Taçawwuf et qualification – Cheikh Ahmed Zarrûq (Qawâ’id)

Cet article reprend des données qui figurent dans la traduction en cours des Qawâ’id et-Taçawwuf du Cheikh Zarrûq.

Les commentaires de Shaykh Muhammad Mehenna sont en rouge dans le texte.

Règle 15 :

Traduction

Le fait d’être digne [d’une qualité quelconque] se traduit par des signes manifestes 1 . Mais il est également possible que les choses soient confuses, et l’attitude de prudence s’impose alors à cause du caractère épiphénoménologique (‘āradh) [instable et temporaire] des signes apparents. La chose attirant à la fois une personne qui la mérite et une qui ne la mérite pas, elle sera donc défendue à l’une des deux [Ce passage est une application de la première phrase].

Sahl [ibn ‘Abd Allāh al-Tustārī] se référait ainsi à ce principe lorsqu’il disait : « Si après l’an 200, il reste à quelqu’un quelque chose de ce que nous enseignons, qu’on enterre alors [ces paroles]. L’ascèse des gens se trouvera dans ces enseignements des Maîtres, alors que l’objet de leur adoration sera leur estomac. » [Ce passage est une application de la deuxième phrase. Il exprime l’idée que les gens venant dans le siècle suivant ne mériteront pas la science du siècle présent]. Puis il a listé un certain nombre de choses qui confirment la corruption de cette discipline à un degré tel que la propager deviendra interdit parce qu’elle aura été mal interprétée quant à ses objectifs. Celui qui l’enseignera sera comme celui qui vend une épée à un voleur de grand chemin.

C’est l’état [dans lequel se trouvent] beaucoup de personnes à l’heure actuelle. Ils ont utilisé la connaissance des vérités subtiles comme un marchepied pour parvenir à certains objectifs : séduire les cœurs des gens du peuple, prendre la richesse des opprimés, mépriser les pauvres et commettre des actes qui sont des innovations évidentes et clairement interdites. Certains sont allés si loin qu’ils ont abandonné complètement leur religion ; pourtant beaucoup de gens ignorants les suivent car ils prétendent détenir l’Héritage [des awliyā] et être spécialistes en la matière (al-fann).

Nous demandons à Allah de nous protéger par Sa Grâce !

Règle 16 :

Traduction

La qualité intrinsèque d’une chose implique qu’elle soit nécessairement donnée (accordée) à quiconque est qualifié pour elle, car celui-ci lui confère alors sa juste valeur et la situe à sa juste place.

Quiconque n’est pas qualifié pour elle pourrait en fait la gâcher, et c’est souvent le cas ; ou bien cela pourrait l’inciter à la chercher de ses propres moyens, ce qui est rarissime.

Par conséquent, les Sufis diffèrent à propos de partager leurs connaissances en dehors de ceux qui sont qualifiés.

Certains disent qu’elles ne devraient être accessibles que pour ceux qui sont aptes [à les recevoir]. C’est l’opinion de Thawrī et d’autres.

D’autres disent qu’elles doivent être accessibles à tous, qu’ils soient aptes ou pas, car la connaissance est trop sacrosainte pour atteindre celui qui en est indigne. C’est l’opinion de Junayd –qu’Allah lui fasse miséricorde–, à qui l’on demanda : « A quelle fréquence appelles-tu à Allah en présence des gens du peuple (vulgum) ? ». Il répondit : « J’appelle plutôt les gens du vulgum quand je suis en présence d’Allah ». Ainsi se termine sa remarque.

Cela signifie qu’il leur rappelle ce qui les fait se tourner vers Allah.

Son argument confirme donc les uns et condamne les autres. La vérité est que le jugement (en ce domaine) diffère selon la qualité et les sortes d’individus.

Commentaire

« La qualité intrinsèque d’une chose implique qu’elle soit nécessairement donnée (accordée) à quiconque est qualifié pour elle ».

La question soulevée ici est de savoir si l’on doit donner la science uniquement à celui qui est qualifié ou bien à tous sans limitation ? Al-Thawrī et al-Awzā’ī ont choisi de ne donner la science qu’à ceux qui sont qualifiés pour la recevoir tandis qu’al-Junayd, et ceux qui l’ont suivi dans cet avis, ont décidé de diffuser la science à tout le monde, indistinctement, en considérant que la science porte en elle-même sa propre sureté et n’atteint que ceux qui en sont dignes.


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  1. Cette règle est un développement de la règle précédente : elle revient sur les aspects extérieurs qui caractérisent le connaissant réalisé, l’amoureux sincère, le chercheur consciencieux, etc. []

par le 29 septembre 2012, mis à jour le 12 novembre 2021

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