Ce que peut faire le murîd quand il ne trouve pas de cheikh – Cheikh Mohammed el-Hachimî

A propos de l’importance du Maître et de ce que peut faire le murîd lorsqu’il n’en trouve pas, voici ce qu’expose le cheikh Mohammed al-Hâchimî (décédé en 1961) dans son Échiquier des Gnostiques (Shatranj el-‘Arifin)1 :

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Texte du Cheikh Mohammed al-Hâchimî

«Pour le voyage, ô mon frère, il te faut le secours d’un shaykh vivant, gnostique, sincère, de bon conseil, possédant une science authentique, une intuition (dhawq-goût) sans mélange, une haute aspiration et un état spirituel agréé, ayant lui-même suivi la voie sous la direction de guides spirituels et reçu son éducation spirituelle (adab) de gens bien éduqués, connaissant les chemins, ceci pour qu’il te protège contre les périls de ta route, t’apprenne à te concentrer sur Dieu et à fuir ce qui n’est pas Lui, t’accompagne jusqu’à ce que tu parviennes à Dieu, t’apprenne à reconnaître les fautes auxquelles t’expose ton âme, te fasse connaître la Bonté (ihsan) de Dieu envers toi ; car lorsque tu Le connaîtras, tu L’aimeras, et lorsque tu L’aimeras tu Lui consacreras tes efforts. Si tu fais cet effort Il te conduira dans Sa Voie et te choisira pour te mettre en Sa Présence. Le Très-Haut a dit : «Ceux qui ont lutté pour Nous, Nous les conduisons sur nos chemins» (Coran, XXIX, 69). La compagnie d’un shaykh et son exemple sont obligatoires (wajib). La source de cette obligation est cette parole du Très-Haut : «Et suis le chemin de celui qui est revenu a Moi » (Coran, XXXI, 15), ainsi que cette autre parole : « Ô vous qui croyez, soyez pieux envers Dieu et soyez avec les sincères! » (IX, 120). C’est aussi une condition du shaykh qu’il ait reçu d’un maître parfait, doué d’une clairvoyance efficace, l’autorisation d’instruire ses semblables. On ne dit pas où se trouve celui qui possède ces qualités. Mais nous répétons ce qu’a dit l’auteur des Lata’if al-Minan (Les Subtilités des Bienfaits) :

 « Tu ne manqueras pas de rencontrer des guides, mais tu manqueras peut-être de sincérité dans ta quête ; fais un effort sincère et tu trouveras un murshid ! ».

 En vérité le Secret divin est dans la sincérité de la quête : combien de merveilles ont été vues de Ses compagnons! Il est aussi dit dans Lata’if al-Minan : « Il te faut rendre exemple seulement sur un saint homme (wali) vers qui Dieu t’a conduit pour te faire connaître les grâces spéciales qu’il a déposées en lui, que Dieu a dépouillé à tes yeux de son aspect humain en te mettant en présence de ses grâces spéciales, à qui, de ce fait, tu as remis le soin de te guider et qui a parcouru en ta compagnie le sentier de la rectitude».

  •  Après ce rappel assez classique dans la forme, voici le passage que nous visions :

 «C’est le propre de l’aspirant (murid) que de chercher à connaître ses propres défauts. Cette préoccupation devient même son principal mobile d’action. Or, il lui est impossible de vraiment connaître par lui-même ses propres défauts (‘uyûb nafsihi) car l’homme ne se voit lui-même que par l’oeil de la perfection. Et, à supposer même qu’il trouve un défaut en son âme, il ne pourra pas s’en défaire par ses seuls moyens, ayant trop de pitié pour lui-même.

 1. Il lui faut donc quelqu’un qui l’assiste et le soigne, c’est-à-dire un shaykh. Car celui-ci est comme un médecin qui diagnostique les anomalies et les guérit.

