Présentation de la Dâïrah châdhilie – L.D.L.H
Cet article est issu de notre étude intitulée « Commentaire de la prière sur le Prophète » de la Lumière Essentielle » (en-Nûr edh-dhâtî), dont la dernière version au format PDF est disponible sur le Porteur de Savoir.
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Présentation de la Dâïrah châdhilie
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Nous avons rappelé précédemment que la « mise en action » des symboles contenus dans les rites châdhilis véhicule l’influence initiatique du Cheikh Abû el-Hassan et « incorpore » son enseignement 1 .
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A présent, nous allons rapprocher la prière sur le Prophète de la « Lumière Essentielle » d’un autre héritage spécifiquement châdhilî qui aidera à en comprendre le sens profond, en vertu d’un lien tout particulier que traduit, dans son ordre, l’équivalence de leurs symboles respectifs et des significations doctrinales qu’ils supportent ; cet emblème est le Sceau du Cheikh Abû el-Hassan lui-même, et nous nous proposons maintenant de mettre son symbolisme graphique en rapport avec les notions fondamentales de la prière pour montrer qu’il est en une « image », susceptible de l’éclairer sous un angle nouveau.
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Commençons par donner de cette figure une présentation aussi fidèle que possible.
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Essentiellement constitué d’un cercle inscrit dans un carré, et subdivisé en plusieurs circonférences concentriques autour desquelles sont ordonnancées des versets coraniques et des Noms particuliers, son aspect général lui vaut d’être communément appelé Ed-Dâïrah, c’est-à-dire littéralement le « Cercle » ou la « Circonférence ». Il est rapporté que le Cheikh Abû el-Hassan transmettait ce symbole initiatique à des disciples avec certaines indications de mise en œuvre 2, et si l’on compte parmi ses effets initiatiques la propriété de protéger contre tout ce qui est néfaste, de satisfaire les besoins, d’amener la subsistance, la guérison, l’intercession ou encore la facilitation des affaires 3, la Dâïrah est en réalité efficace pour tout en tant qu’elle contient, en différents de ces endroits, le Nom Suprême d’Allah (Ismu-Llah el-A’dham) 4 . D’une façon plus générale, et au-delà de ses usages talismaniques relativement secondaires 5 , la Dâïrah est l’« empreinte » (khatam) de la station spirituelle du Cheikh Abû el-Hassan et sa « cristallisation » dans une forme synthétique portant la signature de son nom: « El-Châdhilî » 6 . C’est en ce sens que nous entendons l’étudier à partir d’ici, sans pour autant exclure l’indéfinité des autres points de vues que supporte tout symbole traditionnel véritable, et qu’il reste toujours possible d’adopter conjointement de façon cohérente et harmonieuse.
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Un sceau clôt et garantit un certain secret en même temps qu’il révèle ou atteste l’identité de celui qui l’appose 7 . En arabe, le khâtam désigne proprement le cachet qui réalise l’empreinte destinée à sceller et à servir de marque distinctive ; la racine khatama contient en outre la notion de cacher ou de garder le silence (takhattam), qui comme le souligne Guénon, doit être rapportée « aux choses qui, en raison de leur nature même, sont inexprimables, tout au moins directement et par le langage ordinaire » 8 .
Nous nous sommes déjà assez amplement exprimés sur la façon dont il faut entendre ce secret (sirr), qui est celui de la Connaissance suprême dans le maqâm el-Asnâ de l’état d’Homme Universel (Insân el-kâmil) pour nous dispenser d’y revenir une nouvelle fois ; nous rappellerons juste à son propos qu’il demeure absolument « inexprimable », et inaccessible à celui qui ne l’a pas réalisée par son travail personnel, et que seul le symbolisme pourra le suggérer, faire pressentir « ou mieux « assentir », par les transpositions qu’il permet d’effectuer d’un ordre à un autre, de l’inférieur au supérieur, de ce qui est le plus immédiatement saisissable à ce qui ne l’est que beaucoup plus difficilement » 9 .
