Le soutien spirituel (madad) du Cheikh – Cheikh Mâ el-‘Aynayn

« Le cœur du Prophète ﷺ est constamment orienté vers la Présence divine. »

Cheikh Mâ al-‘Aynayn

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A la suite de l’évocation récente sur notre site de la position du Cheikh Mâ al-‘Aynayn  رضي الله عنه dans son Na’t el-bidâyat, concernant l’importance de la sincérité et de l’élévation de l’aspiration spirituelle (‘uluwwu-l-himmah) du murîd, notamment lorsque cette dernière se trouve être supérieure à la connaissance initiatique (ma’rifah) de son Cheikh, nous présentons d’autres aspects concernant ce que l’on pourrait appeler en quelque sorte la « technique initiatique », avec les précautions qui s’imposent en ce domaine pour employer une telle expression : comment le murîd recherche-t-il un soutien spirituel (madad) de son Cheikh ? Comment celui-ci est-il généré ? Comment la « réaction concordante » produite se propage-t-elle et s’exerce-t-elle finalement sur le murîd ?

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Le faqîr peut s’efforcer de recevoir et de bénéficier du madad de son Cheikh, quand il en a un, ou des Maîtres de la Voie et de celui du Prophète ﷺ, car l’appauvrissement des temps actuels pousse à se tenir fermement à cette pratique quand peu de fuqarâ parviennent à prendre pour Cheikh quelqu’un qui leur est utile dans la Voie ; or il n’y a de madad en réalité que d’Allah subhâna-Hu wa ta’âlâ.

Il en est à ce sujet comme de la lumière. On peut avoir accès à sa source directe ou à son émanation directe (comme lorsqu’on regarde le soleil) ou indirectement (par des rayons du soleil qui frappent un objet et révèlent son existence) ou encore par les réflexions successives sur d’autres objets et sa diffusion dans l’air. Celui qui est dans l’obscurité d’une pièce d’une maison refusera-t-il d’avancer en prétendant qu’il ne dispose pas lui-même de la source de lumière qui est allumée dans une des pièces distantes ou se contentera-t-il de la lumière qui lui parvient quand même effectivement après s’être réfléchie sur les murs et dans les couloirs jusqu’à lui, parce que cette lumière lui permet d’avancer ? Il en est de même pour l’irchâd que l’on reçoit directement, avec un Cheikh vivant, ou indirectement, par des « prolongements » du Cheikh.

On dispose à ce sujet d’une illustration édifiante, parmi bien d’autres, racontée par le Cheikh Abu-l-Hasan lui-même رضي الله عنه au sujet de l’élévation spirituelle de son Cheikh, Sidi Abd-es Salâm Ibn Mashish رضي الله عنه

Un jour (..), alors que j’étais assis devant lui et qu’un de ses petits-fils jouait avec lui sur ses genoux, il me vint à l’esprit de le questionner à propos du Nom Suprême d’Allah (Ismu-Llâh el-A’dham). L’enfant vint à moi, jeta ses bras à mon cou et me secoua, en disant : « Ô Abû-l-Hassan ! Toi qui voulais questionner le Maître à propos du Nom Suprême d’Allah ! Il ne s’agit pas de poser des questions à propos du Nom Suprême d’Allah. Ce dont il s’agit est que tu sois toi-même le Nom Suprême d’Allah, c’est-à-dire que le secret d’Allah (sirru-Llah) réside dans ton cœur. » Quand il eût fini de parler, le Cheikh sourit et me dit : « Untel t’a répondu de ma part (jâwabaka fulân ‘annâ, à ma place). » Il était alors le Qutb du temps. »

S’il est donc bien préférable de recevoir un irchâd directement par un Cheikh vivant corporel, il est aussi possible de bénéficier effectivement de l’enseignement du Cheikh intérieur par l’un de ses prolongements, puisque le Cheikh lui-même est le nâ’ib du Prophète ﷺ, qui est lui-même le nâ’ib d’Allah. En-Nûr étant un des Noms d’Allah subhâna-Hu wa ta’âlâ, il en est de l’irchâd comme de la lumière.

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29 mars 2015 – V2

Voici ce que dit l’auteur de Na’t el-bidâyât de ces aspects par rapport à ce qu’il a exposé au début de son livre sur les conditions afférentes au déroulement du dhikr :

Traduction

« Il te faut savoir qu’avant toutes ces conditions au dhikr (churût) et ces convenances spirituelles (âdâb), il incombe au disciple de se représenter son Maître mentalement (litt. dans sa pensée : fî dhihni-hi) * et de s’y appliquer en tout cela [c’est-à-dire pendant la réalisation des autres conditions]. Ceci, de toute évidence, constitue l’assurance du rapprochement qu’il aura vers son Seigneur * car lorsque, pendant le dhikr, il cherche l’aide de la force spirituelle de son Cheikh, celle-ci lui parvient [en retour] selon la mesure avec laquelle il l’a cherchée ; et c’est par cette recherche qu’il vaincra contre toutes les armées ennemies.

