Le Traité de l’Unité – Traduction d’Abdul-Hâdî Aguéli

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Al Ikhlas circulaire

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Le Traité de l’Unité – Traduction Abdul-Hâdi (1911)

Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux.

Nous implorons Son secours.

Gloire à Allah, avant l’Unité duquel il n’y a pas d’antérieur, si ce n’est Lui qui est ce Premier ; après la Singularité duquel il n’y a aucun après, si ce n’est Lui qui est ce Suivant. À propos de Lui, il n’y a ni avant, ni après, ni haut, ni bas, ni près, ni loin, ni comment, ni quoi, ni où, ni état, ni succession d’instants, ni temps, ni espace, ni être : « Il est tel qu’Il était ». — « Il est l’Unique, le Dompteur » sans les conditions ordinaires de l’Unité. Il est le Singulier sans singularité. Il n’est pas composé de nom et de nommé, car le nom est Lui et le nommé est encore Lui. Il n’y a pas de nom sauf Lui. Il n’y a pas de nommé en dehors de Lui. C’est pourquoi il est dit qu’Il est le nom et le nommé. Il est le Premier sans antériorité. Il est le Dernier sans les conditions ordinaires de la finalité, c’est-à-dire sans finalité absolue. Il est l’Évident sans extériorité. Il est l’Occulte sans intériorité. Je veux dire qu’Il est l’existence des Glyphes de l’externe comme Il est l’existence de ceux de l’interne. Il n’y a ni externe ni interne hormis Lui, et cela sans que ces Glyphes se changent pour devenir Lui, ou que Lui, Il se change pour devenir ces Glyphes. Il importe de bien comprendre cet arcane, de peur de tomber dans l’erreur de ceux qui croient aux incarnations de la Divinité. Il ne se trouve pas dans quelque chose et aucune chose ne se trouve dans Lui par une entrée ou une sortie quelconque. Il faut le connaître de cette façon, non par la science, l’intelligence, l’imagination, la sagacité, les sens, la vision extérieure, la vision intérieure, la compréhension ou le raisonnement. Personne ne peut Le voir, sauf Lui-même. Personne ne Le saisit, sauf Lui-même. Personne ne Le connaît, sauf Lui-même. Il Se voit par Lui-même. Il Se connaît par Lui-même. Autre-que-Lui ne peut Le voir. Autre-que-Lui ne peut Le saisir. Son impénétrable voile est Sa propre Unicité. Autre-que-Lui ne Le dissimule pas. Son voile est Son existence même. Il est voilé par son Unicité d’une façon inexplicable. Autre-que-Lui ne Le voit pas : aucun prophète envoyé, aucun saint parfait ou ange approché. Son prophète est Lui-même. Son messager (apôtre) est Lui. Sa missive (apostolat) est Lui. Sa Parole est Lui. Il a mandé Son ipséité par Lui-même de Lui-même vers Lui-même, sans aucun intermédiaire ou causalité extérieure que Lui-même. Il n’y a aucune disparité de temps, d’espace ou de nature entre Celui qui envoie, entre le Message, et le Destinataire de cette missive. Son existence est celle des Lettres de la prophétie, pas d’autre. Autre-que-Lui n’a pas d’existence ou de nominalité, et ne peut donc s’anéantir, n’ayant jamais existé. C’est pourquoi le Prophète a dit : « Celui qui connaît son âme, c’est-à-dire soi-même, connaît son Seigneur. » Il dit encore : « J’ai connu mon Seigneur par mon Seigneur ». Le Prophète d’Allah a voulu faire comprendre par ces mots que tu n’es pas toi, mais Lui ; Lui et non toi ; qu’Il ne sort pas de toi et tu ne sors pas de Lui. Je ne veux pas dire que tu es ou que tu possèdes telle ou telle qualité. Je veux dire que tu n’existes absolument pas, et que tu n’existeras jamais ni par toi-même ni par Lui, dans Lui ou avec Lui. Tu ne peux cesser d’être, car tu n’es pas. Tu es Lui et Lui est toi, sans aucune dépendance ou causalité. Si tu reconnais à ton existence cette qualité, c’est-à-dire le néant, alors tu connais Allah, autrement non.

