Un poème sur le statut de la barbe en Islam – Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm

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INTRODUCTION

Comme on le sait la question du port de la barbe, à des degrés divers, agite certains courants islamiques contemporains (exotériques et parfois même ésotériques). Elle se pose ainsi immanquablement aux aspirants à la Voie de même qu’à ses membres déjà initiés, pouvant aller dans certains cas jusqu’à constituer un voile ou un empêchement plus ou moins définitif à une juste appréhension des modalités de mise en œuvre de telles pratiques dans le taçawwuf 1 .

Dans la production écrite du Cheikh Mohammed Zakî al-Dîn, nous avons trouvé pas moins de cinq poèmes consacrés à ce sujet ainsi que de longs développements en prose, notamment dans les Abjadiyyah et Uçûl al-Wuçûl, concernant le port de la barbe ainsi que de la moustache, leur raccourcissement ou leur rasage, la validité de la prière de celui qui ne la porte pas, etc.

Nous résumons ici l’essentiel concernant le statut exotérique du port de la barbe que nous complétons par la traduction d’un des poèmes du Cheikh qui insiste quant à lui sur un critère d’ordre plus intérieur :

– On ne trouve aucun musulman pour contester le caractère de tradition prophétique bien établie (sunnah thâbitah) du port de la barbe même chez ceux qui ne la portent pas. Quand à la qualification de pervers (fâsiq) donnée à celui qui délaisse cette pratique, elle concerne en vérité uniquement celui qui délaisse la pratique de la tradition et conteste les données traditionnelles qui s’y rapportent. L’attribution de la perversité à celui qui en délaisse uniquement la pratique (sans en contester le caractère de sunnah) est une exagération très éloignée de l’équité scientifique et religieuse, de l’amour véritable de la sunnah, de l’amour du Prophète – sur lui la Paix et le Salut- de la facilité (yusr) de l’Islam et de sa douceur (rifq).

– La sunnah du port de la barbe est une sunnah concernant l’habitude (‘âdah) et non l’adoration (ibâdah). Par conséquent elle n’a pas un statut d’obligation stricte 2 .

– La barbe n’a jamais été une condition d’un des cinq piliers de la religion ni une condition annulative d’aucune espèce d’œuvre d’adoration selon le consensus de l’ensemble des écoles juridiques.

– La barbe n’est pas un critère de piété en soi sinon que dirais-tu, nous dit le Cheikh, de la barbe de Lénine ou de Raspoutine alors qu’ils n’avaient ni religion (dîn) ni bon comportement (khulûq) ?

– Le Cheikh témoigne également du fait que de nombreux maîtres, savants et pieux, qu’il a connus lui-même en Égypte – au sein d’al-Azhar en particulier – ou encore parmi les générations passées, ne portaient pas la barbe.

– Le Cheikh conseillait cependant à ses disciples de porter la barbe par conformité à la sunnah prophétique, en particulier pour les hommes d’âge mûr, soulignant au passage le signe distinctif qu’elle constitue en regard de la gent féminine. Il condamnait à ce propos les tendances proprement dissolvantes relatives à une certaine « féminisation » de l’apparence de l’homme3 .

Pour paraphraser un autre poème de l’auteur, on pourrait écrire en définitive : l’Islam n’est pas « la barbe »… et le tasawwuf encore moins !

Mostafâ Mansûr

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POÈME

À celui qui laisse pousser sa barbe pour Allah
– Revient récompense (ajrun) et action de grâce (shukr)
Quant à celui qui ne le fait pas, dis :
– « Ni récompense alors ni de péché »
Quant à celui qui la laisse pousser pour les gens
– C’est un mal suivi d’un mal
Fais-le donc ou cesse, il n’y a en cela nulle
– Utilité (naf‘) pour Allah ni nuisance (dharru4 .

Cheikh Mohammed Zakî Ibrâhîm

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  1. Ce qui est dit ici et plus bas de la barbe peut en effet être rapporté à bien d’autres éléments de la sunnah qui ont le même statut. []
  2. Ce point est développé dans le poème ci-dessous []
  3. À ce propos on pourra faire remarquer que le port de la barbe dans certains milieux musulmans contemporains, par les soins excessifs qu’on lui accorde et du fait de son association à d’autres éléments vestimentaires ou « capillaires » qui sont plus tributaires de la « mode » que des normes traditionnelles, revêt parfois de manière paradoxale un aspect « féminin » déconcertant et certainement opposé à l’esprit de la sunnah. []
  4. On retrouve ici les trois domaines d’applications relatifs aux convenances initiatiques (âdâb) : les rapports avec Allah, à sa propre âme (l’être…) et aux gens (et le milieu). []

par le 30 juin 2018, mis à jour le 30 juin 2018

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