« Les nuits du cheminement (sulûk) vers Allah » – Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn Ibrâhîm

Dans cet extrait d’Al-Bayt al-Mohammedî, le Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn Ibrâhîm fait correspondre symboliquement les nuits bénies de l’année islamique aux principales étapes du cheminement spirituel. Ces correspondances se basent notamment sur une doctrine des « déterminations qualitatives du temps » 1 dont l’importance du point de vue initiatique est fondamentale et qui prend son origine dans le Noble Coran et la Sunnah la plus pure. En effet,  chacune des nuits évoquées correspond à une ou plusieurs sourates révélées à l’occasion d’épisodes marquants de la geste prophétique (sirah).

En ce sens, nous indiquons en note les principaux versets coraniques 2 qui s’y rapportent et donnons pour chacune des nuits mentionnées dans le texte, un ensemble de données  traditionnelles complémentaires afin de mettre ensuite en évidence les correspondances profondes et parfois très précises, existant entre la geste prophétique, le Coran et la « technique » de l’initiation islamique telle qu’elle ressort des indications données par le Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm. L’étude de ces correspondances, qui sont par ailleurs loin d’être exhaustives, nous semble en effet susceptible d’offrir une aide effective à l’initié dans son cheminement et, en quelque sorte, une « cartographie » de celui-ci comme nous essaierons de le montrer dans notre commentaire, in châ Allah !

Laylatu-l-Isrâ’ wa-l-Mi’râj 1434

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photo 2

Les nuits du cheminement (sulûk) vers Allah

A tout murîd [correspond] une nuit d’ « ouverture » (fath3 , une nuit de « voyage nocturne » (isrâ’) et une nuit de « valeur » (qadr) : la nuit de l’ « ouverture » 4 est la nuit du rattachement (‘ahd) et de la réconciliation (çulh) avec Allah, la nuit du « voyage nocturne » 5 est la nuit du commencement de la pratique opérative (at-tatbîq al-‘amalî) en vue de l’adoration ainsi que de la persistance dans les convenances de la Voie (âdâb at-Tarîqah) et ses usages traditionnels (taqâlîd6 quant à la nuit de la « valeur » 7 c’est la nuit du rapprochement (al-qurb) vers Allah ou la nuit de l’arrivée (alwuçûl), si Allah veut8 !

 

Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn Ibrâhîm

Notes du traducteur

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Texte commenté

A tout murîd [correspond]* une nuit d’ « ouverture » (fath) , une nuit de « voyage nocturne » (isrâ’) et une nuit de « valeur » (qadr) **

 – Commentaire :

* L’énoncé initial « A tout murîd » exprime une constante nécessaire dans la Voie, inhérente à l’état du murîd qui la parcourt jusqu’à son terme. Dans une autre version de cet enseignement celui-ci débute par la formule « A tout cheminant (sâlik) ».

** On remarquera dès maintenant que l’ordre dans lequel ces nuits sont mentionnées est « inversé » par rapport à celui attesté par la chronologie traditionnelle de la geste prophétique et, plus particulièrement, de la « descente » coranique qui commence lors de la Nuit de la « valeur » et s’achève quelques années après à la conquête (al-fath) de la Mekke. Entre ces deux événements se situe, à dix ans d’écart de chacun (selon la chronologie habituelle), le « voyage nocturne ». Le cheminement spirituel du murîd peut ainsi être décrit comme une « remontée » du cycle temporel, conformément aux indications données par René Guénon, notamment dans ses Aperçus sur l’Initiation (Chap. XXXIX) et La Grande Triade (Chap. XVII), et sur lesquelles nous reviendrons plus loin, in châ Allah !

La nuit de l’ « ouverture » (al-fath) est la nuit du rattachement (‘ahd) et de la réconciliation (çulh) avec Allah,

– Données traditionnelles :

  • Dans la geste prophétique, la nuit de l’ « ouverture » (al-fath) par excellence est celle qui a vu la conquête (al-fath) par les musulmans de la ville sacrée de la Mecque, le 10 du mois de Ramadhân de l’an 8 de l’hégire.
  • Dans cette nuit, un des plus grands ennemis de l’Islam, Abû Sufyân ibn Harb, se repentit et entra en islam – qu’Allah soit Satisfait de lui.
  • Durant la journée qui suivit immédiatement, sa propre femme, Hind et son esclave Wahchî – à qui elle avait confié la tâche de tuer Seyyidnâ Hamza, l’oncle du Prophète, le seigneur des Martyrs (seyyid ach-Chuhadâ’) – ainsi que de nombreux polythéistes mecquois se convertirent et firent le pacte (bay’ah) avec le Prophète sur la colline de Çafâ.
  • Ce jour vit aussi la destruction des idoles par le Prophète, montée sur sa chamelle, les renversant tour à tour de son bâton (ou de la pointe de son arc) en récitant les versets suivants : « «La vérité est venue et l’erreur a disparu. Car l’erreur est toujours destinée à disparaître.» (Coran, 17:81)
  • Enfin celui-ci déclara, se positionnant à l’encontre d’un des compagnons qui avait dit «Aujourd’hui est un jour de guerre! Il n’y a pas de sanctuaire (haram), Allah a humilié Quraych!» : «Non! Aujourd’hui est un jour de clémence et de pardon. Aujourd’hui, Allah honorera Quraych et élèvera la gloire du Sanctuaire (Haram).»
  • Cette victoire fut annoncée de manière prémonitoire par la révélation de la sourate justement intitulé Al-Fath et que le Prophète reçu à Hudaybiyyah, lorsqu’il fut contraint de signer un pacte de non agression avec les polythéistes et de renoncer à effectuer le petit pèlerinage pour lequel il s’était mis en marche. «En vérité, Nous t’avons accordé une victoire éclatante afin qu’Allah te pardonne tes péchés, passés et futurs, qu’Il parachève sur toi Son bienfait, te guide sur une voie droite et te donne un puissant secours. (Coran, 48:1-3). En ce jour eu lieu le pacte (bay’ah) prototypique entre le Prophète et ses compagnons qui sert de base législative à celui pratiqué par les gens du Taçawwuf. Cet évènement est ainsi commémoré dans la sourate Al-Fath : «Allah a très certainement agréé les croyants quand ils ont pris le Pacte avec toi sous l’arbre. Il a su ce qu’il y avait dans leurs cœurs et a fait descendre sur eux la Paix (Sakînah). Et Il les a récompensés par une victoire (fathan) proche.» (Coran, 48:18)
  • Certaines traditions prophétiques (ahâdith) indiquent que celui qui lit cette sourate reçoit la récompense de ceux qui étaient auprès du Prophète lors de la conquête de la Mecque ainsi que celle des croyants qui ont pris le Pacte avec lui sous l’arbre de l’Agréément  ((Cf. Khazînatu-l-Asrâr, chapitre des mérites de la sourate al-Fath.)) .
  • Une autre sourate fut révélée en rapport à la Conquète de la Mecque, il s’agit de la Sourate An-Naçr (La Victoire, parfois appelée elle aussi Al-Fath) qui fût la dernière révélée au Prophète ﷺ: «Lorsque vient le secours d’Allah ainsi que la victoire, et que tu vois les gens entrer en foule dans la religion d’Allah, célèbre les louanges de ton Seigneur et demande-Lui pardon. Lui, en vérité, accueille tout repentir.» (Coran, 110).

