« Oraison de la Connaissance (Hizb al-Ma’rifah) » attribuée au Cheikh ‘Alî Wafâ’

V3 – 22 juin 2015

L’Oraison de la Connaissance (Ma’rifah) appelé aussi Oraison du « comportement adéquat » (adab) dont nous proposons la traduction ci-dessous est attribuée au Cheikh ‘Alî Wafâ’ dans plusieurs livrets d’invocations châdhilî-s contemporains, attribution dont l’origine la plus ancienne semble être le recueil en 3 volumes publiés par un éminent akbarien, le Cheikh naqchabandî ottoman Ahmed Diyâ’ Al-Dîn Gumuchkhanevî (m. 1311/1893), qui revendiquait lui-même un goût spirituel (dhawq) châdhilî.

Dans son ouvrage Al-‘Ibâdât : Ahkam wa asrâr, le Cheikh Abd Al-Halîm Mahmûd (m. 1398/1978) reproduit cette oraison avec son double titre en l’attribuant également au Cheikh ‘Alî Wafâ’. Cette mention est donc peut-être la source la plus directe des livrets d’invocations en notre possession. Nous ferons cependant remarquer que le texte de cette oraison figure au cœur du Hizb al-Fath du Cheikh Mohammed Wafâ’, le père et maître du Cheikh Alî 1 . Nous ne saurions dire, au regard des éléments actuellement à notre disposition, s’il faut en conclure que ce dernier aurait isolé ce passage pour en faire une oraison particulière – ce que nous sommes enclin à penser en raison d’une indication méthodique qui accompagne ce texte dans un des recueils consultés – ou s’il s’agit simplement de la reproduction par un tiers d’un passage isolé dont l’attribution aurait « glissé » du père au fils 2 . Signalons pour finir que malgré nos recherches nous n’avons pas trouvé mention d’un « Hizbu-l-Ma’rifah» ou d’un « Hizbu-l-adab » parmi les recueils d’awrâds de la Wafâ’iyyah à notre disposition.

Quoi qu’il en soit, force est de constater l’intérêt et l’actualité de cette invocation dont le contenu nettement « mohammédien », sous le double rapport de l’universalité et de la synthèse 3 , prime finalement sur son attribution précise.

Maurice Le Baot

10 Ramadhân 1435

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Oraison de la Connaissance (Ma’rifah)

ou du « comportement adéquat » (adab4

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Allahumma réunis-nous sur 5 les dépositaires (ahl) de la Science, de la Connaissance, de la Sainteté, de la Distinction [spirituelle] (khuçûçiyyah) et de l’Élection (istifâ’iyyah) [Divine 6 , en nous assurant] un bon comportement (husn al-adab), la pureté (ikhlâç) dans notre quête (qaçd7 et la réponse propice (tawfîq) à nos demandes. Fais que la voie de la tradition prophétique (sunnah) soit notre chemin et écarte de nous la voie de l’innovation blâmable (bid’ah), rends-nous propice la compréhension à Ton égard ainsi qu’une croyance correcte (husn al-i’tiqad) concernant la Foi (Îmân) en Tes noms et Tes attributs

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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant

GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)

