Tawhîd des akhlâq – M.A.S.
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Sous l’égide d’un titre que nous considérons, à l’heure actuelle, comme provisoire nous ouvrons, au lendemain de la commémoration du Mi’râj prophétique du 27 de Rajab, « mois d’Allah » donc mois du Tawhîd, une étude se situant assez naturellement dans le prolongement de notre récent article sur le Tawhîd comme méthode de sulûk qui se propose de montrer, d’une part, comment il est possible de mettre en évidence un tawhîd dans nombre des qualités comportementales (akhlâq) habituellement requises dans la Voie et, d’autre part, comment, à l’inverse, les défauts correspondants sont l’expression d’un défaut de tawhid ou, en d’autres termes, d’une tendance à la dualité ou à l’altérité.
Nous espérons ainsi fournir, in châ Allah, une illustration relativement simple et directe d’un principe incontournable, quelle que soit l’expression qu’il ait pu prendre sous la plume des Maîtres les plus réguliers.
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« Tawhîd des qualités, altérité des défauts »
(Titre provisoire)
Considérer les âdâb initiatiques sous l’angle du Tawhîd a notamment pour conséquence de mettre en évidence un certain nombre de qualités comportementales dont la mise en œuvre apparaît ainsi comme intimement nécessaire au processus de réalisation spirituelle effective.
Nous nous proposons donc maintenant de présenter les qualités en question, en les énumérant simplement dans un premier temps.
Tawhîd des qualités
- Sincérité, véridicité (çidq) : qualité intimement liée à la perception et à l’expression de la vérité
- Pureté (ikhlâç) : caractère non-mélangé, absence d’altération, d’association
- Confiance (thiqah) : « Croyance spontanée ou acquise en la valeur morale, affective, professionnelle… d’une autre personne, qui fait que l’on est incapable d’imaginer de sa part tromperie, trahison ou incompétence. »
- Avoir bonne opinion (khayr el-dhann)
- Amour (mahabbah)
- Fraternité (ukhuwwah) : « Nul d’entre vous n’est croyant avant d’aimer pour son frère ce qu’il aime pour lui-même »
- Caractère entier de l’engagement initiatique
- Patience (çabr)
- Constance (mudâwamah)
- Fidélité (wafâ‘)
- Satisfaction (qanâ’ah) : se satisfaire de ce que l’on possède sans chercher à acquérir autre chose
- Humilité (tawâdu‘)
- Concentration (istihdhar) : « action de concentrer, de réunir en un centre » 1
- Ne pas « regarder à droite et à gauche » (iltifat en-nadhar) : ce adab concernant la pratique du dhikr proprement dite, est certainement extensible à d’autres activités
- S’occuper de ses affaires et délaisser celles des autres
- Certitude (yaqîn)
- Se prémunir de toute forme d’ostentation (riyâ, sum’a)
- Discrétion, anonymat : disposition ayant pour effet de ne pas se faire connaître d’autrui
- Ne pas accorder d’importance à l’incompréhension d’autrui à son égard
- Ne pas accorder d’importance à la flatterie ou à l’injure, c’est à dire donner de l’importance au jugement qu’a autrui sur soi-même
- S’abstenir de la rivalité, de la concurrence : c’est-à-dire de chercher à faire prévaloir sa position sur celle d’autrui
- S’abstenir de la discussion polémique, c’est-à-dire de chercher à faire prévaloir sa position sur celle d’autrui
- Faire aumône de son droit sur autrui
Altérité des défauts
- Mensonge (kadhib) : altération de la vérité
- Médisance (ghîbah), calomnie (buhtân) : mentionner autrui en mal
- Méfiance (défiance) : ne pas faire confiance ; incapacité ou difficulté plus ou moins profonde à confier sa foi en autrui
- Trahison, tromperie, infidélité
- Haine (absence d’amour)
- Hypocrisie (nifâq) : présenter à autrui un aspect différent de sa conviction intime
- Avoir mauvaise opinion (sû’ el-dhann) : nourrir envers autrui une opinion, un a prori négatifs
- Caractère partiel de l’engagement initiatique : maintien d’un intérêt autre que la Voie
- Impatience
- Inconstance (dans la pratique pieuse) : tendance à changer pour autre chose sans se stabiliser sur une pratique unique
