Le « Maître vivant » selon l’oeuvre de René Guénon : 22 conclusions – M.L.B.

 Cet article fait partie de notre série d’« Aperçus sur le Maître spirituel « vivant » selon l’œuvre de René Guénon »

V2 – 18 Mai 2011

Le texte que nous présentons ici constitue la conclusion récapitulative de nos « Aperçus sur le Maître spirituel « vivant » selon l’œuvre de René Guénon ». Il nous est en effet apparu que celles-ci pouvaient être lues indépendamment de l’étude précitée, voire même, dans une certaine mesure, y introduire.

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La conception du « Maître vivant »1 , telle qu’elle ressort de l’œuvre de René Guénon, présente certains aspects que nous qualifierons volontiers, avec les réserves d’usage nécessaires, d’originaux et même d’ inouïs au sens propre du terme. Nous allons tenter ici d’en résumer le principal :

1.     D’une manière générale, l’action du Maître vivant apparaît davantage comme le fait de la transmission de l’influence spirituelle, héritée du Maître fondateur, que celui de sa réalisation personnelle et de ses capacités individuelles.

2.     Les rôles essentiels  du Maître vivant sont ceux  de  :

  • transmetteur de l’influence spirituelle(fonction d’initiateur)
  • transmetteur de l’enseignement initiatique (fonction d’instructeur2 )

La transmission de l’influence spirituelle est par ailleurs une condition préalable et nécessaire à celle de l’enseignement initiatique.

3.     L’instruction spirituelle délivrée par un Maître vivant n’est pas une condition à l’initiation.

4.    La fonction du Maître vivant, en tant qu’instructeur (c’est-à-dire en tant que dispensateur d’une instruction initiatique), apparaît intimement liée à la mise en œuvre de moyens adjuvants au travail intérieur.

5.    L’instructeur, en tant qu’il est chargé de l’adaptation de la technique à chaque cas particulier, doit être en capacité d’offrir tout ce qui est de nature à guider l’initié.

6.   L’instructeur, même réalisé, dans l’exercice régulier de sa fonction, apparaît uniquement comme un vecteur et un support extérieur de transmission de moyens adjuvants ou de méthodes préparatoires à la réalisation d’états purement intérieurs, c’est-à-dire à l’obtention de la Connaissance initiatique véritable.

7.    La dimension personnelle de l’instructeur n’intervient pas dans ce processus de transmission.

8.    Le rôle et l’apport de l’instructeur sont difficilement séparables de la méthode qu’il transmet, à laquelle il s’identifie même d’une certaine façon.

9.     La présence d’un instructeur n’est pas rigoureusement indispensable au début de la réalisation.

10. Le rôle de l’instructeur apparaît relativement circonscrit au passage à l’initiation effective. Les premières étapes sont d’ailleurs, en fait, les seules pour lesquelles sa présence peut apparaître comme plus particulièrement nécessaire.

11.   L’importance du rôle de l’instructeur, même réalisé, c’est-à-dire capable d’adapter la méthode et d’en contrôler la mise en œuvre, apparaît semblable à celle des autres moyens adjuvants, c’est-à-dire d’un ordre relativement secondaire par rapport à celui de la transmission de l’influence spirituelle.

12.   Sur le plan des applications méthodiques, le caractère secondaire du rôle de l’instructeur ne doit cependant pas amener à conclure à son inutilité ; en effet, malgré tout, cela est fort loin d’être négligeable, et celui qui en serait privé risquerait fort d’aboutir à un échec.

13.  Contrairement à ce que beaucoup paraissent s’imaginer, il n’est pas toujours nécessaire pour que quelqu’un soit apte à remplir le rôle d’instructeur dans certaines limites, qu’il soit lui-même parvenu à une réalisation spirituelle complète ; il devrait être bien évident, en effet, qu’il faut beaucoup moins que cela pour être capable de guider valablement un disciple aux premiers stades de sa carrière initiatique.

14.   Ce qui est le plus difficile, et surtout à notre époque, c’est de trouver un instructeur vraiment qualifié, c’est-à-dire capable de remplir réellement la fonction de guide spirituel.