La plupart des initiés disent que la Gnose, ou la Connaissance d’Allah, vient à la suite du Fanâ el-wujûdi et du Fanâ el-janâ’i, c’est-à-dire par l’effet de l’extinction de l’existence et de l’extinction de cette extinction. Or, c’est opinion est tout à fait fausse, il y a là une erreur manifeste. La Gnose n’exige pas l’extinction de l’existence du moi ou l’extinction de cette extinction ; car les choses n’ont aucune existence, et ce qui n’existe pas ne peut cesser d’exister. Dire qu’une chose a cessé d’exister, qu’elle n’existe plus, équivaut à affirmer qu’elle a existé, qu’elle a joui de l’existence. Donc, si tu connais ton âme, c’est-à-dire toi-même, si tu peux concevoir que tu n’existes pas et, partant, que tu ne t’éteins pas, alors tu connais Allah, autrement non. Attribuer la Gnose au Fanâ et au Fanâ el-janâ’i est un crédo idolâtre. Car, si tu attribues la Gnose au Fanâ et au Fanâ el-janâ’i, tu prétends qu’ autre-qu’Allah puisse jouir de l’existence. C’est Le nier, et tu es formellement coupable d’idolâtrie. Le Prophète a dit : « Celui qui connaît son âme, c’est-à-dire lui-même, connaît son Seigneur ». Il n’a pas dit : « Celui qui éteint son âme connaît son Seigneur ». Si l’on affirme l’existence d’un autre, on ne peut plus parler de son extinction, car on ne doit parler de l’extinction de ce qu’on ne doit affirmer. Ton existence est néant, et néant ne peut s’ajouter à une chose, temporaire ou non. Le Prophète a dit : « Tu n’existes pas maintenant, comme tu n’existais pas avant la création du monde ». Le mot « maintenant » est pris ici dans son sens de présent absolu, signifie l’éternité sans commencement, aussi bien que l’éternité sans fin. Or, Allah est l’existence de l’éternité sans commencement, et de l’éternité sans fin, ainsi que la préexistence. Ces trois aspects de l’éternité sont Lui. Allah est l’existence de ces trois aspects de l’éternité, sans qu’Il cesse d’être l’Absolu. S’il n’en était pas ainsi, Sa Solitude ne serait pas ; Il ne serait pas sans partenaire. Or, il est d’obligation rationnelle, dogmatique et théologique qu’Il soit seul et sans compagnon aucun. Son partenaire serait celui qui existerait par lui-même, non par l’existence d’Allah. Un tel n’aurait pas besoin d’Allah, et serait, par conséquent, un second Seigneur Dieu, ce qui est impossible. Allah n’a pas de partenaire, de semblable ou d’équivalent. Celui qui voit une chose avec Allah, d’Allah ou dans Allah, même en la faisant relever d’Allah par la Seigneurie, rend cette chose partenaire d’Allah, relevant de Lui par la Seigneurie. Quiconque prétend qu’une chose puisse exister avec Allah, peu importe que cette chose existe par elle-même ou bien par Lui, qu’elle s’éteigne de son existence ou de l’extinction de son existence, un tel homme, dis-je, est loin d’avoir la moindre perception de la connaissance de son âme et de soi-même. Car celui qui prétend qu’autre-que-Lui puisse exister, peu importe que ce soit par lui-même ou bien par Lui ou dans Lui, puis disparaisse et s’éteigne, puis s’éteigne dans son extinction, etc., un tel homme tourne en un cercle vicieux par l’extinction sur l’extinction indéfiniment. Tout cela est idolâtrie sur idolâtrie et n’a rien à faire avec la Gnose. Un tel homme est idolâtre, et il ne connaît rien ni d’Allah ni de lui-même ou de son âme.

