROPHETE ﷺ COMME MOYEN DE SULÛK en cas de raréfaction de Maître éducateur (Cheikh tarbiyah) – M.A.S.

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[1] [Note de l’éditeur] : selon el-Mouttaqî el-hindî dans Kanz el-‘Ummâl.

[Note du traducteur : Je dois dire, pour ma part, qu’on ne sait pas si le hadîth s’arrête après « lumière » ou après « purifie » (suivant les textes) ; il faudrait donc vérifier, in châ Allah.]

 

  1. Editions Al-Bouraq), du texte arabe Muftâh el-falâh wa miçbâh el-arwâh fî dhikri-Llah el-Karîm el-Fattâh  ((Dâr el-kutub el-‘ilmiyah []
  2. Dâr el-kutub el-‘ilmiyah []

par le 29 février 2012, mis à jour le 5 avril 2015

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