15.  Les qualifications minimales permettant à l’instructeur de transmettre la doctrine sont identiques à celles qui permettent la transmission de l’influence spirituelle par l’initiateur. L’exercice du rôle d’instructeur est donc exclusivement conditionné par le fait :

  • d’avoir été régulièrement investi de cette fonction par l’organisation en question
  • d’avoir la conscience minimale d’appartenir à l’organisation initiatique au sein de laquelle il accomplit sa fonction.
  • d’accomplir la transmission de la doctrine au nom de l’organisation en question, l’individualité du transmetteur devant, alors strictement s’effacer.
  • de constituer un simple support de la doctrine.

16.   Un Maître vivant peut n’avoir acquis qu’une perfection théorique de la Connaissance, comme il est possible, mais surement plus rare aussi, qu’il ait atteint le degré ultime de l’initiation.

17.  Le rôle de l’instructeur est techniquement conditionné par la reconnaissance, du dehors, d’une certaine infaillibilité en rapport avec l’exercice d’une fonction d’enseignement de la doctrine.

18.   L’être qui met régulièrement en œuvre certains rites devient alors proprement un porteur ou un transmetteur de l’influence spirituelle et c’est ce même rôle qui s’exerce à l’égard de la doctrine lorsqu’il s’agit d’une fonction d’enseignement.

19.  Ce rôle étant indépendant du degré de réalisation spirituelle du porteur de l’influence spirituelle, seule la compréhension qu’une autre sorte d’infaillibilité persiste, attachée exclusivement à la fonction d’enseignement, permet de saisir comment et pourquoi de telles possibilités peuvent s’exprimer de manière effective et constituer, dès le départ, une aide efficace pour un disciple, même lorsque l’instructeur n’est pas un initié effectif.

20. Dans le cas normal, une fonction d’enseignement, à un degré quelconque, ne devrait normalement être confiée qu’à celui qui possède une connaissance effective de ce qu’il doit enseigner. Il se peut cependant, surtout à notre époque, qu’une telle fonction soit revêtue par un simple transmetteur car de toute façon, là n’est pas l’essentiel, du moins pour ce qui est de l’infaillibilité attachée à la fonction elle-même.

21.  Le fait d’être investi régulièrement de certaines fonctions permet, à lui seul et sans autre condition, d’accomplir tels ou tels rites ; de la même façon, le fait d’être investi régulièrement d’une fonction d’enseignement entraîne par lui-même la possibilité d’accomplir valablement celle-ci.

22.  La reconnaissance de l’infaillibilité est expressément liée à l’exercice régulier d’une fonction d’enseignement de la doctrine, cette régularité impliquant nécessairement la réception par l’initié d’une autorisation traditionnelle nominale ainsi que la mise en œuvre de cette autorisation au nom de la tradition qu’il représente alors et qu’il « incarne » en quelque sorte. En l’absence de l’une ou l’autre de ces conditions, quelle que  soit sa connaissance propre de la doctrine, nul ne pourra légitimement prétendre imposer son autorité à qui que ce soit.

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La lecture de ces conclusions sera peut-être l’occasion pour certains d’une méditation renouvelée sur la façon dont Guénon envisage réellement le rôle du Maître spirituel, en particulier dans la perspective propre à la phase finale du cycle de la présente humanité3 . Pour notre part, nous ne pourrions que nous réjouir d’y avoir contribué, si modestement soit-il. Nous nous proposons par ailleurs de prolonger notre réflexion en revenant prochainement sur certains aspects plus particuliers du rôle et de l’action des Maîtres vivants au sein des organisations initiatiques.

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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant

MAITRE SPIRITUEL ET ENSEIGNEMENT

 

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  1. Nous utilisons toujours ici l’expression « Maître vivant » au sens de « Maître spirituel corporellement vivant ». Sur l’usage et le sens de cette expression, cf. Maître « vivant » et Maître « fondateur ».  []
  2.  Nous désignons toujours par le terme d’ « instructeur », dans le cadre du présent travail de synthèse, l’exercice d’une « fonction d’enseignement de la doctrine » (pour plus de précisions sur l’usage du terme par Guénon cf. La question du Maître spirituel « vivant » et l’apport de René Guénon et Le « Mandat du Ciel » et les « qualifications du transmetteur »   ainsi que les articles qui y font suite. )  []
  3. Cf. à ce propos notre article « Rappels sur la dégénérescence et les adaptations cycliques » []

par le 8 mai 2011, mis à jour le 11 mai 2015