Le cœur de son Cheikh accompagne en effet le cœur du Cheikh du Cheikh jusqu’à la Présence prophétique ; or le cœur du Prophète ﷺ est constamment orienté vers la Présence divine.

Ainsi, lorsque l’incantateur visualise la forme de son Cheikh et cherche de lui un appui spirituel, les aides spirituelles émanent de la Présence divine sur le cœur du seigneur des Envoyés, puis du cœur du seigneur des Envoyés ﷺ sur le cœur des Maîtres spirituels, selon un arrangement précis, jusqu’à parvenir enfin à son Cheikh, et du cœur de son Cheikh jusqu’au sien, plus rapidement qu’en un battement de paupière.

Il est ainsi renforcé pour la mise en œuvre de l’outil car il est, au début de la Voie, comparable à l’enfant en bas âge (tifl) qui n’a pas la force nécessaire pour utiliser un outil dans un but [usage] bien précis *, quand bien même il aurait en main le glaive d’Allah ; en référence à ce qu’a dit le Prophète ﷺ: « Le dhikr est le glaive d’Allah. » ** (…)

Quand il cherche l’appui de son Cheikh l’aide lui vient nécessairement ; Allah dit :  » et si vous vous aidez à vaincre dans la religion, vous serez vainqueurs !  » (El-Anfâl, 72). Il constate alors que la demande d’aide qu’il a faite à son Cheikh est en réalité envers son Prophète ﷺ car il est [le Cheikh] son représentant (nâ’ibu-hu) (…) « 

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Traduction commentée

« Il te faut savoir qu’avant toutes ces conditions au dhikr (churût) et ces convenances spirituelles (âdâb), il incombe au disciple de se représenter son Maître mentalement (dans sa pensée : fî dhihni-hi) * et de s’y appliquer en tout cela [c’est-à-dire pendant la réalisation des autres conditions]. Ceci, de toute évidence, constitue l’assurance du rapprochement qu’il aura vers son Seigneur ** car lorsque, pendant le dhikr, il cherche l’aide de la force spirituelle de son Cheikh, celle-ci lui parvient (en retour) selon la mesure avec laquelle il l’a cherchée ; et c’est par cette recherche qu’il vaincra contre toutes les armées ennemies.

* La représentation formelle du Cheikh et la recherche d’un soutien spirituel (madad) par son intermédiaire semblent ainsi être liés dans ce qu’il est convenu d’appeler râbitah rûhiyyah, c’est à dire l’établissement conscient, ou plutôt la vivification et même l’actualisation effective, du lien établi avec la silsilah par le rattachement ; cet aspect est d’ailleurs mentionné par Cheikh Zakî ed-Dîn dans la présentation qu’il fait de cette pratique dans sa Tarîqah. Voici ce que dit à ce propos l’imâm Charani quand il expose les conditions à réaliser avant le dhikr :

4°) La recherche d’assistance (istimdâd) de la force spirituelle (himmah) du Cheikh lors du déroulement du dhikr, en se le représentant [imaginativement] devant soi * et en cherchant l’appui de son influx spirituel, afin qu’il soit son compagnon de voyage dans sa marche **.

* L’utilisation de la faculté imaginative (takhayyul qui prend appui, notamment, dans le hadîth de Jibrîl, pour la définition de l’ihsân « … d’adorer Allah comme si tu (ka annaka) Le voyais … »), consiste à développer une activité formatrice même d’ordre simplement mental. Sa mention peut paraître étonnante, en considération de l’occupation dont il s’agit ici, à savoir l’incantation divine, surtout s’il s’agit d’exercer cette activité formatrice mentale pour la représentation d’un Maître. Sans vouloir développer ici la question de l’utilisation des « intermédiaires » (waçîlah, tawaççul bi-l-awliyah, waçîtah) dans les techniques de dhikr ainsi évoquées, on remarquera simplement que la fonction uniquement médiatrice de l’être en question est clairement affirmée : elle ne pourrait donc poser problème qu’à qui prendrait les moyens pour la fin.

Une autre question peut se poser : quel Cheikh se représenter si l’on n’a pas actuellement de Cheikh vivant ? La représentation mentale du Maître spirituel pose éventuellement problème à celui qui n’a pas (encore) de Maître formel et qui se trouve ainsi techniquement privé d’une possibilité technique pouvant s’avérer importante, au moins au début de la Voie. On peut dire ici que cette difficulté semble pouvoir trouver une solution dans les modalités, toujours possibles quelle que soit la situation de l’initié, d’appel au Maître fondateur de la Tarîqah dont il dépend, modalités (pouvant prendre les formes plus ou moins directes) sur le détail desquelles on pourra revenir, à l’occasion ; il peut s’agir du Maître fondateur de la Tarîqah dont on fait partie, ou, ultimement, du Prophète lui-même ﷺ.

