Le takfîr : une innovation destructrice – Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn – (M.A.S.)

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Les temps dans lesquels nous vivons étant si habituellement vecteurs et révélateurs des aberrations les plus énormes que l’humanité ait jamais eu à subir, il apparaît utile de rappeler qu’étant donnée la gravité qui est attachée à l’accusation et au jugement de kufr à l’égard d’un musulman quel qu’il soit, cette pratique n’a jamais connu, en réalité, un développement aussi anormal et envahissant que celui qu’elle a au sein d’une certaine tendance de l’Islam contemporain, voire très contemporain seulement : les Pieux Anciens, qui étaient réellement les Salaf es-Sâlih, ne connaissaient évidemment pas l’attitude maladive grossière consistant à porter l’anathème à tout-va (« takfirisme »). C’est bien sous ce rapport que l’on peut d’ailleurs qualifier proprement celle-ci d’innovation (bid’âh) et aussi en considération du caractère éminemment néfaste (à l’avis unanime des ‘ulemâ réguliers, il existe, en effet, des innovations qui sont bénéfiques) qu’elle constitue à titre personnel comme à titre communautaire.

Nous reprenons ici quelques passages des Qawâ’îd de la Tarîqah du Cheikh Zakî ed-Dîn Ibrâhîm qui rappellent ce qui devrait rester comme des évidences dans l’esprit des gens de science et de sincérité.

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Les points de divergence

« Les points de divergence [généralement évoqués entre les savants exotéristes et les représentants réguliers du Taçawwuf] tels que la sollicitation de l’appui du défunt dans l’invocation, la récitation du Coran pour le défunt, la récitation à haute voix de la Sourate Al-Kahf le vendredi, les deux appels à la prière du vendredi, les deux raka’ât (unité du cycle de prière) surérogatoires que l’on accomplit avant la prière du vendredi, la prière sur le Prophète après l’appel à la prière, le fait de se lever pour saluer celui qui arrive, la salutation d’adieu, le serrement de main après les prières obligatoires et la prière des deux fêtes, les invocations que l’on dit à haute voix après la prière, la construction des mosquées, l’excavation de la qiblah (direction de la prière), la visite des cimetières (machâ’id) des Saints d’Allah, l’invocation (dhikr) d’Allah en groupe, l’adoration d’Allah en récitant des ahzâb [ensembles de prières propres à une tarîqah], des oraisons (awrâd), en accomplissant la prière et en mentionnant les Noms d’Allah, certaines traditions du soufisme, la classification de l’invocation et beaucoup d’autres sont des « points dérivés » de la jurisprudence.

Les points de vue ont divergé et divergeront encore sur ces points, sans faire jamais l’unanimité des savants. Ils font partie des questions du licite et de l’illicite et ne font pas partie des questions dogmatiques (‘aqîdah) qui conduisent à l’incroyance ou à la foi11. A propos de ces points, chacun est tenu de respecter la position basée sur la preuve véridique, jusqu’à sa mort, sans controverse.

Selon nous, ces questions oscillent entre la permission (rukhçah) et la décision ferme (‘azîmah)12. Nous les traitons selon ce principe afin qu’elles ne soient pas la cause de la désunion des musulmans ou de la guerre qui déchire les familles et l’unité des pays. En effet, ces questions occupent le même rang que celui de la divergence jurisprudentielle entre les quatre doctrines. Nous ne polémiquons pas du tout à leur sujet, car la polémique est absolument inutile. Notre objectif est de repousser le mal par ce qui est meilleur13.

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A propos d’une « innovation … destructrice »

Nous n’accusons aucun musulman d’incroyant, de polythéiste, de pervers ou d’apostat au simple prétexte qu’il adopte un autre avis que le nôtre ou parce qu’il a commis un péché. En effet, accuser quelqu’un d’incroyant ou de polythéiste est un acte infâme et fait partie des imprudences les plus dangereuses en matière de religion et de science. C’est une innovation wahhabite destructrice.

Personne ne peut accuser d’être incroyant quelqu’un parmi les Gens de la qiblah (les musulmans) en s’appuyant sur une question de divergence doctrinale ou sur un précepte dérivé et interprété selon son avis propre et son effort personnel.

Pire encore est celui qui assume la charge de substituer la sentence des questions dérivées à celle des questions fondamentales ou de manipuler l’identification des choses. C’est cette attitude qui a déchiré les liens de la communauté et a déformé l’image de la religion d’Allah. Celui qui tient à cette attitude est un destructeur. Sa fin pourrait être mauvaise. Il s’agit d’un hypocrite politique, qui adopte en apparence la religion, ou d’un arriviste qui cherche les plaisirs de la vie ici-bas au détriment de l’Au-delà.