Si l’on demande par quel moyen on arrive à connaître son « âme », c’est-à-dire le « proprium’, soi-même, et à connaître Allah, la réponse est : La voie vers ces deux connaissances est indiquée par ces paroles : « Allah était et le néant avec Lui. Il est maintenant tel qu’Il était ». Si quelqu’un dit : « Je vois mon âme, mon « proprium », moi-même, autre qu’Allah, et je ne vois pas qu’Allah soit mon âme », la réponse est : Le Prophète veut dire par le terme « âme » le « proprium », ton existence particulière, ce que tu appelles « moi-même », et non pas l’élément psychique qui s’appelle tantôt « l’âme impérieuse » ou « celle qui pousse irrésistiblement vers le mal », « l’âme qui reproche », « la rassérénée », etc. ; mais il veut dire par « âme » tout ce qui est autre qu’Allah, comme il a dit : « Fais-moi voir, ô Dieu ! les choses telles qu’elles sont », désignant par « les choses » tout ce qui n’est pas Allah, qu’Il soit exalté. Il a voulu dire : « Fais-moi connaître ce qui n’est pas Toi, afin que je sache et afin que je connaisse la vérité sur les choses, si elles sont Toi ou bien autre-que-Toi ; sont-elles sans commencement ni fin, ou bien ont-elle été créées et vont-elles disparaître ? » Alors, Allah lui fit voir que tout ce qui n’est pas Lui est l’homme lui-même, et que tout ce qui n’est pas Lui n’a aucune existence. Et il vit les choses telles qu’elles sont ; je veux dire qu’il vit qu’elles étaient la quiddité d’Allah, hors du temps, de l’espace et de toute attribution. Le terme « les choses » peut s’appliquer à l’âme comme à n’importe quoi. L’existence de l’âme et celle des choses s’identifient dans l’idée générale de chose. Donc, celui qui connaît les choses connaît son âme, son « proprium », c’est-à-dire lui-même, et celui qui se connaît soi-même connaît le Seigneur. Car ce que tu crois être autre-qu’Allah n’est pas autre-qu’Allah, mais tu ne le sais pas. Tu Le vois, et tu ne sais pas que tu Le vois. Du moment que ce mystère a été dévoilé à tes yeux, que tu n’es pas autre-qu’Allah, tu sauras que tu es le but de toi-même, que tu n’as pas besoin de t’anéantir, que tu n’as jamais cessé d’être, et que tu ne cesseras jamais d’exister, jamais, comme nous l’avons déjà expliqué. Tous les attributs d’Allah sont tes attributs. Tu verras que ton extérieur est le Sien, que ton intérieur est le Sien, que ton commencement est le Sien et que ta fin est la Sienne, cela incontestablement et sans doute aucun. Tu verras que tes qualités sont les Siennes et que ta nature intime est la Sienne, cela sans que tu sois devenu Lui ou que Lui soit devenu toi, sans transformation, diminution ou augmentation quelle qu’elle soit. « Tout périt sauf Sa face », dans l’extérieur et dans l’intérieur. Cela veut dire qu’il n’existe aucun autre-que-Lui ; qu’autre-que-Lui n’a aucune existence, mais est fatalement perdu, de sorte qu’il ne reste que Sa figure ; autrement dit : rien n’est stable hormis Sa figure. Quelques manuscrits ajoutent : « Partout où vous vous tournez, vous vous tournez vers la Face de Dieu : Coran, II, I09.) Un exemple : Un homme ignore quelque chose, puis il l’apprend. Ce n’est pas son existence qui s’est éteinte, mais seulement son ignorance. Son existence reste, elle n’a pas été changée contre celle d’un autre ; l’existence du savant n’est pas venue s’ajouter à l’existence de l’ignorant ; il ne s’agit d’aucun mélange de ces deux existences individuelles ; il n’y a que l’ignorance qui a été enlevée. Ne pense donc pas qu’il est nécessaire d’éteindre ton existence, car alors tu te voiles avec cette même extinction, et tu deviens toi-même pour ainsi dire le voile d’Allah. Comme maintenant le voile est autre-qu’Allah, il s’ensuit qu’autre-que-Lui puisse Le vaincre en repoussant les regards vers Lui, ce qui est une erreur et une méprise grave. Nous avons dit plus haut que l’unicité et la singularité sont les voiles d’Allah, pas d’autres. C’est pourquoi il est permis au Wâçil, c’est-à-dire à celui qui est arrivé à la Réalité personnelle, de dire : « Je suis le Vrai Divin », ou bien : « Gloire à moi ; que ma celsitude est grande ! » Un tel Wâçil n’est pas arrivé à un degré aussi sublime sans avoir cru que ses attributs sans les attributs d’Allah et que son être intime est l’être intime d’Allah, sans aucune transformation d’attributs ou transsubstantiation d’être intime, sans aucune entrée dans Allah ou sortie de Lui ou vice versa. Il voit qu’il ne s’éteint pas dans Allah et qu’il ne persiste pas avec Allah non plus. Il voit que son âme, c’est-à-dire son « proprium », n’existe pas du tout, non pas comme ayant existé, puis s’étant éteinte, mais il voit qu’il n’y a ni âme ni existence sauf la Sienne. Le Prophète a dit : « N’insultez pas au Siècle, car il est Allah ». Il a voulu dire par ces paroles que l’existence du Siècle est l’existence d’Allah, qu’il soit glorifié et magnifié. Il est trop élevé pour avoir un partenaire, un semblable ou un équivalent quelconque. Le Prophète dit dans une tradition qdsî : « Allah dit : Mon serviteur ! J’étais malade, et tu ne M’as pas visité. J’avais faim, et tu ne M’as pas donné à manger. Je t’ai demandé l’aumône, et tu l’as refusée ». Il a voulu dire que c’était Lui qui était le malade et le mendiant. Comme le malade et le mendiant peuvent être Lui, alors toi et toutes les choses de la création, accidents ou substances, peuvent aussi être Lui. Quand on découvre l’énigme d’un seul atome, on peut voir le mystère de toute la création, tant intérieure qu’extérieure. Tu verras qu’Allah n’a pas seulement créé toutes choses, mais tu verras encore que, dans le monde invisible aussi bien que dans le monde visible, il n’y a que Lui, car ces deux mondes n’ont point d’existence propre. Tu verras qu’Il n’est pas seulement leur nom, mais aussi Celui qui les nomme et Celui qui est nommé par eux, ainsi que leur existence. Tu verras qu’Il n’a pas seulement créé une chose une fois pour toutes, mais tu verras « qu’Il est tous les jours en l’état de Créateur sublime » (Coran, LV, 29), par l’expansion et l’occultation de Son existence et de Ses attributs en dehors de toute condition intelligible. Car Il est le Premier et le Dernier, l’Extérieur et l’Intérieur. Il paraît dans Son unité et Se dissimule dans Sa singularité. Il est le Premier et du Dernier, de l’Extérieur et de l’Intérieur, comme l’existence de ces Glyphes est Lui. Il est Son nom ; Il est celui qui est nommé. Comme Son existence est fatale, logique et dogmatique, de même est fatale la non-existence de tout autre-que-Lui. Ce que nous pensons être autre-que-Lui n’est pas, au fond, un bi-existence, car Son existence à Lui signifie qu’une bi-existence n’existe pas ; sans quoi cette bi-existence serait Son semblable. Or, autre-que-Lui n’est pas, car Il est exempt de ce qu’un autre-que-Lui soit autre-que-Lui. Cet autre est encore Lui sans aucune différence intérieure ou extérieure. Celui qui est ainsi possède des attributs sans nombre ni fin.

