Notions châdhilies sur le centre du cercle (markaz ed-dâ’irah) – L.D.L.H.
Cet article est issu de notre étude intitulée « Commentaire de la prière sur le Prophète » de la Lumière Essentielle » (en-Nûr edh-dhâtî), dont la dernière version au format PDF est disponible sur le Porteur de Savoir
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Notions châdhilies sur le centre du cercle (markaz ed-dâ’irah)
Du verset coranique « soyez Seigneuriaux (kûnû rabbaniyyin),
vous qui enseignez (tu’allimûna) le livre » 1 , Ibn ‘Ata’ Allah considère trois lectures possibles, selon trois vocalisations régulières de la racine consonantique T-’-L-M-U-N, qu’il fait correspondre à trois degrés de « science ». Or selon lui, la « science est lumière en son essence (‘ilm nûr fî dhâtihi), et celui qui la met en application (‘amal) devient lumineux en lui-même et pour les autres (nûranî fî dhâtihi wa li-ghayrihi) » 2 . Ce qu’il y a de plus remarquable est qu’il affirme, à la suite, que le sens véritable du terme coranique « Seigneuriaux » (rabbaniyyin) est « Ceux-qui-revêtent-les-Caractères (mutakhallaqîn) », c’est-à-dire, comme nous l’avons vu plus précédemment 3 , ceux qui réalisent effectivement la science théorique des Noms et des Attributs divins. Nous pouvons en déduire que celui qui, ayant parfaitement réalisé les Noms, et donc parvenu au centre de la figure symbolique que nous avons décrite dans l’article sur la réalisation initiatique des Noms, illumine dès lors cette dernière en tant qu’il est « lumineux en lui-même et pour les autres ».
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Après avoir rappelé certains noms par lesquels le Prophète est désigné dans le Coran, le Cheikh dit qu’ « Allah a parfait en lui l’ensemble des nobles caractères » (Akmal-Allah lahu jamiy’a el-akhlaq el-karîm) par sa parole: « En vérité, tu es selon des caractères immenses » (Kulûqin a‘dhîm) 4 . Cet aspect de la réalité mohammédienne (Haqîqat el-mohamediyyah) bien connu de l’ésotérisme islamique, se retrouve notamment dans les noms de « Présence des Noms et des Attributs » (Hadratu-l-Asmâ wa-ç-çifât) et de « Réalité essentielle des Noms » (Haqîqat-l-asmâ’iyya) par lequel certains maitres désignent le Prophète 5 .
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Revenons maintenant à notre figure symbolique 6 pour y clarifier l’indétermination que nous avions jusqu’ici laissée en suspens. Si nous avons dit que le point central n’était pas véritablement le symbole de la Ulûhiyah mais plutôt son reflet7, c’est que celle-ci, en tant que principe de la manifestation, doit nécessairement être non-manifestée, c’est-à-dire non représentée dans notre figure qui symbolisme le monde. Or n’est-ce pas Allah Lui-même qui affirme Son reflet dans la réalité de Son Prophète lorsqu’ Il dit : « Quiconque obéit à l’Envoyé obéit à Allah » 8 , « ce n’est pas toi qui a lancé, lorsque tu as lancé, mais c’est Allah qui a lancé» 9 ou encore « en vérité, ceux qui te prêtent un serment d’allégeance ne font que prêter serment à Allah » 10 ? C’est d’ailleurs probablement là qu’il faut chercher la signification profonde de plusieurs noms ésotériques du Prophète, et notamment, pour ce qui nous concerne directement, celle de « Centre du cercle » (markaz el-dâ’irah) 11.
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Il résulte immédiatement de cette identification du point central au Prophète en tant que Rûh el-muhammadiyah que cette dernière doit non seulement appartenir, mais se situer au cœur même du domaine de la manifestation informelle ou du monde du Commandement (‘alam el-Amr) selon les deux terminologies que nous avons vues plus haut. Et en effet, nous savons bien que « l’Esprit fait partie du Commandement (el-Rûh min el-Amr) » 12 et que par ailleurs le monde spirituel (el ‘alam el-rûhanî) qui est aussi celui des Idées pures (al-Ma’ânî) est identique au Commandement divin (el-Amr) » 13 .
