Trois niveaux d’enseignement – Imâm Charânî

Nous éditons à part le adab 132 des Lawâqîh de l’Imâm Charânî dans le but de rappeler comment peut se faire la répartition des différents types d’enseignements au sein d’une Tarîqah.

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132 – Lorsque la vénération pour son Instructeur sort de son cœur, en informer celui-ci afin qu’il le guérisse de cette maladie difficile à soigner, soit en le chassant de sa compagnie, soit en y remédiant par l’utilisation de moyens qui feront tomber le voile qui lui est survenu, à cause d’un péché qu’il a commis ou à cause de quelque chose d’équivalent. S’il l’expulse*, il le fera par le cœur, sans mot dire**, à moins qu’il n’utilise une « diplomatie » parfaite***, car le dénigrement porté au Cheikh est un des plus grands ennemis : le Cheikh ne doit pas chercher à le supporter de peur que cela ne corrompe le reste des fuqarâ****.

* Les considérations suivantes concernent le Cheikh, ce qui peut paraître étonnant dans un livre, a priori, dédié aux disciples au début de la Voie. Ne peut-on pas voir là une expression formelle de la volonté de l’imam Charani de compenser, dans une certaine mesure, la dégénérescence générale dont il témoigne au début de son livre en rappelant aussi un adab qui s’adresse aux maîtres de son temps ?

**Cette situation constitue un exemple frappant d’une des utilisations du silence et du sens qu’il peut avoir au sein de l’enseignement initiatique ; cf. nos articles Trois modalités principales d’enseignement et Le silence du Cheikh

***Comme le lien réel avec le Cheikh est d’ordre uniquement intérieur, le rejet l’est aussi.

**** On remarquera dès maintenant cette règle fondamentale qui souligne la nécessité de préserver la communauté initiatique avant tout (même avant l’honneur et le droit du Cheikh, serviteur des fuqarâ), qui sera reprise, in châ Allah, notamment pour expliquer l’importance de la participation aux rites collectifs et comment se fait l’expulsion, par le Cheikh, de celui qui prétend à tort pouvoir s’en passer.

La plupart de ceux qui sont atteints par cette maladie sont ceux qui sont souvent en compagnie du Cheikh.

On a déjà vu que l’habitude liée au compagnonnage du Cheikh peut constituer un voile important qui résulte du manque de vigilance et d’attention du murîd.

C’est pourquoi on dit que le Cheikh doit sans nul doute tenir trois sortes de réunions : une séance pour le vulgum, une pour l’élite* et une dans laquelle il suit chaque disciple individuellement**, de telle sorte qu’il ne se tienne en réunion avec chaque groupe que de temps en temps (ghabban), un jour sur deux ou après quelques jours, non pas par orgueil, mais afin de respecter l’ordre naturel des choses (namoûs) et parce que cela est favorable au disciple.

* Cette distinction, bien réelle, s’appuie évidemment sur des critères d’ordre spirituel ; faut-il le rappeler, quand des avis uniformisant sont, malgré tout, formulés ?

** Comment se déroule cette séance dans les turûq comptent des centaines ou des milliers de disciples ou quand le Cheikh n’est accessible qu’une fois par an, deux parfois ?

La condition qui le concerne pour la séance du vulgum est de ne pas laisser un seul des disciples y assister avec eux et lorsqu’il leur permet d’assister il les a trompés. Les Maîtres disent :  » Sa séance pour le vulgum doit consister à les exhorter à la prière, le jeune et l’aumône et à leur exposer le fruit de ces œuvres. Il ne sortira pas de cela avec eux pour leur mentionner quelque chose des états spirituels et des prodiges des plus grands (Saints), car ils ne peuvent pas le suivre.

La condition relative à la séance de l’élite est qu’on ne sorte pas des résultats (natâ’ij) des incantations, des isolements cellulaires et des exercices spirituels, de l’exposition de la méthode qui y conduit.

La condition relative à la séance personnelle avec l’un de ses compagnons consiste à l’admonester et à amenuiser ses actes pieux à ses yeux ; il lui dira :  » Ton état spirituel, mon enfant, est déficient par rapport à celui des Sincères » et il attirera son attention sur la bassesse de son aspiration spirituelle.

On comprendra que le disciple ne doit pas requérir de son Cheikh qu’il l’autorise à siéger avec lui à chaque fois qu’il le désire. Car le Cheikh, même si aucun être n’est présent, est présent avec son cœur avec son Seigneur : il ne peut se détourner vers quelqu’un d’autre que Lui, ainsi que le Prophète a dit : « J’ai des moments dans lesquels je ne supporte personne d’autre que mon Seigneur. » Comprends-donc !

Les âdâb envisagés ici peuvent ainsi se résumer à un principe simple, qui les définit tous : réserver à chacun la place qui lui convient, y compris au Cheikh lui-même.

On a vu, plus haut dans le chapitre, que le disciple ne doit pas presser le Cheikh à répondre lorsqu’il lui a fait part d’un événement qui lui est arrivé * ou d’une question concernant les états spirituels de la Voie.

* Comme une vision, par exemple. Le adab consiste, à ce propos, à faire part au Cheikh de ce qu’il a vu sans en attendre un commentaire.

Au contraire, il se réjouira du Cheikh quand celui-ci ne lui répondra pas à ce propos. Les Maîtres disent qu’il doit, quand il ne répond pas à ses questions, lui prescrire des actes qui lèveront le voile concernant ce qu’il a demandé pour la progression vers ce qui est plus élevé et plus noble que ce qu’il recherchait, s’il est apte à cela. Car si sa science précède sa demeure spirituelle il pourrait se suffire par cette science et prétendre au maqâm de son Cheikh sans détenir la réalisation effective correspondante. Et Allah est plus Savant.

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Trois modalités principales d’enseignement – M.A.S. 

Le silence du Cheikh – M.A.S

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MAITRE SPIRITUEL ET ENSEIGNEMENT

 

par le 13 septembre 2014, mis à jour le 18 juillet 2015

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