Celui qui est ainsi qualifié possède des attributs innombrables. Comme celui qui meurt, dans le sens propre du mot, est séparé de tous ses attributs louables ou blâmables, de même, celui qui meurt, au sens figuré, est séparé de tous ses attributs louables ou blâmables. Allah — qu’Il soit béni et exalté — est à sa place dans toutes les circonstances. La « nature intime » d’Allah tient lieu de sa « nature intime » ; les « attributs » d’Allah tiennent lieu de ses « attributs ». C’est pourquoi le Prophète — qu’Allah prie sur lui et le salut — a dit : « Mourez avant que vous ne mouriez », c’est-à-dire : « connaissez vous-mêmes vos âmes, votre « proprium », avant que vous ne mouriez ». Il a dit encore : « Allah dit : Mon adorateur ne cesse d’approcher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe, sa vue, sa langue, sa main, etc. » Le Prophète veut dire : Celui qui tue son âme, son « proprium », c’est-à-dire celui qui se connaît, voit que toute son existence est Son existence. Il ne voit aucun changement en sa « nature intime » ou en ses « attributs ». Il ne voit aucune nécessité à ce que ses attributs deviennent les Siens. Car il a compris qu’il n’était pas lui-même l’existence de sa propre « nature intime », et qu’il avait été ignorant de son « proprium » et de ce qu’il était au fond. Lorsque tu prends connaissance de ce qu’est ton « proprium », tu es débarassé de ton dualisme, et sauras que tu n’es autre qu’Allah. Si tu avais une existence indépendante, une existence « autre qu’Allah », tu n’aurais pas à t’effacer ni à connaître ton « proprium ». Tu serais un Seigneur Dieu autre que Lui. Qu’Allah soit béni, de sorte qu’il n’y a pas de Seigneur Dieu autre que Lui.

L’intérêt de la connaissance du « proprium » consiste à savoir, mais à avoir la certitude absolue que ton existence n’est ni une réalité ni une nihilité, mais que tu n’es pas, que tu n’as pas été et que tu ne seras jamais. Tu comprendras clairement le sens de la formule : Il n’y a pas de Dieu si ce n’est le Dieu, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de Dieu autre que Lui, il n’y a pas d’existence autre que Lui, il n’y a pas d’autre que Lui, et il n’y a pas de dieu si ce n’est Lui.