La Dâïrah peut donc être considérée comme spécifiquement châdhilie en tant qu’expression symbolique de l’enseignement initiatique du Cheikh Abû el-Hassan; comme tout enseignement de cet ordre, elle a pour fonction ultime d’indiquer à l’initié la voie à suivre pour parvenir à la connaissance de la Face d’Allah, c’est-à-dire à la réalisation effective du maqam el-Asnâ, mais dans le cas présent sous le magistère initiatique particulier du Cheikh Abû el-Hassan et grâce à son assistance spirituelle (madad) 10 . Il ne faut en effet jamais perdre de vue que la Dâïrah, hormis cet enseignement symbolique qu’elle dissimule et dévoile à la fois, est un moyen initiatique puissant, un rite, ou autrement dit un symbole qu’il est possible de « mettre en action » pour passer de la connaissance théorique à la connaissance effective, et permettre ainsi la compréhension profonde de la doctrine ésotérique qu’il synthétise en mode châdhili. Remarquons d’ailleurs à ce titre que c’est une action toute particulière réalisée à la fin du tracé de la Dâïrah, en fonction de l’orientation de celui qui la réalise et en rapport avec le sirr et l’empreinte évoqués ci-dessus, qui confère à la figure toute son efficacité.
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Pour conclure et illustrer ce qui précède, on notera que « le Cheikh Abû el-Hassan pratiquait la retraite spirituelle (khalwah) avec la Dâïrah en présence de certains de ces élèves, et qu’il autorisait à la retraite avec elle celui qui la voulait ; il fallait alors que le disciple se représente mentalement (yastakhdhar) 11 la forme du Cheikh Abû el-Hassan dans sa retraite, et cela l’amenait en présence de son esprit (innahu yahadhdhara lahu rûha-hu), puis les puissances subtiles (khuddam) des Noms l’exauçaient et satisfaisaient ses besoins » 12 .
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- Il n’y a d’ailleurs en cela rien de particulier ni à ce rite, ni à la Tarîqa Châdhiliyah, dans la mesure où chaque moyen initiatique régulièrement reçu par un membre rattaché, une fois mis en œuvre selon la technique rituelle garantissant son efficacité, devient le support de l’influence spirituelle initiatique plus ou moins spécifique dont sa Tarîqa est dépositaire. [↩]
- Dans Mafâkhir el-‘Aliyah fî-l-mâthar ech-châdhiliyah, Ibn ‘Iyyâd fait notamment état de la transmission de la Dâïrah au Cheikh Abû el-Abbâs Murçî et à son fils Chihâb ed-Dîn. [↩]
- Concernant ces différents aspects, et celui de protection notamment, on remarquera que la Dâïrah est également appelée la Garde (Hirz) et l’Epée châdhilie (Sayf ech-châdhiliyah). Les différents « effets » qu’elle produit correspondent d’ailleurs souvent aux propriétés intrinsèques des éléments la constituant tels que les versets coraniques et les Noms « étrangers ». [↩]
- La Dâïrah est donc, vis-à-vis de ce Nom Suprême d’Allah, dans un rapport similaire à celui du Hizb el-Bahr (cf. les instructions du Cheikh Châdhilî concernant cette oraison dans la biographie, p.2). Ce Nom Suprême est connu dans les ahadith comme celui par lequel si l’on invoque, on est exaucé et si l’on demande, il est donné. Différents versets coraniques et du’âs prophétiques connus sont réputés contenir ce Nom. Sans pouvoir nous attarder sur ce thème, signalons que selon certains avis, et celui du Cheikh Zakî ed-Dîn notamment, « il existe pour tout initié (sâlik) un du’â ou un nom qui le relie à son ipséité (huwiyah), et celui-là est pour le lui le Nom Suprême ». Nous avons par ailleurs déjà évoqué cette notion ici. [↩]
