Les règles juridiques selon l’école malékite – Cheikh Ben Bayyah (Anass Tigra)
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« Dans cette phase [historique] dans laquelle nous vivons, nous sommes appelés à revivifier (tajdîd) la jurisprudence (fiqh) afin de pouvoir accompagner la marche de l’humanité dans un monde qui a changé depuis l’atome à l’espace. La règle seule, ou plutôt le principe général, reste la seule manière de nous confronter à ces bouleversements. Les cas juridiques détaillés ne peuvent rien devant les bouleversements. »
Cheikh Ben Bayyah
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Commentaire
La démarche de revivification ou de rénovation (tajdîd) à laquelle appelle le Cheikh Ben Bayyah vise en premier lieu à permettre l’adaptation et la transmission de la science juridique dans une phase cyclique nouvelle, caractérisée par un changement cosmique radical.
La constitution ou le développement d’une « codification » davantage adaptée aux temps nouveaux peut apparaître parfois à certains comme un formalisme extérieur asséchant ou encore comme une concession faite à une certaine mentalité réformiste moderne. L’intervention du Cheikh montre au contraire qu’une telle réforme est traditionnellement possible et même nécessaire, à la condition expresse de respecter les modes d’extraction traditionnellement établis qui sont ceux-là même qui ont permis la « codification » en tant que telle des sciences islamiques sous la forme où nous les connaissons aujourd’hui, à partir de la disparition du Prophète ﷺ, en s’appuyant sur le dépôt originel du Coran et de la Sunnah.
On ne manquera pas de remarquer ici le parallèle évident entre cette démarche et l’appel du Cheikh Ben Bayyah à renouveler le Taçawwuf dont nous avons rendu compte récemment. Dans cette perspective, le recours aux Qawâ’id at-Taçawwuf de l’imam Zarrûq prend tout son sens car cet auteur est le premier à s’être employé à « codifier » la science du Taçawwuf, en ramenant à ses principes fondamentaux (uçûl) l’expérience (tajarrub) soufie des maîtres consignée notamment dans les manuels anciens du Taçawwuf islamique. Avec les Qawâ’id, on passe en effet d’une science véhiculée surtout sous forme d’aphorismes et d’historiettes ainsi que de traités relatifs aux étapes (manâzîl), vertus (akhlâq) et définitions (istilahât) de la Voie, susceptibles de changement selon les maîtres et les époques, à une classification universelle des fondements du Taçawwuf tout entier.
Transposant un usage répandu dans les sciences traditionnelles extérieures, les « rénovateurs » (mujaddidîn) qui ont eu pour charge de réaliser cette tâche dans le Taçawwuf sont désignés par le terme d’uçûliyyin (sing: uçûlî), probablement à la suite du cheikh Zarrûq lui-même qui, dans ses Qawâ’id, utilisant ce terme d’uçûlî pour désigner le type spirituel du châdhilî ; or on sait qu’il était lui-même un membre éminent et un maître de la Châdhiliyyah 1 .
Ceci dit, la démarche à laquelle appelle le Cheikh Ben Bayyah pour le fiqh, et à laquelle il travaille lui-même depuis de longues années – qu’Allah le préserve, semble avoir été réalisée pour le Taçawwuf dans une large mesure par le Cheikh Zarrûq lui-même2 . Peu diffusée dans les milieux contemporains du Taçawwuf, peu commentée également, son œuvre mériterait d’être davantage étudiée et assimilée pour qu’une adaptation de ces principes aux temps présents puisse être envisagée de manière efficiente.
Il y aurait lieu de considérer également toutes les autorités qui, d’une manière ou d’une autre, se sont engagées dans une telle démarche3 ; mentionnons en particulier l’œuvre de l’Imam Cha’rânî qui présente des points de rapprochements significatifs avec celle de son contemporain direct de même que les écrits de René Guénon concernant les règles de l’initiation4 .
Dans le prolongement de l’intervention du cheikh Ben Bayyah, il nous apparaît effectivement que seule la compréhension profonde et la mise en œuvre « actualisée » des règles traditionnelles de l’Islam en général et du Taçawwuf en particulier pourront permettre de garder vivant, en nous et dans le monde, l’Esprit qui anime le Dîn tout entier – bi idhni-Llah.
w’Allah a’lam !
Mostafâ Mansûr (M.L.B.)
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{ وَإِذْ يَرْفَعُ إِبْرَٰهِيمُ ٱلْقَوَاعِدَ مِنَ ٱلْبَيْتِ وَإِسْمَٰعِيلُ رَبَّنَا تَقَبَّلْ مِنَّآ إِنَّكَ أَنتَ ٱلسَّمِيعُ ٱلْعَلِيمُ }
Pendant qu’Abraham et Ismaël élevaient les fondations (qawâ’id) de la Maison [ils adressèrent cette prière] : » Notre Seigneur ! Accepte cela de notre part ; Tu es Celui qui entend tout, l’Omniscient.
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Articles connexes :
Règles de l’Initiation (Qawâ’îd et-Taçawwuf) – Ahmed Zarruq
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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant :
GÉNÉRALITÉS SUR LES RÈGLES DE L’INITIATION
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- Ce rapprochement typologique avec la Chadhiliyyah nous paraît tout à fait significatif si l’on envisage le rôle axial que joue celle-ci pour la fin du cycle de la présente humanité, chaque fin de cycle étant par définition en rapport avec son origine (açl, plur. uçûl). [↩]
- Ce point n’est évidemment pas sans rapport avec les considérations émises dans la note précédente [↩]
- Cf. notamment les textes présentés dans notre rubrique consacrée au qawâ’id, âdâb et shurût du Taçawwuf islamique. [↩]
- A ce propos voir notamment la fin de notre compte-rendu sur l’hommage du Cheikh Ussâmah al-Azharî au Cheikh Abd el-Wâhid-Guénon. [↩]
par Maurice Le Baot le 4 décembre 2015, mis à jour le 14 janvier 2016
Mots clés : Anass Tigra, Charani, Fiqh, Mujâddid-Rénovateur, Règles de l'initiation-taçawwuf, René Guénon, Vidéo, Zarrûq