Si quelqu’un objecte : « Tu abolis Sa Seigneurie », je réponds : Je n’abolis pas Sa Seigneurie, car Il ne cesse pas d’être Seigneur magnifiant, non plus qu’Il ne cesse d’être adorateur magnifié. Il ne cesse pas d’être Créateur, non plus qu’il ne cesse d’être créé. Il est maintenant tel qu’Il était. Ses titres de Créateur ou de Seigneur magnifiant ne sont point conditionnés par l’existence d’une chose créée ou d’un adorateur magnifié. Avant la création des choses créées, Il possédait tous Ses attributs. Il est maintenant tel qu’Il était. Il n’y a aucune différence dans son Unité, entre la création et la préexistence. Son titre de l’Extérieur implique la création des choses, comme Son titre de l’Occulte ou de l’Intérieur implique la préexistence. Son intérieur est Son extérieur ou Son expansif, Son évidence, comme Son extérieur est Son intérieur ; Son premier est Son dernier et Son dernier est Son premier ; le tout est unique et l’unique est tout. Il est qualifié : « Tous les jours Il est en l’état de Créateur Sublime ; rien autre que Lui n’était avec Lui ; Il est maintenant tel qu’Il était« . En réalité, autre-que-Lui n’a pas d’existence. Tel qu’Il était de toute éternité, tous les jours en l’état de Créateur Sublime. Il n’y a aucune chose avec Lui et aucun jour de création, à l’exclusion d’un autre, comme il n’y a dans la préexistence de chose ni de jour, car l’existence des choses ou leur néant est tout un. S’il n’en était pas ainsi, il aurait fallu la création de quelque chose de nouveau qui ne fût pas compris dans Son Unicité, ce qui serait absurde. Son titre de l’Unique Le rend trop glorieux pour qu’une pareille supposition fût vraie.

Lorsque tu peux voir ton « proprium » ainsi qualifié sans combiner l’Existence Suprême avec un adversaire, partenaire, équivalent ou associé quelconque, alors tu le connais tel qu’il est, c’est-à-dire tu le connais réellement. C’est pourquoi le Prophète a dit : « Celui qui connaît son « proprium » connaît son Seigneur ». Il n’a pas dit : « Celui qui éteint son « proprium » connaît son Seigneur ». Il sut et il vit qu’aucune chose n’est autre que Lui. Ensuite, il dit que le connaissance de soi-même du « proprium » de son âme, c’est là la Gnose ou la connaissance d’Allah. Connais ce que c’est que ton « proprium », c’est-à-dire ton existence ; connais qu’au fond tu n’es pas toi, mais que tu ne sais pas. Sache que ce que tu appelles ton existence n’est en réalité ni ton existence ni ta non-existence. Sache que tu n’es ni existant ni néant, que tu n’es pas autre qu’existant ou autre que néant. Ton existence et ta nihilité constituent Son Existence absolue, telle que l’on ne peut ni doit discuter si Elle est ou si Elle n’est pas. La substance de ton être ou de ton néant est Son Existence. Donc, lorsque tu vois que les choses ne sont pas autres que ton existence et la Sienne, et lorsque tu peux voir que la substance de Son être est ton être et ton néant dans les choses, sans toutefois voir quoi que ce soit avec Lui ou dans Lui, alors tu connais ton âme, ton « proprium ». Or, se connaître soi-même d’une telle manière, c’est là la Gnose, la connaissance d’Allah, au-dessus de toute équivoque, doute ou combinaison d’une chose temporaire avec l’éternité, sans voir que l’éternité ou par elle ou à côté d’elle autre chose que l’éternité.

Si quelqu’un demande : « Comment alors s’opère l’Union, puisque tu affirmes qu’autre-que-Lui n’est pas ? Une chose qui est unique ne peut s’unir qu’avec elle-même », la réponse est : En réalité, il n’y a ni union ni approchement. On ne peut parler d’union qu’entre deux, et non lorsqu’il s’agit d’une chose unique. L’idée d’union ou d’arrivée comporte l’existence de deux choses, analogues ou non. Analogues, ils sont semblables. S’ils ne sont pas analogues, ils se font opposition. Or, Allah — qu’Il soit exalté — est exempt de tout semblable ainsi que de tout rival, contraste ou opposant. Ce qu’on appelle ordinairement « union », proximité ou éloignement, ne sont point tels dans le sens propre du mot. Il y a union sans unification, approchement sans proximité, et éloignement sans aucune idée de loin ou de près.

