Jusqu’à devenir une prière sur le Prophète ﷺ incarnée… – M.L.B.

Aperçus méthodiques sur la pratique de la prière sur le Prophète ﷺ au sein de la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah

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إلى روح الحبيب المصطفى ﷺ
و اهل البيت المحمدي اجمعين

Dans le prolongement de notre travail relatif à la pratique de la prière sur le Prophète ﷺ chez les premiers maîtres de la Tarîqah Nâçiriyyah, nous étudierons maintenant différents aspects méthodiques existant au sein de la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah qui, comme on le sait, est une branche contemporaine de l’arbre Nâçirî – qu’Allah soit Satisfait de l’ensemble de ceux qui s’y rattachent, Âmîn !

Au début de son maître ouvrage Fiqhu-ç-çalawâti wa-l-madâ’ihi-n-nabawiyyah, dédié principalement à la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم , le Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn 1  entreprend de commenter le verset institutif de la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم .

{ إِنَّ ٱللَّهَ وَمَلاَئِكَـتَهُ يُصَلُّونَ عَلَى ٱلنَّبِيِّ يٰأَيُّهَا ٱلَّذِينَ آمَنُواْ صَلُّواْ عَلَيْهِ وَسَلِّمُواْ تَسْلِيماً}

« En vérité, Allah et Ses Anges prient sur le Prophète. Ô vous qui croyez, priez sur lui et saluez le ! « 

Après avoir repris quelques interprétations d’ordre général, il évoque la réalité intérieure de cette pratique,  prenant pour point de départ la forme linguistique du dernier mot du verset : « taslîman » – dont la traduction est malaisée – qui insiste sur l’ordre donné aux croyants de saluer le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم :

« [Cette insistance] se rapporte de la même façon à la prière, selon un procédé rhétorique d’élision qui renvoie [celle-ci] à la [fin de la] seconde proposition [grammaticale], en vue [d’accentuer] la démonstration et [d’insister sur] l’injonction, de cette façon c’est comme s’Il disait – Exalté soit-Il – : « Priez sur lui d’une prière ou en priant (çalâtan aw taçliyâtan) et saluez le d’une salutation ou en le saluant (salâman aw taslîman) ». L’insistance donnée par la forme grammaticale « taf’îl » se rapporte manifestement à la persistance dans la répétition et l’approfondissement [de cette pratique]. La raison d’être de cette répétition et de cet approfondissement provient d’une sagesse qui peut être en partie rapportée au renouvellement des significations spirituelles (ma’ânî) de la prière et de la salutation dans le for intérieur de l’orant ainsi qu’à leur diversité. Comme si celui-ci demandait chaque fois, pour le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم , une chose nouvelle d’entre les degrés de Perfection (marâtib al-Kamal) chez Allah et la Perfection chez Allah est sans fin. Comme si l’orant, par l’approfondissement de son orientation dans la demande de Perfection pour son Prophète صلى الله عليه و اله وسلم s’élevait (yustashrifu) du côté de la Pureté (Çafâ’) et de la Compassion (Riqah), pour qu’ainsi lui soit alloué une part de l’Influx et du Soutien spirituels (ar-Rûhâniyyah wa-l-Madad) de même que de l’Elévation céleste (Tassâmî) aux degrés des Rapprochés (Muqarrabin).

Par cela, l’influence spirituelle (barakah) de la prière et de la salutation atteint l’essence (dhât) de l’orant. Lorsqu’il réalise cela de manière véritable, il s’agit alors d’un aspect recommandé (mustahab) de l’adoration, sans ennui ni lourdeur. Arrivé à ce point l’orant fusionne (yandamiju) avec sa prière jusqu’à ce que sa personne même (chakhçihi) soit comme une prière incarnée (çalâh mutajassidah) ».