Sans entrer dans des détails qui seraient en réalité hors de propos puisqu’il ne s’agit pas de donner, dans le cadre de ce travail, des indications trop techniques et qui demanderaient surtout à être exposées directement pour pouvoir être envisagées avec efficacité, on peut néanmoins dire qu’il existe plusieurs variantes de cette technique (ici : « en se le représentant [imaginativement] devant soi »), qui peuvent être considérées comme autant d’illustrations des différentes perspectives méthodiques et disciplinaires suivant lesquelles elles peuvent être envisagées dans telle ou telle tarîqah. Le mieux semble donc de s’en référer directement à qui de droit.

** Il s’agit donc de l’application initiatique particulière du hadith prophétique : «Er-rafîq qabla et-tarîq » = « [se préoccuper] le compagnon de voyage avant le voyage (autre partie : « el-jâr qabla ed-dâr » = le voisin avant la maison), le « voyage » étant ici, évidemment, d’ordre spirituel.

5°) Considérer que la recherche du soutien spirituel de son Cheikh est la recherche d’un soutien spirituel émanant, en réalité, du Prophète ﷺ car il [le Maître] constitue un intermédiaire (waçîtatun) entre l’un et l’autre.

** Si l’on entend par rapprochement la désignation d’un processus de réalisation effective on comprend alors l’importance de ces dispositions

Le cœur de son Cheikh accompagne en effet le cœur du Cheikh du Cheikh jusqu’à la Présence prophétique ; or le cœur du Prophète ﷺ est constamment orienté vers la Présence divine.

Cheikh Mâ el-‘Aynayn expose de manière détaillée la chaîne initiatique (silsilah) des relations intimes et effectives que le murîd est amené à solliciter dans sa demande de madad, « en vertu de son simple rattachement », pour reprendre l’expression de René Guénon à ce sujet. On comprend ici pleinement l’intérêt et l’importance du conseil exprimé, de nos jours, par certains Maîtres de la Voie de chercher, constamment, à se trouver « sur le cœur » du Prophète, afin de chercher à profiter d’une forme directe d’intercession de sa part ﷺ1.

Rappelons ce qu’expose l’Imâm Charani à ce propos :

« Sache que les fruits de la répétition de la shahâdah peuvent être d’ordre général ou particulier et qu’à chacun d’eux correspondent des hommes spirituels.

En ce qui concerne les fruits généraux : il consiste en l’accès, par le rattachement lui-même, à la chaîne (silsilah) des Initiés. On devient par là même comme un anneau d’une chaîne en fer : quand il se meut pour une affaire, c’est tout le reste de la chaîne qui s’agite avec lui, chaque saint se trouvant [dans cette chaîne spirituelle] entre lui et l’Envoyé d’Allah étant comme un anneau de la silsilah. Au contraire, celui qui n’est pas rattaché, son statut est celui d’un anneau détaché (munfaçalah) : lorsqu’il lui se meut pour une affaire qui lui arrive à l’improviste, personne ne lui répond à cause de son manque de lien initiatique. »

Ainsi, lorsque l’incantateur visualise la forme de son Cheikh et cherche de lui un appui spirituel, les aides spirituelles émanent de la Présence divine sur le cœur du seigneur des Envoyés, puis du cœur du seigneur des Envoyés ﷺ sur le cœur des Maîtres spirituels, selon un arrangement précis, jusqu’à parvenir enfin à son Cheikh, et du cœur de son Cheikh jusqu’au sien, plus rapidement qu’en un battement de paupière.

Il est ainsi renforcé pour la mise en œuvre de l’outil car il est, au début de la Voie, comparable à l’enfant en bas âge (tifl) qui n’a pas la force nécessaire pour utiliser un outil dans un but [usage] bien précis *, quand bien même il aurait en main le glaive d’Allah ; en référence à ce qu’a dit le Prophète ﷺ: « Le dhikr est le glaive d’Allah. » ** (…)

* L’auteur insiste à rappeler une notion déjà affirmée en début de texte : l’efficacité de la recherche du madad est intrinsèque et sa mise en oeuvre amène nécessairement un résultat.

** L’imâm Charani dit également dans ses Lawâqîh : « Ils [les Maîtres] disent :  » Le dhikr est le glaive de ceux qui aspirent à la connaissance (muridîn) : par lui ils tuent leurs ennemis d’entre les djinn et les hommes et par lui ils s’épargnent les calamités qu’ils tendent sur leur chemins. »

Quand il cherche l’appui de son Cheikh l’aide lui vient nécessairement ; Allah dit :  » et si vous vous aidez à vaincre dans la religion, vous serez vainqueurs !  » (El-Anfâl, 72). Il constate alors que la demande d’aide qu’il a faite à son Cheikh est en réalité envers son Prophète ﷺ car il est [le Cheikh] son représentant (nâ’ibu-hu) (…) « 

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