Si quelqu’un demande : « Qu’est-ce que c’est que la jonction dans la jonction, la proximité dans la proximité, ou l’éloignement dans l’éloignement ? », la réponse est : Je veux dire que, dans l’état que tu appelles « proximité », tu n’étais pas autre que Lui — qu’Il soit exalté. Tu n’étais pas autre que Lui, mais tu ne connaissais pas ton « proprium » ; tu ne savais pas que tu étais Lui et non pas toi. Lorsque tu arrives à Allah, c’est-à-dire lorsque tu te connais toi-même « sans les lettres de la connaissance », tu connaîtras que tu es Lui, et que tu ne savais pas auparavant si tu étais Lui ou non. Lorsque la connaissance te sera arrivée, tu sauras que tu as connu Allah par Allah, non par toi-même. Prenons un exemple : supposons que tu ne sais pas que ton nom est Mahmûd, ou que tu dois être appelé Mahmûd — car le vrai nom et celui qui le porte sont, en réalité, identiques. Or, tu t’imagines que tu t’appelles Muhammad ; mais, après quelque temps d’erreur, tu finis par savoir que tu es Mahmûd et que tu n’as jamais été Muhammad. Cependant, ton existence continue comme par le passé, mais le nom Muhammad est enlevé de toi ; cela est arrivé parce que tu as su que tu es Mahmûd et que tu n’as jamais été Muhammad. Tu n’as pas cessé d’être Muhammad par une extinction de toi-même, car cesser d’exister suppose l’affirmation d’une existence antérieure. Or, qui affirme une existence quelconque hormis Lui, donne un associé à Lui — qu’Il soit béni, et que Son nom soit exalté. Dans notre exemple, Mahmûd n’a jamais rien perdu. Muhammad n’a jamais vécu dans Mahmûd, n’est jamais entré dans lui ou sorti de lui. De même Mahmûd par rapport à Muhammad. Aussitôt que Mahmûd a connu qu’il est Mahmûd et non Muhammad, il se connaît, c’est-à-dire il connaît son « proprium », cela par lui-même et non par Muhammad. Celui-là n’était pas. Comment aurait-il pu informer d’une chose quelconque ?

Donc, « celui qui connaît » et « ce qui est connu » sont identiques, de même que « celui qui arrive » et « ce à quoi on arrive », « celui qui voit » et « ce qui est vu » sont identiques. « Celui qui sait » est Son attribut ; « Ce qui est su » est Sa substance ou « nature intime ». « Celui qui arrive » est Son attribut ; « Ce à quoi on arrive » est Sa substance. Or, la qualité et ce qui la possède sont identiques. Telle est l’explication de la formule : Celui qui connaît, connaît son Seigneur. Qui saisit le sens de cette similitude comprend qu’il n’y a ni union, jonction ou arrivée, ni séparation. Il comprend que « Celui qui sait » est Lui, et que « Ce qui est su » est encore Lui. « Celui qui voit » est Lui ; « Ce qui est vu » est encore Lui. « Celui qui arrive » est Lui ; « Ce à quoi on arrive » dans l’union est encore Lui. Aucun autre que Lui ne peut se joindre à Lui ou arriver à lui. Aucun autre que Lui ne se sépare de Lui. Quiconque peut comprendre cela est tout à fait exempt de la grande idolâtrie.

La plupart des initiés qui croient connaître leur « proprium » ainsi que leur Seigneur et qui s’imaginent échapper aux liens de l’existence disent que la Voie n’est praticable ou même visible que par « l’extinction de l’existence » et par « l’extinction de cette extinction ». Ils ne dogmatisent ainsi que parce qu’ils n’ont point compris la parole du Prophète — qu’Allah prie sur lui et le salue. Comme ils ont voulu remédier à l’idolâtrie qui résulte de la contradiction, ils ont parlé tantôt de « l’extinction », c’est-à-dire celle de l’existence, tantôt de « l’extinction de cette extinction », tantôt de « l’effacement » et tantôt de « la disparition ». Mais toutes ces explications reviennent à l’idolâtrie pure et simple, car quiconque avance qu’il existe quoi que ce soit autre que Lui, laquelle chose s’éteint par la suite, ou bien parle de l’extinction de l’extinction de cette chose, un tel homme, disons-nous, se rend coupable d’idolâtrie par son affirmation de l’existence présente ou passée d’un autre que Lui. Qu’Allah — que Son nom soit exalté — les conduise, et nous aussi, dans le vrai chemin.

Vers : Tu pensais que étais toi. — Or tu n’es pas et tu n’as jamais existé. — Si tu étais toi, tu serais Le Seigneur, le second de deux ! — Abandonne cette idée. — Car il n’y a aucune différence entre vous deux par rapport à l’existence. — Il ne diffère pas de toi et tu ne diffères pas de Lui. — Si tu dis par ignorance que tu es autre que Lui, — Alors tu es d’un esprit grossier. — Lorsque ton ignorance cesse, tu deviens doux, — Car ton union est ta séparation et ta séparation est ton union. — Ton éloignement est une approche et ton approche est un départ. — C’est ainsi que tu deviens meilleur. — Cesse de faire des raisonnements et comprends par la lumière de l’intuition, — Sans quoi t’échappe ce qui rayonne de Lui. — Garde-toi bien de donner un partenaire quelconque à Allah, — Car alors tu t’avilis, et cela par la honte des idolâtres.