Un autre aspect digne d’attention, concernant les conditions d’acceptation de la pratique de la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم , est mis en exergue par le Cheikh en conclusion de la section consacrée à ce sujet dans ses Fawâtih al-Mafâtih2 :

Nous aimerions conclure ces remarques avec ce qu’on rapporte dans certains manuscrits anciens d’après notre maître le cheikh Mohammed Ibn ‘Omar Ibn Ibrâhîm Al-Milâlî At-Talmissânî dans son commentaire de la Muqaddimah [de Senoussi] 3 : « il a prononcé un avis juridique au regard des preuves mentionnées sur le fait que la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم n’est jamais rejetée, même si elle provient du croyant désobéissant lorsqu’il commet une désobéissance » (fin de citation du cheikh Talmissânî) et ceci, c’est-à-dire cette acceptation inconditionnée, « est ce qui convient le mieux à la grâce divine et ce qui s’apparente le plus à la station prophétique ».

Dans la Tarîqah Mohammediyyah, à l’instar de la plupart des Turûq, la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم constitue un des piliers de l’oraison journalière (wird lâzim) et des séances d’invocations collectives. Elle est recommandée de manière générale comme oraison secondaire à travers, notamment, les formules courtes réunies dans le Mafâtih el-Qurb, ainsi que les deux versions de la Machîchiyyah, l’Hyacinthe (Yaqûtah) du Cheikh Al-Fassî ou encore la Prière englobante du Cheikh lui-même.

Concernant les séances d’invocations on notera que la prière et la salutation sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم figure sous une forme ou une autre dans l’ensemble des modalités de déroulement des rites collectifs dans la Tarîqah, en ouverture et en clotûre, de même qu’elle fait partie des « appels » (hâtif) spécifiques scandés lors des réunions et les leçons : la première formule de l’ « appel » : سيدنا محمد صلى الله عليه وسلم est scandée par un des participants puis l’assemblée y réponds par trois fois : صلى الله عليه وسلم .

Concernant le wird personnel journalier, la prière y est récitée cent fois selon une formule laissée au choix du murîd, selon sa sensibilité spirituelle. La préférence est cependant donnée aux formules prophétiques et en particulier à la prière abrahamique selon la version recensée par Bukharî que l’on récite ordinairement dans l’attestation de foi (tachahhud) finale de la prière rituelle. Le Cheikh indique à ce propos toujours dans Fawâtih al-Mafâtih :

« Il existe d’autres formules inspirées telle celle que le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم enseigna à un bédouin qui lui demanda comment prier sur lui ; le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم lui répondit alors : « dis : « Allahumma prie sur Mohammed et sa Famille et salue-le(s)  اللهم صل على محمد و اله و سلم  »4 .La largesse en ce domaine est cependant sans limite et correspond à la largesse en vigueur relative à l’incantation (dhikr) et à la prière de demande (du’a), de manière tout à fait équivalente » .

Dans son œuvre, le Cheikh rappelle souvent en effet que les formules autorisées ne se limitent pas aux formules prophétiques mais comprennent également celles inspirées des Compagnons, des Suivants et de l’ensemble des maîtres spirituels. Dans cet esprit, on retrouve dans son Fiqh aç-çalawât le commentaire succinct d’une vingtaine de prières prototypiques non prophétiques dont plusieurs figurant dans le Mafâtih el-Qurb.

Sur un plan pratique, il est recommandé de commencer par la lecture du verset coranique institutif puis de réciter ce qu’on veut d’entre les prières existantes.

Dans le Fiqh aç-çalawât le Cheikh donne aussi des indications plus développées, en se référant à une méthode particulière parmi celles reçues de ses maîtres :

« nous récitons le verset d’institution (amr) de la prière sur l’Envoyé d’Allah صلى الله عليه و اله وسلم puis nous disons :

«  Allahumma en vérité Tu nous a demandé à nous-même ce dont nous ne sommes capable si ce n’est par Toi, Allahumma octroie-nous donc en cela ce qui Te satisfait de notre part et ce qui satisfait Ton Prophète صلى الله عليه و اله وسلم  »5.