- Jalousie (ghîrah) – Envie (hassad) : « Peine et irritation éprouvées par le désir de possession de biens (matériels ou immatériels) que d’autres détiennent; désir pour soi, du bien ou du bonheur d’autrui. »2 – « Désir de ce qu’un autre possède. »3
- Insatisfaction : ne pas se satisfaire de ce que l’on possède en cherchant à acquérir autre chose
- Distraction, dispersion : tendances ou attitudes qui s’opposent à la concentration
- « Regarder à droite et à gauche » (iltifat en-nadhar)
- S’occuper des affaires des autres
- Doute (chakk) : « État naturel de l’esprit qui s’interroge, caractérisé à des degrés différents soit par l’incertitude concernant l’existence ou la réalisation d’un fait, soit par l’hésitation sur la conduite à tenir, soit par la suspension du jugement entre deux propositions contradictoires. » 4
- Ostentation (riyâ, sum’a) : faire remarquer ses actions par autrui : « Action, volonté délibérée de mettre en évidence, d’afficher, d’exhiber quelque chose. »
- Épier, espionner (tajassus) : observer autrui clandestinement
- Accorder de l’importance à l’incompréhension d’autrui à son égard
- Accorder de l’importance à la flatterie ou à l’injure : c’est-à-dire donner de l’importance au jugement qu’a autrui sur soi-même
- Pratiquer la rivalité, la concurrence : c’est-à-dire chercher à faire prévaloir sa position sur celle d’autrui
- Pratiquer la discussion polémique, c’est-à-dire chercher à faire prévaloir sa position sur celle d’autrui
- Exercer son droit sur autrui
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A titre de présentation des éventuels développements qui pourraient être faits d’une telle présentation et de tels rapprochements, nous proposons un texte extrait du « Commentaire Spirituel de quarante Hadîths prophétiques » traduit de l’arabe par Mohammed El-Fâtih du Hâlatu ahli-l-haqîqah ma’a-Allah du Cheikh Ahmed al-Rifâ’î (Éditions IQRA). Nous avons trouvé, en effet, qu’il couvrait un certain nombre des qualités et défauts que nous avions relevé et qu’il pouvait en quelque sorte illustrer notre propos.
Le Maître Abdul Malik Ibn al-Hussein al-Harbani – que Dieu sanctifie son esprit- nous a rapporté d’après une chaîne de plusieurs transmetteurs qui remonte jusqu’à Anas Ibn Malik – que Dieu soit satisfait de lui- que l’Envoyé d’Allah -que Dieu lui accorde la Grâce et le Paix- a dit : « Ne vous jalousez pas. Ne vous détestez pas. Ne vous épiez pas. Ne vous épiez pas les uns les autres. Soyez frères comme Dieu -qu’Il soit exalté- vous l’a ordonné ! ».
Ce hadîth sublime renferme les merveilles en matière de secrets de la connaissance de Dieu. En effet, il a ordonné de renoncer à une mauvaise qualité satanique qui est la jalousie. Puis de se dépouiller d’une mauvaise qualité de l’âme qui est de détester pour autre chose en dehors de Dieu. Puis de s’élever par rapport à une vile qualité qui provoque la chute, à savoir le fait d’épier et d’espionner. Ensuite, après avoir parachevé les degrés de l’épuration il a ordonné de voir qu’il n’y a pas de différence entre l’individu et ses frères en indiquant que c’est un ordre de Dieu -qu’Il soit exalté-. Lorsque ces qualités se parachèvent pour le serviteur, il maîtrisera alors la question de la connaissance de Dieu. D’ailleurs, c’est de ce secret que procède la parole suivante de notre maître Ali Ibn Abi Tâlib -que Dieu honore sa face et soit satisfait de lui- : « Celui qui connaît son âme connaît son Seigneur. »
Oui mon fils ! Sache que le serviteur est entre Dieu et Ses créatures : s’il se détourne de Lui pour se tourner vers les créatures, il se dépouille de Dieu et devient abandonné, privé et dépité ; s’il se tourne vers Dieu et se détourne des créatures, Dieu le rapproche et le fait parvenir jusqu’à Sa proximité. C’est que lorsque Dieu -qu’Il soit exalté- aime un serviteur, Il devient jaloux de lui en fonction de sa proximité de Lui et de son amour pour Lui et ne supporte de sa part qu’il se tourne vers autre chose en dehors de Lui, car si ce serviteur regarde quelque chose en dehors de Lui, Dieu punit par cette chose et la transforme en une source de malheur pour lui.