Si quelqu’un dit : « Tu prétends que la connaissance de ton « proprium » est la Gnose, c’est-à-dire la connaissance d’Allah — que Son nom soit exalté ; — l’homme est autre qu’Allah, dût-il connaître son « proprium » ; or, celui qui est autre qu’Allah, comment peut-il Le connaître ? Comment peut-il arriver jusqu’à Lui ? », la réponse est : « Qui connaît son « proprium » connaît son Seigneur ». Sache que l’existence d’un tel homme n’est ni la sienne, ni celle d’un autre, mais celle d’Allah sans une fusion quelconque de deux existences en une, sans que son existence entre dans Dieu, sorte de Lui, collatère avec Lui ou réside dans Lui. Mais il voit son existence telle qu’elle est. Rien n’est devenu qui n’ait pas existé auparavant, et rien ne cesse d’exister par un effacement, extinction ou extinction d’extinction. L’annihilation d’une chose implique son existence antérieure. Prétendre qu’une chose existe par elle-même signifie croire que cette chose s’est créée elle-même, qu’elle ne doit pas son existence à la puissance d’Allah, ce qui est absurde aux yeux et aux oreilles de tous. Tu dois bien noter que la connaissance que possède celui qui connaît son « proprium », c’est là la connaissance qu’Allah possède de Son « proprium », de Lui-même, car Son « proprium » n’est autre que Lui. Le Prophète — qu’Allah prie sur lui et le salue — a voulu désigner par « proprium » l’existence même. Quiconque est arrivé à cet état d’âme, son extérieur et son intérieur ne sont autres que l’existence d’Allah, la parole d’Allah ; son action est celle d’Allah, et sa prétention de connaître son « proprium » est la prétention à la Gnose, c’est-à-dire à la connaissance parfaite d’Allah. Tu entends sa prétention, tu vois ses actes, et ton regard rencontre un homme qui est autre qu’Allah comme tu te vois toi-même autre qu’Allah, mais cela ne provient pas du fait que tu ne possèdes pas la connaissance de ton « proprium ». Donc, si « le Croyant est le miroir du coryant » alors il est Lui-même par sa substance, ou par son œil, c’est-à-dire par son regard. Sa substance ou son œil est la substance ou l’œil d’Allah ; son regard est le regard d’Allah sans aucune spécification. Cet homme n’est pas Lui selon ta vision, ta science, ton avis, ta fantaisie, ou ton rêve, mais il est Lui selon sa vision, sa science et son rêve. S’il dit : « Je suis Allah », écoute-le attentivement, car ce n’est pas lui, mais Allah Lui-même qui par sa bouche prononce les mots : « Je suis Allah ». Mais tu n’es pas arrivé au même degré de développement mental que lui. Si tel était le cas, tu comprendrais sa parole, tu dirais comme lui et tu verrais ce qu’il voit.

Résumons : l’existence des choses est Son existence sans que les choses soient. Ne te laisse pas égarer par la subtilité ou l’ambiguïté des mots, de sorte que tu t’imagines qu’Allah soit créé. Certain initié a dit : « Le çûfî est éternel », mais il n’a parlé ainsi que depuis que tous les mystères lui ont été dévoilés et que tous les doutes ou supersitions ont été dispersés. Cependant, cette immense pensée ne peut convenir qu’à celui dont l’âme est plus vaste que les deux mondes. Quant à celui dont l’âme n’est qu’aussi grande que les deux mondes, elle ne lui convient pas. Car, en vérité, cette pensée est plus grande que le monde sensible et le monde hypersensible, tous les deux pris ensemble.

Enfin, sache que « Celui qui voit » et « Ce qui est vu », que « Celui qui fait exister » et « Ce qui existe », que « Celui qui connaît » et « Ce qui est connu », que « Celui qui crée » est « Ce qui est créé », que « Celui qui atteint par la compréhension » et « Ce qui est compris » sont tous Le-même. Il voit Son existence par Son existence, Il la connaît par elle-même et Il l’atteint par elle-même, sans aucune spécification, en dehors des conditions ou formes ordinaires de la compréhension, de la vision ou du savoir. Comme Son existence est inconditionnée, Sa vision de Lui-même, Son intelligence de Lui-même et Sa science de Lui-même sont également inconditionnées.