- Nous ne rentrerons pas dans le détail de ses usages « applicatifs » car l’utilisation « technique » de la Dâïrah est exclusivement réservée aux détenteurs de l’autorisation correspondante (idhn) ; ni ses conditions de mise œuvre ni ses effets initiatiques ne doivent donc intéresser ceux qui ne détiennent pas cette autorisation hormis, éventuellement, à titre purement documentaire. [↩]
- Il convient ici de distinguer le domaine du Taçarruf de celui du Taçawwuf ; dans ce dernier, le Cheikh Abû el-Hassan est un Saint parfait et le Maitre fondateur d’une Voie initiatique ; dans celui du Taçarruf, qui est l’organisation hiérarchique des Saints gouvernant les affaires du Monde, il y occupa la fonction suprême en tant que Pôle (Qutb) de son temps (cf. La transmission de la fonction polaire (qutâbah) (B.C.A.H.C) ) ; ces deux aspects apparaissent assez clairement dans le symbolisme de la Dâïrah. Il est par ailleurs rapporté dans Tabaqât el-Châdhiliyyah el-Kubrâ de Sidî Hassan ibn Mohammed al-Kûhân al-Fassî que le Pôle sera châdhilî jusqu’à la fin des temps (el-qutb lâ yakûn illâ min-hum) ; d’autre part, « les gens du Dîwân – qu’Allah soit satisfait d’eux et nous mette au nombre des leurs – sont tous châdhilîs. Pas un, parmi les gens du cercle (dâïrah) et du nombre (‘adad) [Il s’agit de catégories initiatiques particulièrement élévées], n’entre dans le Dîwân sans devenir châdhilî ( illâ idhâ tachadhdhallâ), même s’il a atteint la Sainteté (wilâya) par une autre voie. Et s’il rentre dans le Dîwân, il prend la Tarîqa Châdhiliyyah du Pôle suprême (el–Ghawth) et c’est une garantie (amân) contre la perdition (salb) et la mauvaise fin (sû’ el-khâtimah ) » [↩]
- Ces deux fonctions essentielles du Sceau, qui « cache » et révèle tout à la fois, peut être vu comme la spécification du double rôle que jouent toutes les formes extérieures, qui manifestent la Vérité mais la voilent également par là même qu’elles l’expriment selon leur mode propre et conditionné. [↩]
- Cet aspect de préservation et de dissimulation est très marqué dans les effets connus du sceau, et en particulier lorsqu’il est porté comme hijab (voile), donc « apposé » sur l’individu, qui se trouve alors prémuni et dissimulé à toutes les influences néfastes qui l’environnent ; il est ainsi conseillé de la tracer sur les bêtes pour éviter leur perte dans le troupeau, de le porter chez les rois, les juges, devant ses ennemis, etc. [↩]
- Aperçus sur l’Initiation, chap. XVII , René Guénon [↩]
- L’assistance spirituelle d’un Cheikh fondateur peut être véhiculée par tous les moyens initiatiques régulièrement mis à disposition dans sa Tarîqa. [↩]
- « Qu’il rende présent mentalement » pourrions-nous dire aussi pour faire encore mieux ressortir la racine H-DH-R, présence [↩]
- Mafâkhir el-‘Aliyah fî-l-mâthar ech-châdhiliyah, Ibn ‘Iyyâd, p 261. Dans le même esprit, un autre usage connu de la Dâïrah consiste à la regarder quatorze fois par jour. La 4ème des Vingt règles de convenances (âdâb)dans le dhikr du Sheikh Abd el-Wahhâb Cha’rânî consiste proprement à : « rechercher l’assistance (madad) de la force spirituelle (himmah) du Cheikh lors du déroulement du dhikr, en se le représentant (imaginativement) devant soi et en cherchant l’appui de son influx spirituel, afin qu’il soit son compagnon de voyage dans sa marche. ». Dans sa traduction commentée, Mohammed Abdessalâm précise en note la question de la faculté imaginative (takhayyul) sous le rapport de l’utilisation des « intermédiaires » (waçîlah, tawaççul bi-l-awliyah, waçîtah) et envisage à ce titre le rôle spécial du Maître éponyme de la Tarîqah dont on fait partie. On ne pourra jamais trop conseiller au lecteur, dans le cadre de notre étude, de se reporter aux premiers articles d’Olivier Courmes. [↩]
par Luc de la Hilay le 15 juillet 2012, mis à jour le 3 septembre 2012