De la prière sur le Prophète ﷺ comme moyen de protection – M.L.B.

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Nous réunissons ici deux textes relatifs à un aspect peu connu de la prière sur le Prophète ﷺ : son usage à titre de protection face aux « agressions » provenant du milieu ambiant dans lequel l’être se trouve, sur un plan personnel ou même à l’échelle d’une société comme nous le verrons plus loin.

Dans cette perspective, nous reviendrons sur certaines relations établies entre « l’être et le milieu » par la mise en œuvre de la prière sur le Prophète ﷺ, en nous référant notamment à l’enseignement de René Guénon. Mais avant cela, il nous semble utile de rappeler, d’après le même auteur, certains aspects relatif au rôle cosmique exercé par « le médiateur »1 qui est incarné de manière prototypique en islam par le Prophète Mohammed ﷺ .

Selon Guénon, ce rôle se rapporte notamment à la mise en œuvre de rites se référant au symbolisme « axial » (ou « polaire »)  auxquels on peut sans nul doute assimiler la prière rituelle (çalâh) islamique (ou « action de grâce unifiante » 2 ) et a fortiori la prière sur la Prophète ﷺ (aç-çalâh ‘alâ an-Nabî) proprement dite.

« Il monte de la Terre au Ciel, et redescend du Ciel en Terre ; il reçoit par là la vertu et l’efficacité des choses supérieures et inférieures » : ces paroles de la Table d’Émeraude hermétique peuvent s’appliquer très exactement à l’Homme en tant que terme médian de la Grande Triade, c’est-à-dire, d’une façon plus précise, en tant qu’il est proprement le « médiateur » par lequel s’opère effectivement la communication entre le Ciel et la Terre 3 . La « montée de la Terre au Ciel » est d’ailleurs représentée rituellement, dans des traditions très diverses, par l’ascension à un arbre ou à un mât, symbole de l’« Axe du Monde » ; par cette ascension, qui est forcément suivie d’une redescente […] , celui qui réalise véritablement ce qui est impliqué dans le rite s’assimile les influences célestes et les ramène en quelque sorte en ce monde pour les y conjoindre aux influences terrestres, en lui-même d’abord, et ensuite, par participation et comme par « rayonnement », dans le milieu cosmique tout entier.4

De manière significative, la prière sur le Prophète ﷺ est qualifiée traditionnellement, à l’instar de la prière rituelle, de « moyen d’ascension » (mi’râj), en référence directe à l’Ascension (Mirâj) prophétique par excellence.

Quant au « rayonnement » évoqué par Guénon, il peut certainement être rapproché de ce qui est dit de la descente de la Sakînah et plus généralement de tout ce qui se rapporte à une « action de présence ».

Nous avons tenus à présenter ces différents aspects relatifs à la fonction du médiateur dans la mesure où il n’apparaissent pas toujours de manière explicite dans les textes ci-dessous, bien que ceux-ci les sous-tendent entièrement en réalité.

M.L.B. – 30 Rajâb/ 1er Cha’bân 1436

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 Le premier des textes que nous avons choisi de présenter est tiré de la biographie du Cheikh Abû-l-Hassan Châdhilî :

Il dit ―qu’Allah soit satisfait de lui― : « Lors des pérégrinations (siyâha) au début de ma vie spirituelle, je me trouvais une nuit dans un endroit rempli de bêtes sauvages. Comme les bêtes commençaient à grogner après moi, je m’assis sur une butte élevée (rabwahaliyyah) et dis : « Par Allah, je vais prier sur l’Envoyé d’Allah ﷺ car il a dit « celui qui prie sur moi une prière une fois, Allah prie sur lui par elle dix fois » ; et si Allah prie sur moi, je passerai la nuit sous la protection d’Allah ». Je faisais donc ainsi et n’éprouvais aucune peur  . A l’aube, j’allai vers une mare d’eau pour y faire mes ablutions pour la prière de l’aube (çubh). Des perdrix sortirent d’un buisson de roseaux qui étaient à côté dans un bruyant battement d’ailes. La peur me submergea et je revins sur mes pas. Alors on m’appela dans mon for intérieur : « Ô ‘Alî, quand tu as passé la nuit dernière par Allah (bi-Llah), tu n’as pas craint les bêtes sauvages qui grognaient contre toi. Mais quand tu t’es levé aujourd’hui par toi-même (bi-nafsika), le seul battement des plumes de perdrix a réussi à t’effrayer. »

Luc de la Hilay indique dans son annotation qu’une version légèrement différente du même épisode est relatée dans les Latâ’if el-minân, bien qu’il n’y soit pas précisé que c’est la pratique de la prière sur le Prophète ﷺ qui préserve le cheikh Abû el-Hassan des lions qui rôdent autour de lui jusqu’à l’aube. Il dit alors qu’il croit avoir réalisé au terme de cette nuit la station spirituelle de l’Intimité (maqâm el-Uns)5 .

Le second texte est un résumé que nous avons présenté par ailleurs à  nos lecteurs relatif à un point particulier de la présentation faite par L. Zamboni de sa récente traduction italienne commentée des Dalâ’il Al-Khayrâte :

La période « historique » dans laquelle se situe la rédaction des Dala’il coïncide avec celle où l’Occident achève son processus de désacralisation et d’éloignement de l’esprit traditionnel amorcé après la destruction de l’Ordre des Templiers, processus qui mènera bientôt à l’âge moderne et la propagation de sa mentalité. Commence à cette époque la colonisation européenne, notamment l’invasion portugaise de certaines régions du Maroc contre laquelle Al-Jazûlî prendra les armes. Dans ce contexte, la diffusion des Dala’îl et en général de l’activité rituelle basée sur la prière sur le Prophète ﷺ semble avoir une signification « cyclique » très importante caractérisée notamment par la mise en œuvre d’une action de protection « subtile » concernant l’ensemble de la communauté musulmane et la réaffirmation par les musulmans de leur lien avec le Centre du monde représenté par le Prophète lui-même ﷺ, en tant qu’Homme parfait, lien que le monde occidental s’apprête alors à perdre irrémédiablement.

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  1. Les deux expressions employées entre guillemets renvoient aux titres de deux chapitres consécutifs de La Grande Triade, dernier ouvrage de Guénon qui présente dans son ensemble une « affinité » thématique profonde avec le présent sujet. []
  2. D’après une traduction habituelle de Michel Vâlsan. []
  3. Note de l’auteur : « On peut aussi voir dans ces mêmes paroles, au point de vue proprement initiatique, une indication très nette de la double réalisation « ascendante » et « descendante » ; mais c’est là encore un point que nous ne pouvons songer à développer présentement. » []
  4. René Guénon, La Grande Triade, chap. sur « Le médiateur » []
  5. Cf. La sagesse des Maîtres soufis, traduction de E.Geoffroy. []

par le 19 mai 2015, mis à jour le 10 septembre 2015

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