L’extinction dans les Actes, les Noms et l’Essence [LH]
Cet article est extrait d’une étude plus conséquente sur la « Prière de la Lumière Essentielle » (en-nûr edh-dhâtî) du Cheikh Abû el-Hasan el-Châdhilî
Le ternaire constitué de l’Essence, des Attributs (ou Noms) et des Effets peut être rapproché d’un autre triptyque à propos duquel M.Vâlsan établit les correspondances suivantes dans son commentaire des Ta’wilât el-Qur’ân d’Abd el-Razzâq Qâchânî 1 :
Selon Qâchânî, l’être devra successivement s’affranchir des conditions limitatives des domaines de la manifestation sensible et de la manifestation subtile (ou informelle), symboliquement désignés par le Paradis des Actes et des Attributs, pour finalement s’identifier à l’Essence. Dans la perspective initiatique, c’est donc avant tout sous le rapport de l’ « extinction » progressive (fanâ) de l’être à leur égard que ces domaines sont envisagés, comme en témoigne son interprétation ésotérique du dernier verset de la sourate al-‘Alaq :
« Et prosterne-toi », par une prosternation extinctive, dans la prière faite en état de présence (à Dieu) ! « Et rapproche-toi » 2 de Lui par extinction dans les Actes divins (Af’âl), ensuite dans les Attributs divins (çifât), et enfin dans l’ « Essence » (Dhât) c’est-à-dire, maintiens-toi en l’état d’extinction complète dans la station de la rectitude (al-istiqâmah) et de l’exhortation prophétique (ad-Da’wah), jusqu’à ce que tu te trouves dans la station de « la permanence par Lui » (al-baqâ bi-Hi), éteint à toi-même, et jusqu’à ce que n’apparaisse plus en toi d’ « altération » (talwîn) due à la persistance de quelqu’imperfection dans l’un ou l’autre des trois domaines (des Actes, des Attributs et de l’Essence) 3 ».
Le texte continue de la façon suivante :
« C’est pourquoi le Prophète – sur lui le salut – disait pendant cette « prosternation » : « Je me réfugie dans Ton absolution contre châtiment » – c’est-à-dire dans un acte à Toi contre un autre acte à Toi – « et je me réfugie dans Ton agrément contre Ta colère », – c’est-à-dire dans un attribut à Toi contre un autre attribut à Toi – « et je me réfugie en Toi contre Toi – c’est-à-dire en Ton Essence contre Ton Essence. Et c’est cela le sens du « rapprochement » qu’il devait chercher par la prosternation ».
Sous le même rapport, René Guénon écrit :
« En toute rigueur, les différences initiales s’effacent, avec l’« individualité » elle-même (el-inniyah de ana, « moi »), c’est-à-dire quand sont atteints les états supérieurs de l’être et quand les attributs (çifât) d’el-abd, ou de la créature, qui ne sont proprement que des limitations, disparaissent (el-fanâ ou l’ « extinction ») pour ne laisser subsister que ceux d’Allah (el-baqâ ou la « permanence), l’être étant identifié à ceux-ci dans sa « personnalité » ou son « essence » (edh-dhât) » 4 .
Enfin, et par souci de cohérence avec l’objet de notre étude, voyons comment Cheikh Ibn ‘Atâ’ Allah exprime cette progression initiatique « prototypique » dans ses Hikâm :
« Par l’existence de Ses effets (athâr), il indique Ses Noms (Asmâ)
Par l’existence de Ses Noms, il affirme Ses Attributs (Awçâf)
Par l’existence de Ses Attributs, Son Essence (Dhât)
Car il est impossible que l’Attribut subsiste par lui-même
Or, aux ravis (arbâb el-jadhb), Il dévoile la perfection de Son Essence
Puis les renvoie à la contemplation de Ses Attributs
Puis les ramène à l’attachement à Ses Noms
Puis les renvoie à la contemplation de Ses Effets
Ceux qui suivent une voie de réalisation « normale » (sâlikûn) 5 sont à l’inverse de cela
Et l’aboutissement pour ces derniers est le point de départ pour les ravis : mais avec une signification différente
Il se peut qu’ils se rencontrent sur la Voie (Tarîq)
Les uns montant, les autres descendants.
Article précédent : Les Traces (Athâr)
Article suivant : Représentation graphique de la Ulûhiyah, des Noms-Attributs et des Traces
- Commentaire de la Fâtiha – Etudes Traditionnelles, mars-avril 1963, n° 376, M. Vâlsan. [↩]
- Le texte coranique est : « wa-sjud wa-qtarib » (XCVI ; 19). [↩]
- M. Vâlsan, ET n°414, juillet-août 1969. [↩]
- René Guénon, Aperçus sur l’Esotérisme Islamique et le Taoïsme, chap. I. [↩]
- Nous traduisons ici sulûk par voie de réalisation « normale », pour la différencier du cas spirituel des majdhûbîn, moins fréquent. [↩]
par Luc de la Hilay le 18 août 2019, mis à jour le 7 septembre 2019