Le statut exotérique de la prière sur le Prophète ﷺ [LH]

Cet article est extrait d’une étude complète sur la « Prière de la Lumière Essentielle » (an-nûr adh-dhâtî) du Cheikh Abû al-Hasan ach-Châdhilî.

Prier sur le Prophète ﷺ est un ordre divin formulé de la façon suivante dans le Coran :

« En vérité, Allah et Ses Anges prient (yuçallûn) sur le Prophète. Ô vous qui croyez, priez (çallû) sur lui et saluez-le ! » 1 .

De l’avis unanime des savants, ce verset fait de la prière sur le Prophète (aç-çalât ‘alâ an-nabî) un acte obligatoire (fardh) pour tous les croyants 2 . La conception de cette obligation varie néanmoins quelque peu selon les écoles juridiques (al-madhâhib), et l’Imâm Mâlik considère que le musulman se décharge de cette obligation en l’accomplissant une fois dans sa vie tandis que l’Imâm Chafi’î la juge obligatoire lors de l’attestation de foi (at-tachahhud) conclusive des cinq prières rituelles.

Une fois cette obligation accomplie, la prière sur le Prophète ﷺ prend le statut de pratique traditionnelle fortement recommandée (sunnah mu’akkadah) 3 . Elle n’est alors plus conditionnée par un temps rituel spécifique ou un lieu déterminé, ni par une formule particulière. En cela, elle est donc susceptible d’un usage plus étendu que celui auquel se cantonnent parfois les musulmans à travers la prière sur le Prophète dite « Abrahamique » (aç-çalât Ibrâhimiyah) 4 à la fin des prières canoniques.

Dans un hadith, le Prophète ﷺ nous enseigne par ailleurs que la prière sur lui appelle une « réponse » de la part d’Allah :

« Celui qui accomplit la çalâh sur moi une fois, Allah accomplit la çalâh sur lui dix fois, celui qui accomplit la çalâh sur moi dix fois, Allah accomplit la çalâh sur lui cent fois, celui qui accomplit la çalâh sur moi cent fois, Allah accomplit la çalâh sur lui mille fois […] ».

Au sujet de cette çalâh, que nous traduisons habituellement par « prière », la théologie islamique (al-‘ilm at-tawhîd) distingue plusieurs significations en fonction des contextes :

  • La prière venant d’Allah est une miséricorde (aç–çalâtu min-Allahi rahmah) 5 .
  • Lorsque la prière d’Allah est destinée au Prophète ﷺ, elle est une miséricorde accompagnée de respect et vénération (ta’dhîm).
  • Quand elle provient des anges (al-malâ’ikah), la prière est une demande de pardon pour les croyants (istighfâr).
  • De la part des autres créatures, et notamment des hommes, la prière est contrition (tadharru’) et demande (dû’a).

Nous verrons cependant par la suite que la conception de la prière d’Allah chez savants exotériques (al-‘ulama adh-dhâhir) est contestée par certains savants ésotériques (al-‘ulama al-bâtin). Ces derniers jugent en effet que l’interprétation exotérique habituelle demeure incomplète. Le Cheikh al-‘Alawî notamment considère la calâh d’Allah comme une théophanie divine (at-tajallî el-ilâhî) et affirme que :

« si la çalâh ne signifiait que la miséricorde (rahmah), le Prophète se serait suffit de la Parole d’Allah lui annonçant : « Nous ne t’avons envoyé qu’en tant que miséricorde pour les mondes (rahmatan li-l-‘alamîn) » 6 (Coran : 21, 7).

Quant à la çalâh d’Allah sur les hommes, il ne la conçoit pas non plus uniquement comme une « descente » de miséricorde mais bien comme un moyen effectif de s’élever vers Lui comme nous allons le voir un peu plus loin.

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  1. Coran : 33, 56 [↩]
  2. Il est intéressant de noter que ce verset ne s’adresse textuellement qu’aux musulmans caractérisés par la foi (al-îmân), c’est-à-dire ceux qui constituent la catégorie des croyants (al-mu’mimîn), dont le degré est intermédiaire entre celui de l’islâm et de l’ihsân selon le hadith de Seyidinâ Jibrîl. Pourtant, cette restriction n’est pas aussi nette et catégorique qu’on pourrait le penser de prime abord, compte tenu de la pluralité des définitions de la foi du dogme islamique. Le Prophète ﷺ est toujours plus ou moins liée à ces définitions et l’intensité de la foi du croyant résulte de l’intensité de sa relation avec lui ﷺ : « Les gens se différencient l’un de l’autre en matière de foi à la mesure de leur différence dans l’amour qu’ils me vouent, et ils se différencient dans la mécréance à la mesure de leur différence dans l’animosité qu’ils me portent » (hadith). Cet amour est par ailleurs défini comme le fait de « suivre sa voie, de pratiquer sa tradition, d’aimer ce qu’il aime, de détester ce qu’il déteste, de soutenir celui qu’il soutient, d’être ennemi de ses ennemis ». [↩]
  3. C’est-à-dire un acte méritoire qu’il est conseillé de ne pas délaisser mais dont l’absence de réalisation n’expose pas pour autant au châtiment divin. Selon ce critère, la prière sur le Prophète ﷺ que l’on prononce à l’évocation de son nom est considérée par certains comme obligatoire, tant la sanction de celui qui s’en abstient est sévère selon les hadiths. [↩]
  4. La formule la plus connue de cette prière est : « Allâhumma prie (çalli) sur Mohammed et sur la Famille de Mohammed comme tu as prié sur Abraham et sur la Famille d’Abraham et bénis Mohammed et la Famille de Mohammed comme tu as béni Abraham et la Famille d’Abraham dans les mondes. Tu es, en vérité, Digne de louanges, Glorieux. ». Il est rapporté dans le çahîh de Muslîm qu’elle fut transmise par le Prophète ﷺ à quelqu’un qui l’interrogeait sur la façon de prier sur lui. [↩]
  5. Les bienfaits traditionnellement associés à la pratique de la prière sur le Prophète ﷺ peuvent apparaitre comme autant de catégories de « grâces » spécifiant la Miséricorde divine sur le prieur : récompenses (thawab), préservation (hifdh), absolution des péchés, dissipation des afflictions (kachaf al-ghumûm), satisfaction des besoins (qadhî al-hawâ’ij), etc [↩]
  6. Minâh al-quddûsiyyah, traduit en français sous le titre Les très saintes inspirations ou l’éveil de la conscience, éd. Albouraq. [↩]

par le 27 juillet 2019, mis à jour le 25 juillet 2020