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Enfin, nous ne pouvons manquer de citer ce passage de Guénon, dont la parfaite cohérence avec tout ce qui précède achèvera de compléter la présentation de ces quelques notions : « Selon la tradition islamique également, la première création est celle de la Lumière (En-Nûr), qui est dite min amri’Llah, c’est-à-dire procédant immédiatement de l’ordre ou du commandement divin ; et cette création se situe, si l’on peut dire, dans le « monde », c’est-à-dire l’état ou le degré d’existence, qui, pour cette raison, est désigné comme âlamul-amr, et qui constitue à proprement parler le monde spirituel pur. En effet, la Lumière intelligible est l’essence (dhât) de l’ « Esprit » (Er-Rûh), et celui-ci, lorsqu’il est envisagé au sens universel, s’identifie à la Lumière elle-même ; c’est pourquoi les expressions En-Nûr el-muhammadî et Er-Rûh el-muhammadiyah sont équivalentes, l’une et l’autre désignant la forme principielle et totale de l’ « Homme Universel », qui est awwalu khalqi’Llah, « le premier de la création divine ». C’est là le véritable « Cœur du Monde », dont l’expansion produit la manifestation de tous les êtres, tandis que sa contraction les ramène finalement à leur Principe ; et ainsi il est à la fois « le premier et le dernier » (el-awwal wa el-akher) par rapport à la création, comme Allah Lui-même est « le Premier et le Dernier » au sens absolu. « Cœur des cœurs et Esprit des esprits » (Qalbu-qulûbi wa Rûhul-arwâh), c’est en son sein que se différencient les « esprits » particuliers, les anges (el-malâïkah) et les « esprits séparés » (el-arwâh el-mujarradah), qui sont ainsi formés de la Lumière primordiale comme de leur unique essence, sans mélange des éléments représentant les conditions déterminantes des degrés inférieurs de l’existence » 14.
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Voilà donc la figure complète, synthétisant la quasi-totalité des notions qu’il faudra avoir présentes à l’esprit pour aborder nos conclusions, et comprendre en quoi la prière sur le Prophète de la « Lumière Essentielle » du Cheikh Abû el-Hassan est, selon nous, un outil initiatique particulièrement digne de considération pour l’être engagé dans une voie de réalisation initiatique.
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Mais juste avant cela, nous allons encore voir comment toutes les données sur la çalat en-Nûr edh-Dhatî que nous avons présentées jusqu’ici se trouvent contenues, et nous serions même tentés de dire « enveloppées », dans le Sceau du Cheikh Abû el-Hassan que l’on nomme communément la Dâ’ïrah.
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- [III ; 79]. Ces trois variations sont « vous connaissez (ta’lamûn) », « on vous enseigne ou fait connaitre ( tu’allamûn) » et « vous enseignez (tu’allimûn ) », c’est-à-dire, « sa science, son acquisition de la science, et son enseignement ». [↩]
- « La science est stérile mais donne des bénéfices quand elle est mise en application » dit le Cheikh, en faisant ainsi implicitement référence au hadith prophétique : « celui qui pratique ce qu’il a déjà appris, Allah lui enseigne ce qu’il ne sait pas (man ‘amila bi ma ‘alima, ‘alama ma lam ya’lam) ». [↩]
- Cf. Notions châdhilies sur la réalisation initiatique des Noms [↩]
- [LXVIII ;4] [↩]
- L’Emir Abd el-Qadir notamment dans son Kitâb el-mawâqif et Jurjanî dans Kitâb et-ta’rîfât. [↩]
- Cf. Notions châdhilies sur la réalisation initiatique des Noms [↩]
- voir….. [↩]
- [IV ; 80] [↩]
- [VIII ; 17] [↩]
- [XXXXVIII ; 10] [↩]
- mentionnée par l’émir Abd el-Qader entre autres [↩]
- [XVII ; 85]. [↩]
- Chap. 20 des Fûtûhat, traduction de M. Valsân, « Sur la Science propre à Jésus », Etudes Traditionnelles n° 424-425. [↩]
- Aperçus sur l’initiation, XLVII. Guénon note ici qu’ « il est facile de voir que ce dont il s’agit ici peut être identifié au domaine de la manifestation supra-individuelle ». [↩]
par Luc de la Hilay le 19 novembre 2011, mis à jour le 17 juillet 2015
Mots clés : Al-Chadhilî, Ibn ‘Atâ’ Allah, Lumière Mohammédienne - An-Nûr Al-Mohammediyyah, Rabbâniyyah