Si quelqu’un demande : « Comment regardez-vous ce qui est repoussant ou attrayant ? Si tu vois par exemple une saleté ou une charogne, est-ce que tu dis que c’est Allah ? », la réponse est : Allah est sublime et pur, Il ne peut être ces choses. Nous parlons avec celui qui ne voit pas une charogne comme une charogne ou une ordure comme une ordure. Nous parlons aux voyants, et non aux aveugles. Celui qui ne se connaît pas est un aveugle, né aveugle. Avant que cesse son aveuglement, naturel ou acquis, il ne peut comprendre ce que nous voulons dire. Notre discours est avec Allah, et non avec autre que Lui, ou avec des aveugles-nés. Celui qui est arrivé à la station spirituelle qu’il est nécessaire d’avoir atteint pour comprendre, celui-là sait qu’il n’y a rien qui existe, hormis Allah. Notre discours est avec celui qui cherche avec ferme intention et parfaite sincérité à connaître son « proprium » au nom de la connaissance d’Allah — qu’Il soit exalté — lequel, en son cœur, garde en toute sa fraîcheur la forme dans sa demande et dans son désir d’arriver à Allah. Notre discours n’est pas adressé à ceux qui n’ont ni intention ni but.

Si quelqu’un objecte : « Allah — qu’Il soit béni et saint — a dit : Les regards ne peuvent L’atteindre, mais Lui, Il atteint les regards (Coran, VI, I03) ; toi, tu dis le contraire ; où est la vérité ? », la réponse est : Tout ce que nous avons dit revient à la parole divine : Les regards ne peuvent l’Atteindre, c’est-à-dire ni personne, ni les regards de qui que ce soit ne peuvent L’atteindre. Si tu dis qu’il y a dans ce qui existe un autre que Lui, tu dois convenir que cet autre que Lui puisse L’atteindre. Or, dans cette partie de Sa parole arabe : « les regards ne peuvent L’atteindre », Allah avertit le croyant qu’il n’y a pas un autre que Lui. Je veux dire qu’un autre que Lui ne peut L’atteindre, mais celui qui L’atteint, c’est Lui, Allah, Lui et aucun autre. Lui seul atteint et comprend Sa véritable « nature intime », pas un autre. Les regards ne L’atteignent pas, car ils ne sont autre chose que Son existence.

À propos celui qui dit que les regards ne peuvent L’atteindre, car ils sont créés, et le créé ne peut atteindre l’incréé ou l’éternel, nous disons que cet homme ne connaît pas encore son « proprium ». Il n’y a rien, absolument rien, regards ou autres choses, qui existe hormis Lui, mais Il comprend Sa propre existence sans toutefois que cette compréhension existe d’une façon quelconque.

Vers : J’ai connu mon Seigneur par mon Seigneur sans confusion ni doute. — Ma « nature intime » est la Sienne, réellement, sans manque ni défaut. — Entre nous deux il n’y a aucun devenir, et mon âme est le lieu où le monde occulte se manifeste. — Depuis que je connus mon âme sans mélange ni trouble, — Je suis arrivé à l’union avec l’objet de mon amour sans qu’il y ait plus de distances entre nous, ni longues ni courtes. — Je reçois des grâces sans que rien descende d’en haut vers moi, sans reproches, et même sans motifs. — Je n’ai pas effacé mon âme à cause de Lui, et elle n’a eu aucune durée temporelle pour être détruite après.

Si quelqu’un demande : « Tu affirmes l’existence d’Allah et tu nies l’existence de quoi que ce soit hormis Lui ; que sont donc ces choses que nous voyons ? », la réponse est : Ces discussions s’adressent à celui qui ne voit rien hormis Allah. Quant à celui qui voit quelque chose hormis Allah, nous n’avons rien avec lui, ni question ni réponse, car il ne voit que ce qu’il voit ; tandis que celui qui connaît son « proprium » ne voit pas autre chose qu’Allah en tout ce qu’il voit. Celui qui ne connaît pas son « proprium » ne voit pas Allah, car tout récipient ne laisse filtrer que de son contenu. — Nous nous sommes déjà beaucoup étendu sur notre sujet. Aller plus loin serait inutile, car celui qui n’est point fait pour voir ne verra pas davantage au moyen de nos efforts. Il ne comprendra pas et ne pourra atteindre la vérité. Celui qui peut voir, voit, comprend et atteint la vérité d’après ce que nous avons dit. À celui qui est hyperconsciemment arrivé, il suffit d’une légère indication pour qu’à cette lumière il puisse trouver la vraie Voie, marcher avec toute son énergie et arriver au but de son désir, avec la grâce d’Allah.

Qu’Allah nous prépare à ce qu’Il aime et agrée en fait de paroles, d’actes, de science, d’intelligence, de lumière et de vraie direction. Il peut tout, et Il répond à toute prière par la juste réponse. Il n’y a de moyens et de pouvoir qu’auprès d’Allah, le Très-Haut, l’Immense. Qu’Il prie sur la meilleure de Ses créatures, sur le Prophète ainsi que sur tous les membres de sa famille. Amen.

par le 9 novembre 2012, mis à jour le 6 janvier 2013