Nous prions ensuite en utilisant les formules prophétiques (bi-l-wârid) c’est-à-dire la prière abrahamique (la prière bien connue employée dans le tachahhud) sous ses multiples formes6 par lesquelles il convient de commencer avant tout autre puis nous ajoutons à cela ce qu’Allah a inspiré (mâ yaftahu-Llah) à ses Saints comme prières et glorifications à son égard صلى الله عليه و اله وسلم ((Cette manière de procéder ne déroge pas à ce qu’il recommande pour les invocations en général : commencer par le Coran, puis les invocations prophétiques puis les oraisons héritées des maîtres. ))  » .

En plus des prières recensées dans son Mafâtih Al-Qurb et de quelques unes publiées à part, le Cheikh a autorisé plus spécialement ses muridîn à réciter les prières contenues dans les Dalâ’il Khayrât, dans le Kunûz al-Asrâr d’Al-Harûchî, dans les ouvrages du Cheikh Nabahânî – en particulier le Jâmi’ aç-çalawât que le Cheikh présente comme étant probablement la plus vaste compilation existante en ce domaine – et enfin les prières contenues dans le recueil du Cheikh Al-Dirdîr dont l’agencement suscite les remarques suivantes du cheikh, en concordance avec ce que nous avons déjà évoqué :

« [L’auteur de ce recueil] a rassemblé tout ce qui lui est parvenu comme prières avec celles qu’il a lui-même composées et ordonnées selon un classement alphabétique […]. Le cheikh Al-Dirdîr رضي الله عنه a certainement voulu, en rassemblant des prières propres à différentes turûq, briser les cloisonnements individualistes (infirâdiyyah) répandus parmi les soufis tout en appelant (yubashshiru bi da’wah) au rapprochement (taqrîb), à l’entraide (ta’âwun) et à l’amour entre les pieux soufis, tous n’étant qu’une seule famille quant au principe (mabda’) et à la finalité (muntahâ’), quand bien même ils divergent sur les méthodes (manâhij) et les moyens (wasâ’il) du cheminement (sulûk). Et ceci constitue nos principes et ce à quoi nous appelons » .

L’éditeur de la dernière édition du Fiqh eç-çalawât d’où est tirée cette remarque – Sidi Muhyi-d-dîn Al-Isnawî حفظه الله – ajoute en note :

« La prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم est une adoration bien-aimée des âmes, agrée auprès d’Allah sur laquelle s’accorde toutes les méthodes et les goûts spirituels (machârib) quant au fait qu’elle constitue la plus rapide des méthodes (aqrab et-turûq) pour parvenir à Allah. [Les maîtres] rappellent qu’elle est un cheikh pour celui qui n’a pas de cheikh et qu’elle est le plus immense des moyens d’éducation (tarbiyyah) et de cheminement (sulûk), plus encore elle constitue une obligation impérieuse (wâjib el-waqt) pour le murîd lorsque que le cheikh éducateur fait défaut (faqada) ».

Et il indique qu’on trouve de nombreuses indications et allusions subtiles à ce propos dans le hadith de Seyyidnâ Ubayy ibn Ka’b :

« Je demandai : « Dois-je te rendre ma prière (sur toi) tout entière (afa-aj’al salâti kullu-hâ laka) ? » Il répondit : « Alors, cela suffira à tes désirs et te pardonnera tes péchés ! »

Ceci nous amène à faire quelques remarques sur la multiplication de la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم qui feront écho également au commentaire du verset institutif reproduit plus haut.

Traditionnellement la multiplication de cette pratique est fortement recommandé le vendredi selon de nombreuses et célèbres traditions prophétiques que le Cheikh rappelle en partie dans ses ouvrages. Il insiste sur le fait de vivifier cette pratique qui constitue une des multiples oraisons secondaires de la Tarîqah. La pratique du wird journalier peut fournir l’occasion de multiplier la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم ; en effet parmi les caractéristiques de celui-ci figure la possibilité d’augmenter le nombre de répétition au-delà des cents requis ordinairement7 .