V4 – 12 avril 2016

la nuit du « voyage nocturne » *  est la nuit du commencement de la pratique opérative (at-tatbîq al-‘amalî) en vue de l’adoration ainsi que de la persistance dans les convenances de la Voie (âdâb at-Tarîqah) et ses usages traditionnels (taqâlîd)**

– Commentaire :

Dans une autre version de cet enseignement, cette nuit du « voyage nocturne » intègre également les réalités propre à la nuit « de l’ouverture » (cf. supra) :

« la nuit de ton voyage nocturne est celle où tu te rattaches à ton Seigneur en délaissant les actes interdits (muharamât) tout en accomplissant les actes d’obéissance (tâ’ât), en elle tu empruntes le Burâq *** du repentir (tawbah), du dhikr et de l’adoration ainsi Allah te fera voyager (fâ-yasry-Allah) par lui (bi-hi9 des ténèbres à la Lumière et du voile (hijab) à la Proximité (Qurb) jusqu’à ce que tu arrives (taçâdafa-Hu) à Lui ».

* Si le Cheikh mentionne uniquement ici le « voyage nocturne », à l’exclusion de l’Ascension (mi’râj) qui lui succède dans la geste prophétique, c’est certainement que dans cette perspective microcosmique, l’Ascension et plus particulièrement son aboutissement coïncident avec la nuit de « la valeur » comme nous le verrons plus loin, in châ Allah. Ceci est d’ailleurs tout à fait cohérent avec la mention du Bûraq *** qui, dans les données traditionnelles reproduites notamment ci-dessous, est chevauché par le Prophète uniquement lors de l’Isrâ, de la Mecque à Jérusalem (Quds). Sous ce rapport, les derniers mots de la seconde version de l’enseignement du Cheikh constitue une anticipation, ou un reflet, de l’aboutissement final du cheminement.

** Il y a un intérêt certain à considérer les données traditionnelles relatives au voyage nocturne sous l’angle des pratiques et des convenances propres au début la Voie qui ont pour but d’orienter, d’élever mais aussi de protéger l’être des déviations dans les prémices de son cheminement. Cette étape du cheminement, qui correspond précisément à celle des « petits mystères » évoqués par René Guénon, est en effet celle où l’être peut encore être dévié de la Voie car il n’a pas encore « pénétré dans le domaine des principes, suffisamment tout au moins pour avoir reçu la direction intérieure dont il n’est plus possible de s’écarter jamais » 10 .

 

A suivre … in châ Allah !

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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant

GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)

  1. Cf. René Guénon, Le Règne de la quantité et les signes des temps, Chap. V. []
  2. Concernant les traductions du Coran, nous utilisons en général celle de Jean-Louis Michon, parfois modifiée. Certaines sont de notre fait, afin de mettre en avant certains aspects du texte coranique en rapport avec le présent sujet. []
  3. Ou encore de « victoire » ou de « conquête ». On se rappellera à ce propos que René Guénon définit à plusieurs reprises le processus initiatique comme une « conquête » et dans ses « Aperçus sur l’Initiation » (Chap. XXV) il précise qu’il s’agit de « la conquête de la Lumière divine qui est l’unique essence de toute spiritualité ». A ce propos de la « Lumière divine » cf. notamment les Notions générales sur la Lumière (Nûr) et L’illumination initiatique de Luc de la Hilay. []
  4. Cf. Coran S. 48 et 110. []
  5. Cf. Coran S. 17. []
  6. Ce terme désigne ce qui est acquis positivement par imitation traditionnelle (taqlîd). Cette imitation revêt un sens négatif lorsqu’elle ne repose sur aucun fondement traditionnel régulier, dans ce cas il s’agit d’une imitation « aveugle ». []
  7. Cf. Coran S. 97. []
  8. Ou « à ce qu’Allah veut » selon une variante figurant dans une autre édition. []
  9. « Par lui », c’est-à-dire le Burâq, mais on peut aussi comprendre par Lui (bi-Hi), Allah. []
  10. Orient et Occident, l’accord sur les Principes. []

par le 5 juin 2013, mis à jour le 30 mars 2017

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