  1. On notera en passant que ce passage a été retenu par le saint mohammédien, l’Imam Yussûf Al-Nabbahânî, dans son recueil Jami’ thanâ ‘alâ-Llah, ou il regroupe un choix d’invocations issues du Hizb al-Fath []
  2. Les versions consultées des recueils du Cheikh Gumuchkhanevî comportent plusieurs erreurs d’attribution patentes si bien que, malgré l’autorité incontestable de ce dernier, il n’est pas possible de s’en tenir à cette seule source. Quant à la mention du Cheikh Abd Al-Halîm Mahmûd, nous pensons que celui-ci n’a fait que reproduire la version des recueils indiqués, comme semble le confirmer la reproduction à l’identique d’une autre invocation du Cheikh Alî Wafâ précédant celle traduite ici et qui figure à la même place dans lesdits recueils . []
  3. La « demande » que constitue l’oraison contient en effet une synthèse remarquable de ce qui doit être recherché par le murîd dans son cheminement. []
  4. Il faudrait une autre occasion pour rappeler les liens profonds unissant Connaissance (Ma’rifah) et « comportement adéquat » (adab) qui pourraient justifier le double titre de cette oraison ; on se contentera ici de souligner que la recherche de la Connaissance d’Allah, qui constitue le But ultime du taçawwuf, nécessite le développement et le maintien actif d’un « comportement adéquat ». On rapporte d’ailleurs, sous l’autorité de nombreux Maîtres spirituels, que le « taçawwuf est tout entier (kullu-hu) adab » Pour un aperçu des très nombreuses règles de adâb existantes cf. la rubrique dédiée du site. []
  5. Sur cette expression voir notre commentaire sur la prière sur le Prophète ﷺ du Cheikh Mohammed Mâdhî Abû-l-‘Azâ’im. []
  6. On peut voir dans les différentes catégories énumérées ici une évocation de la hiérarchie initiatique. Citons à ce propos René Guénon : « L’élite, telle que nous l’entendons, représente l’ensemble de ceux qui possèdent les qualifications requises pour l’initiation […] En supposant l’initiation, en tant que rattachement à une « chaine » traditionnelle, réellement obtenue par ceux qui appartiennent à l’élite, il restera encore à considérer, pour chacun d’eux, la possibilité d’aller plus ou moins loin, c’est-à-dire d’abord de passer de l’initiation virtuelle à l’initiation effective, puis d’atteindre dans celle-ci la possession de tel ou tel degré plus ou moins élevé, suivant l’étendue de ses propres possibilités particulières. Il y aura donc lieu, pour le passage d’un degré à un autre, de considérer ce qu’on pourrait appeler une élite à l’intérieur de l’élite même , et c’est en ce sens que certains ont pu parler de l’« élite de l’élite » ; en d’autres termes, on peut envisager des « élections » successives, et de plus en plus restreintes quant au nombre des individus qu’elles concernent, s’opérant toujours « par en haut » et suivant le même principe, et correspondant en somme aux différents degrés de la hiérarchie initiatique. Ainsi, de proche en proche, on peut aller jusqu’à l’« élection » suprême, celle qui se réfère à l’« adeptat », c’est-à-dire à l’accomplissement du but ultime de toute initiation ; et, par conséquent, l’élu au sens le plus complet de ce mot, celui qu’on pourrait appeler l’« élu parfait », sera celui qui parviendra finalement à la réalisation de l’« Identité Suprême » [en note : « Dans la tradition islamique, El-Mustafâ, « l’Élu », est un des noms du Prophète ; quand ce mot est ainsi employé « par excellence », il se rapporte donc effectivement à l’« Homme Universel » . » ] » (Aperçus sur l’initiation, « Sur la notion de l’élite ».) . Le terme istifâ’iyyah est un dérivé de la même racine que le nom d’El-Mustafâ . Par ailleurs, on trouve parfois en arabe les expressions khâççah et khâççatu-l-khâççah,  issue de la même racine que khuçûçiyyah, qui renvoient alors aux mêmes idées d’ « élite » et d’ « élite de l’élite » indiquées par Guénon. Le Cheikh Al-Alawî rapporte par exemple la parole suivante dans l’introduction de son ouvrage Al-Minah al-Quddûsiyyah : « Aç-Çqalî, dans son livre La lumière des cœurs sur la Science infuse (Nûr Al-Qulûb fi-l‘Ilmi-l-mawhûb) , écrit :  » Tous ceux qui croient (çaddaqa) en cette science appartiennent à l’élite (khâççah) , tous ceux qui la comprennent (fahama) font partie l’élite de l’élite (khâççatu-l-khaççah) et tous ceux qui l’expliquent (‘abbara) et l’exposent (takallama) sont tels l’étoile qu’on ne peut saisir et l’océan « sans rivages » (litt. : « qu’on ne peut quitter [du fait de son immensité] »). » قال (الصقلي) في كتابه (نور القلوب في العلم الموهوب): (كلّ من صدّق بهذا العلم فهو من الخاصّة، وكلّ من فهمه فهو من خاصّة الخاصّة، وكلّ من عبّر عنه وتكلّم فيه فهو النجم الذي لا يدرك، والبحر الذي لا يترك). Voir aussi les défintions de ces termes proposées dans le Mi’râj d’Ibn Ajibah (trad. J.-L. Michon chez VRIN, p. 144). []
  7. Nous profitons de l’occasion pour indiquer que le terme qaçd est un anagramme parfait de çidq, la sincérité ou la véridicité, dont les rapports avec l’ikhlâç sont bien connus. []

par le 8 juillet 2014, mis à jour le 18 août 2016

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