Dans une épître intitulée Al-’Ahd el-wathîq li man arada sulûk et-tarîq  – « Le pacte solide pour qui veut cheminer dans la voie » éditée et publiée à plusieurs reprises par le Cheikh lui-même mais rédigée par un de ses maîtres direct le Cheikh Seyyidi Mahmûd As-Subkî – d’obédience châdhilie (par la voie de seyyidnâ Mohammed ‘Elîch al-Kabîr) et khalwatie (par la voie du cheikh Al-Dirdîr) – on trouve l’indication suivante, concernant le wird qu’il délivrait à ses murîdîn, semblable en tout point ici à celui de la tarîqah Mohammediyyah :

« … puis nous prions sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم avec n’importe quelle formule, cent fois, et augmente donc, de même la multiplication (ikthâr) est requise la nuit du vendredi… ».

De cette manière, le murîd réunira les deux recommandations et les deux bienfaits : celui du wird et celui de la multiplication de la prière sur le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم .

Le maître-ouvrage du cheikh aborde encore bien d’autres sujets, notamment sous le rapport légal, et examine en particulier – à la suite des ouvrages classiques – les différents ajouts traditionnels autorisés et recommandés relatifs notamment à l’extension de la prière à d’autres que le Prophète صلى الله عليه و اله وسلم . Nous ne pouvons que recommander à nos lecteurs arabisant de s’y reporter.

Faute de pouvoir rentrer dans ces développements, nous conclurons par la prière suivante – citée par le cheikh sans précision quant à l’origine – qui « couvre » une large partie des ajouts évoqués et qui clôt dans cet ouvrage les développements relatifs à la prière sur le Prophète :


Allahumma prie sur notre seigneur Mohammed et sur la famille de notre seigneur Mohammed, les Compagnons de notre seigneur Mohammed, les Auxiliaires de notre seigneur Mohammed, les Epouses de notre seigneur Mohammed, la descendance de notre seigneur Mohammed, salue-les et bénis-les conformément à ce dont tu es Digne et ce dont il est digne, Ô Seigneur des Univers !

Mostafâ Mansûr – Nisf Cha’abân 1440

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  1. Quand nous mentionnons « le Cheikh » dans la suite du texte il s’agira toujours de lui رضي الله عنه و رحمه الله رحمة واسعة. []
  2. Ce petit ouvrage consacré aux règles et statuts légaux de l’invocation fut initialement rédigé pour constituer une introduction au recueil principal des oraisons de la Tarîqah intitulé Mafâtih Al-Qurb. []
  3. Il s’agit de son petit commentaire de son célèbre traité de Aqîdah. Il s’agit d’une des plus anciennes référence toujours citée par les maîtres pour établir la possibilité d’une guidé obtenue par la répétition de la prière sur le Prophète
    ﷺ en absence de Cheikh murchîd, sur ce point cf. notamment infra dans le présent article. []
  4. La même formule figure en clôture du Hizb Qur’ânî des Mohammediyyât avec l’ajout de la formule de siyyadah سيدنا . []
  5. On retrouve cette formule sans la mention du Prophète au début du Kunûz el-Asrar de Al-Hârûchî. Elle semble dérivé d’une autre formule plus générale tiré d’un hadith rapporté par Ad-Daylamî qu’on retrouve notamment dans le wird es-sahâr rédigé par le Cheikh et qui figure dans le recueil des Mohammediyyât. []
  6. Le cheikh Nabbahanî par exemple en recense plus d’une quarantaine de variantes notamment au début des Salawâtu-l-alfiyyah. []
  7. Ceci est valable pour l’istighfâr et le tahlîl également. On sait aussi qu’en cas de nécessité il est possible de réduire ce nombre à trente-trois et même à onze ou dix. Cependant conformément à la maxime que rappelle fréquemment le Cheikh « celui qui n’augmente pas diminue » qu’on pourrait aussi traduire, plus librement, « celui qui n’avance pas recule », à moins – souligne le Cheikh (nous reformulons) – qu’il y en cela une facilité à travers laquelle la relation du murîd avec son Seigneur se renforce et « chacun est responsable de son état (hâl)  ». []

par le 20 avril 2019, mis à jour le 21 avril 2019