Ne vois-tu pas qu’Iblis a été maudit par Dieu parce qu’il s’est regardé et a dit à Adam : « Je suis meilleur que lui ! » Dieu l’a maudit et expulsé. Il en va de même du Pharaon qui a regardé son royaume et dit : « N’ai-je pas le royaume de l’Égypte ? » Il le fit noyer. C’est le cas de Qaroun qui a regardé ses biens et dit : « Je les ai gagnés par moi-même ! » Et Dieu l’ensevelit avec sa maison sous la terre. Il en va de même des anges qui ont regardé leur glorification et leur sanctification en disant : « Nous célébrons Tes louanges et nous proclamons Ta sainteté ! » (Coran, II-30). Dieu -qu’Il soit exalté- les a éprouvés par la prosternation devant Adam. C’est le cas aussi de celui qui dit : « Moi ». Dieu -qu’Il soit exalté- lui dit : « Non , c’est plutôt Moi ! » Puis Il le fait dégringoler au bas de l’échelle. De même celui qui dit : « Toi Dieu ! », Il l’élève dans les hauteurs les plus sublimes.
Il reste que l’acte de se tourner comporte deux aspects : une façon de se tourner avec l’oeil et une façon de se tourner avec le coeur. Le fait de se tourner avec l’oeil est comme dans la parole de Dieu -qu’Il soit exalté- à Muhammad -que Dieu lui accorde la Grâce et la Paix- : « Ne porte pas tes regards vers les jouissances éphémères que Nous avons accordées à plusieurs groupes d’entre eux ; c’est là le décor de la vie de ce monde, destiné à les éprouver. Les biens que ton Seigneur t’accorde sont meilleurs et ils durent pour longtemps. » (Coran : XX-131). Puis Dieu lui a rappelé Ses faveurs en le préservant lorsqu’Il a dit : « Si Nous ne t’avions pas raffermis, tu aurais failli t’incliner quelque peu vers eux. » (Coran : XVII-74). Ensuite, Il l’a loué pour avoir renoncé à se tourner vers tout autre que Lui en disant : « Son regard ne dévia pas et ne fut pas abusé. » (Coran : LIII-17). Ensuite, Il lui a fait hériter ce renoncement total en levant le voile pour lui au point de pouvoir voir ce qu’il a vu en disant : ‘Il L’a vu, en vérité, une autre fois. » (Coran : LIII-13).
Quant à Moïse -que Dieu lui accorde la Grâce et la Paix-, il a dit : « Il dit : Mon Seigneur ! Montre-Toi à moi pour que je Te voie ! » (Coran : VII-143). Dieu lui dit : « Regarde la montagne et tu ne Me verras pas après avoir regardé vers autrui !«
Pendant qu’un homme qui possède la connaissance spirituelle effectuait les tours rituels autour de la Ka’ba, quelqu’un d’autre l’appela. Il eut l’idée de se tourner vers lui. Mais il entendit une voix qui lui dit : « Ne fait pas partie de Notre groupe celui qui se tourne vers un autre en dehors de Nous !«
On rapporte également que pendant qu’un autre homme effectuait les tours rituels autour de la Ka’ba, il regarda une femme. Une main apparut dans l’air et lui creva un oeil. Puis, on l’interpella en ces termes : « Tu as regardé avec ton oeil vers ce qui Nous est inférieur et Nous l’avons crevé. Si tu avais regardé avec ton coeur vers autrui, Nous l’aurions cautérisé ! »
Dhul Nûn al-Misrî a dit : »Celui qui regarde à partir de son tawhîd (le fait d’affirmer l’unicité divine) vers son âme, son tawhîd ne le sauvera pas du Feu. »
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25 déc. – V5
Ce second texte est extrait de Asrâr et-tawhîd fî maqâmat el-cheikh Abî Sa’îd (Les étapes mystiques du shaykh Abu Sa’id – Editions DDB)
Dualisme et impiété
Notre Shaykh dit, une fois, devant le groupe de ses fidèles : « Je le jure par Dieu Omniscient ! et ce serment est en réalité soixante-dix serments, tout homme que Dieu dirige dans une autre voie que la Sienne propre, il le détourne de la voie de la Vérité. » Puis le Shaykh récita ce vers :
Il faut abréger le long discours Et se garder du compagnon de mauvais conseil.
Le compagnon de mauvais conseil est celui qui proclame le dualisme. Le dualisme, c’est l’impiété et il faut l’éviter. C’est ton moi que te tente et qui crée entre toi et les hommes l’animosité. Réduire les longs discours, signifie qu’il faut proclamer qu’il n’y a que l’Un exclusivement. »
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ARTICLE THÉMATIQUE correspondant
GENERALITES SUR LA RÉALISATION SPIRITUELLE (TAHQÎQ, SULÛK)
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par Mohammed Abd es-Salâm le 27 mai 2014, mis à jour le 5 octobre 2015
Mots clés : Akhlâq, Convenance spirituelle-Adab, Réalisation effective/Sulûk-Taqarrub, Tawhîd