 2. Au cas où il n’aurait pas de shaykh pour le conseiller, qu’il prenne un frère vertueux (sâlih) et en fasse un compagnon qui veille sur ses états et ses actions ;

 3. s’il ne trouve ni shaykh, ni frère, qu’il apprenne à connaître ses défauts auprès de ses ennemis. Comme l’ a dit Abû Hayyan:

 « Mes ennemis me font une faveur et je leur suis redevable. Le Miséricordieux ne m’a pas privé d’ennemis. Ils ont recherché mes points faibles, et j’ai pu m’ en écarter. Ils m’ont jeté des défis et j’ai accédé à de hautes fonctions».

 4. Ou encore, qu’il apprenne à connaître ses défauts par la fréquentation des hommes car, de cette façon, il prend conscience de leurs vices et s’en écarte intérieurement puisque « le croyant est le miroir du croyant »,

 5. ou enfin, qu’il les connaisse par la lecture assidûe des ouvrages des soufis, comme ceux de Muhasibi, Ghazzali, Sha’rani. Le très savant Ibn Zakrî (m. 1144/1731) a dit dans son commentaire des Hikam : « Cette méthode est aujourd’hui plus utile et efficace parce qu’à notre époque les individus ne suivent plus les bons conseillers et n’acceptent pas leurs conseils ». Du même ordre que la lecture d’une utilité équivalente est l’assistance aux séances l’instruction sur l’exégèse coranique (tafsîr), le hadîth et le taçawwuf

Ce sont là cinq moyens (de connaître ses propres défauts). Il en reste un sixième, à savoir : que celui qui ne trouve pas de shaykh pour l’instruire et le faire progresser s’adonne avec intensité à la prière sur le Prophète car elle l’instruira, le fera progresser, l’affinera et le mènera au but ; ainsi l’ont rapporté le Shaykh Zarrûq (m.899 /1493) sous l’autorité de son propre shaykh Abû al-‘Abbas al-Hadrami et le shaykh Sanûsi (1787-1859) sous l’autorité de plusieurs maîtres soufis»

Échiquier des Gnostiques (Shatranj el-‘Arifin), traduit par Jean-Louis Michon (Editions Archè)

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Que retenir de ce texte

  • Afin de « chercher à connaître ses propres défauts », ce qui lui est « impossible de vraiment connaître par lui-même », le murîd sincère doit chercher en priorité « quelqu’un qui l’assiste et le soigne, c’est-à-dire un shaykh » puis, s’il n’en trouve pas et par ordre décroissant, qu’il cherche à profiter de la compagnie d’un « frère vertueux (sâlih) », ou de « ses ennemis », ou de la « fréquentation des hommes » ; qu’il pratique encore la « lecture assidûe des ouvrages des soufis » ou qu’il assitse aux « séances d’instruction sur l’exégèse coranique (tafsîr), le hadîth et le taçawwuf » :

Le très savant Ibn Zakrî (m. 1144/1731) a dit dans son commentaire des Hikam : « Cette méthode est aujourd’hui plus utile et efficace parce qu’à notre époque les individus ne suivent plus les bons conseillers et n’acceptent pas leurs conseils ».

  • Une sorte de « place à part » est faite, en dernier ressort et sous l’autorité explicite de Maîtres importants de la Voie, à la multiplication de la prière sur le Prophète -qu’Allah prie sur lui et le salue :

« que celui qui ne trouve pas de shaykh pour l’instruire et le faire progresser s’adonne avec intensité à la prière sur le Prophète car elle l’instruira, le fera progresser, l’affinera et le mènera au but ; ainsi l’ont rapporté le Shaykh Zarrûq (m.899 /1493) sous l’autorité de son propre shaykh Abû al-‘Abbas al-Hadrami et le shaykh Sanûsi (1787-1859) sous l’autorité de plusieurs maîtres soufis»