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Nous croyons au non-manifesté (el-ghayb) et aux prodiges des Saints (Awliyâ) d’Allah, qu’ils soient vivants ou morts. Par contre, nous ne croyons ni aux tours de prestidigitation (cha’wadhah), ni à la divination par le jet de coquillages (wada’) ou dans le marc de café (finjân), ni à la « chance » (bakht), etc. Ce qui se réalise de ces actes pourrait être soit dû à la coïncidence (muçâdafah), à l’expérience (tajribah), ou à la mise en œuvre (istikhdam) du démon.

En vérité, nous croyons au songe véridique, au dévoilement réel, à l’inspiration divine, à la consultation (istikhârah) rapportée, à la pratique thérapeutique (roqiy) prophétique confirmée, aux invocations (ad’iyah), aux versets des sourates coraniques y compris leurs bénédictions et leurs secrets efficients (asrâr), sans limites pour les vivants et les morts, qu’ils soient sains ou malades, suivant les livres de l’exégèse (coranique) et du Hadîth prophétique.

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Nous aimons (nahnu nuhibbu) toutes les organisations initiatiques régulières, quelle que soit la différence des tendances (machârib), des méthodes et des noms, mais nous ne donnons la préférence à aucune tarîqah sur la nôtre (lâ nufaddilu  tarîqatan alâ tarîqatinâ qatt). De même, nous aimons tous les Maîtres des organisations initiatiques régulières (et-turûq ech-char’iyah), vivants ou morts. Nous cherchons d’eux la bénédiction (natabarrakû bihim) tant qu’ils s’évertuent dans le domaine de la Da‘wa vers Allah loin des préjugés, des innovations et des apparences, mais nous ne leur donnons en aucune manière la priorité sur nos Maîtres (lâ nuqaddimu-hum ‘alâ achyâkhinâ) comme c’est le cas pour l’homme entre son père et son oncle.

En effet, nos grands Imams soufis qui ont atteint le rang de la perfection ont reçu la Voie en un mode tabarrukan auprès de dizaines de Saints de leur temps, ce qui montre que l’esprit de clan était absent. De plus, chacun d’eux avait des bonnes intentions pour son frère. Par conséquent, ils échangeaient les rencontres et les transmissions initiatiques (talaqqîn) en toute confiance, amour, bonne foi (‘aqîdah), entraide et certitude au sein d’une famille unique, même s’ils étaient de pays différents et qu’ils vivaient éloignés.

En vérité, toutes les turûq régulières commencent par le repentir (tawbah) et se terminent par la Connaissance (Ma’rifah). La différence concerne les méthodes et les cheminements spirituels de telle sorte que chacun trouve ce qui correspond à sa nature.

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Nous aimons les Saints d’Allah qui sont morts. Nous cherchons la bénédiction en leur rendant visite quelles que soient leurs doctrines et leurs tendances, comme nous ne faisons aucune distinction entre les Messagers d’Allah, comme entre Ses Saints. Nous confions la question de leur préférence cachée à Allah, Qui connaît Seul la vérité.

Nous ne devons pas faire de grossières supputations à propos du secret du non-manifesté bien gardé d’Allah 14.

De même nous ne devons pas faire l’éloge à outrance de nos Maîtres de manière qu’on les favorise par ignorance sur les Messagers d’Allah – Nous implorons le pardon d’Allah [à ce sujet].

Nous sollicitons (natawassalu) le secours d’Allah par l’intermédiaire de Ses Saints, suivant nos connaissances et nos pratiques expérimentées, tout en croyant fermement qu’Allah est Seul l’Omnipotent (el-Qâdir), Celui qui Agit par excellence (el-Fa’’âl). Solliciter Allah par l’intermédiaire des Saints est tout simplement une cause, un rang élevé dans l’adoration, une confirmation de la vraie unification, une reconnaissance de la négligence et une soumission pratique qui indiquent le dévouement de l’invocation à Allah Seul. Le déplacement aux tombeaux et aux mosquées pour accomplir la prière, y rester et invoquer Allah n’est qu’une sorte d’invocation d’Allah par l’intermédiaire des bonnes actions en plus de la prédication de l’esprit pur.

En effet, c’est Allah qui dispose les choses des vivants et des morts et non les vivants ni les morts. Celui qui veut solliciter l’appui d’Allah par l’intermédiaire des pieux ou des bonnes actions, qu’il le fasse ; celui qui ne veut pas, qu’il le laisse. Allah ne compte que vos intentions. »

Cheikh Mohammed Zakî ed-Dîn

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par le 2 mai 2015, mis à jour le 6 mai 2015

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