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  En résumé

Très loin du débat moyenâgeux de l’Occident musulman, on retient de l’ensemble de ces données, exposées dans la deuxième moitié du 20° siècle par un maître régulier, successeur du Cheikh el-‘Alawî en Orient, qu’il existe, de l’avis même des maîtres Zarrûq, Abû-l-Abbas el-Hadramî et Sanûsî, des possibilités substitutives régulières importantes à prendre également en considération lorsque le murîd ne trouve pas de Cheikh pour le conseiller (cheikh nâçîh) : la compagnie d’un frère vertueux (sâlih), celle de ses ennemis, la fréquentation des hommes, la lecture assidûe des ouvrages des soufis, l’assistance aux séances de sciences traditionnelles fondamentales ou encore la multiplication de la prière sur le Prophète -qu’Allah prie sur lui et la salue.

  • Pour terminer l’étude de ce texte, voici les indications que donne le Cheikh el-Hâchimî quant à la manière de mettre en œuvre ces indications :

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«Ainsi donc, le murîd que favorise la Grâce divine et dont l’aspiration est élevée est celui que Dieu fait agir selon ces six modalités dans l’ordre où elles sont énumérées. Lorsqu’il rencontre son shaykh, ce murid se comporte avec soumission, confiance et obéissance; lorsqu’il se sépare de lui, il prend pour compagnon un frère vertueux, comme nous l’avons dit ; et lorsqu’il se sépare de ce frère vertueux, il apprend à reconnaître les travers de son âme par ses propres ennemis afin de les éviter et de s’en repentir ; puis, quand le moment est venu de s’éloigner des ennemis, il prend conscience de ses propres défauts en fréquentant les hommes et en apprenant à connaître leurs travers. Qu’il intensifie ses lectures d’ouvrages écrits par les gnostiques parfaits, qu’il assiste aux séances d’instruction dans le tafsîr, le hadîth et le taçawwuf avec des maîtres à la foi intègres et purs de toute déviation, et qu’il multiplie le reste du temps ses prières et ses salutations sur le Prophète Muhammad. Quant à celui qui ne se fait disciple d’un shaykh que verbalement et ne s’attache pas à lui comme l’ombre à son propriétaire avec une intention vertueuse, un amour sincère, de bonnes pensées, une disposition généreuse, un respect scrupuleux des ordres et des interdictions, ou encore avec l’attachement du nourrisson pour sa mère ou du malade pour son médecin, et qui trouve tout cela difficile ou même impossible, surtout à l’époque où nous vivons, qui se contente de ce lien purement verbal et en prend prétexte pour se dispenser de la compagnie d’un frère vertueux, qui ne tient pas compte de ce que disent ses ennemis (alors même qu’ils disent la vérité), qui ne cherche pas à connaître ses défauts en fréquentant ses semblables et qui, toujours parce qu’il croit que cette relation lui suffit, se dispense de consulter les ouvrages des soufis parfaits (al-kummal min al-qawm) ou bien il lit les livres des mystiques extatiques (arbab al-ahwâl min al-qawm) et pense qu’ils sont le summum de la perfection comme le degré atteint par leurs auteurs est, selon eux, le terme de la voie ; du fait, toujours, de cette relation avec le shaykh, celui-là et ses pareils se dispensent d’assister aux séances d’instruction dans les sciences du tafsîr, du hadith et du taçawwuf ; ou ils y assistent, mais en choisissant un professeur dont la foi n’est pas solide, ou qui nie la valeur du taçawwuf et de ses adeptes. Ainsi, ils ne peuvent avoir leur part (des grâces) de la prière et du salut sur le Prophète Muhammad et ils sont des dupes. »

Échiquier des Gnostiques (Shatranj el-‘Arifin), traduit par Jean-Louis Michon (Editions Archè)

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  1. Traduit par Jean-Louis Michon – Editions Archè.  Première citation de ce texte par Maurice le Baot sur le Forum du Porteur de Savoir []

par le 24 décembre 2011, mis à jour le 1 août 2018

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