La prière sur le Prophète ﷺ : des symboles « mis en action » – L.D.L.H.

Cet article est issu de notre étude intitulée « Commentaire de la prière sur le Prophète » de la Lumière Essentielle » (en-Nûr edh-dhâtî), dont la dernière version au format PDF est disponible sur le Porteur de Savoir

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La prière sur le Prophète : des symboles « mis en action »

remarques préliminaires à l’étude du Sceau châdhilî

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Nous avons rappelé dans un précédent article que la connaissance directe du Secret initiatique (Sirr) est incommunicable et inexprimable par nature ; toute expression la concernant, forcément inadéquate, ne pourra donc jamais en donner qu’une sorte de reflet dans l’ordre humain. Chez certains êtres cependant, ce reflet pourra éveiller des facultés supérieures, et s’il ne les dispensera jamais « de faire personnellement ce que nul ne peut faire pour eux », il pourra en revanche constituer une aide et un support pour leur travail intérieur 1.
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S’il nous semble à propos de rappeler ces fondamentaux, magistralement développés sous la plume de Guénon, c’est que le support le plus apte à servir de point d’appui à l’intuition intellectuelle est le symbole 2 , dont nous allons maintenant rappeler quelques caractéristiques essentielles avant d’entamer l’étude du Sceau châdhilî.
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En premier lieu, il importe de remarquer, avec René Guénon, que le symbolisme est le mode d’expression par excellence de tout enseignement initiatique, car il est susceptible d’interprétations multiples qui, procédant de point de vue différents, se complètent sans jamais se contredire. Ainsi, le symbole est «  moins l’expression d’une idée nettement définie et délimitée 3 […] que la représentation synthétique et schématique de tout un ensemble d’idées et de conceptions que chacun pourra saisir selon ses aptitudes intellectuelles propres et dans la mesure où il est préparé à leur compréhension ». L’enseignement servant de base et de support au travail initiatique intérieur doit en outre, pour permettre à l’initié d’étendre indéfiniment ses conceptions sans les enfermer dans une théorie systématique et limitée, ouvrir des possibilités proprement illimitées, ce que les symboles, par leur caractère essentiellement synthétique et leur origine « non-humaine », sont les seuls à permettre. Sans pouvoir nous attarder sur ce côté « non-humain » caractérisant les symboles « dans leur origine et dans leurs essence », il faut toutefois comprendre que cet aspect leur permet, lorsqu’ils sont « mis en action » dans les rites qui véhiculent l’influence spirituelle, d’être les « supports » de cette influence, que les rites sont d’ailleurs les seuls à pouvoir transmettre. Si l’on considère ensuite que tout rite est « littéralement constitué par un ensemble de symboles » ou « comporte nécessairement un sens symbolique dans tous ses éléments constitutifs », et que les symboles sont, comme nous l’avons dit plus haut, le seul langage possible des vérités initiatiques, le rite s’en trouve par là-même porteur d’un enseignement initiatique intrinsèque et indépendamment de sa compréhension actuelle par celui qui l’accomplit régulièrement.
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Il vient d’être question de rite, mais la Prière sur le Prophète entre-t-elle véritablement dans cette catégorie ?  Si l’on considère avec Guénon que le rite est, étymologiquement, ce qui est « conforme à l’ordre » (rita), l’institution traditionnelle de la Prière sur le Prophète dans le verset « Allah et Ses anges prient sur le Prophète, Ô vous qui croyez, priez sur lui et saluez-le ! » 4 , suffit à en démontrer le caractère rituel, puisque son accomplissement est, en lui-même, une réalisation par l’être de l’ « ordre » divin 5 . Cette référence coranique nous dispense en outre d’insister sur l’origine « non-humaine » de cette pratique, autre caractéristique essentielle de tout rite digne de ce nom. A ce propos, Guénon rappelle que chaque institution traditionnelle contient en elle-même un élément « non-humain », et que ses rites ont toujours pour but de mettre l’être humain en rapport avec cet élément, c’est-à-dire « avec quelque chose qui dépasse son individualité et qui appartient à d’autres états d’existence ». Or là encore, les exemples de « réactions concordantes » à la pratique de la prière sur le Prophète ne manquent pas et nous pouvons nous contenter de retenir celle qui est probablement la plus connue de toutes : « Celui qui prie sur moi, Allah prie sur lui dix fois […]» (pour d’autres exemples, voir cet article et celui-ci).
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Si l’on objecte maintenant que cette pratique traditionnelle, en tant qu’elle est prescrite à l’ensemble des musulmans, est un rite exotérique qui ne saurait produire, par lui-même, d’effets initiatiques, il convient de préciser encore un point important : il est vrai qu’à la différence des rites exotériques en effet, les rites initiatiques ou ésotériques ne s’adressent pas « indistinctement à tous les membres d’un milieu social donné » mais sont réservés à « une élite possédant des qualifications particulières » ; leurs buts respectifs sont donc sensiblement différents, car bien qu’ils fassent tous deux appel à « l’intervention d’un élément d’ordre supra-individuel », l’action des rites exotériques n’est jamais destinée à dépasser le domaine de l’individualité, c’est-à-dire qu’elle se cantonne en somme à permettre l’obtention du paradis, tandis que les rites initiatiques ouvrent « à l’être certaines possibilités de connaissance » qui s’étendent, au-delà de l’individualité, au domaine supra-individuel, et ultimement à la possibilité de connaitre la face d’Allah. Pour en revenir à l’objection visée plus haut, il faut à présent remarquer que dans la forme islamique, la différence extérieure entre les pratiques exotériques et ésotériques se trouve nettement atténuée, voire véritablement réduite à néant ; cette similitude apparente leur vient de leur nécessaire conformité au Coran et la Sunna, dans lesquelles elles trouvent toutes deux leurs fondements, si bien que les rites ésotériques ne sont jamais, extérieurement du moins, étrangers aux pratiques recommandées dans le cadre religieux général. Ils ne différent donc en réalité que par le domaine dans lequel l’influence spirituelle qu’ils véhiculent s’exerce, car la production d’effets initiatiques, dans son domaine propre, n’est rendue possible que par la réception préalable de l’influence spirituelle (baraka) à travers le rite du rattachement, puis de l’autorisation (idhn) qui permet d’accomplir régulièrement le rite en question 6 .
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En tant que rite, la Prière sur le Prophète doit être constituée d’un ensemble de symboles, mais que regroupe-t-on exactement par ce terme ? Selon Guénon, « toute image qui est prise pour représenter une idée, pour l’exprimer ou la suggérer d’une façon quelconque et à quelque degré que ce soit, est par là même un signe ou, ce qui revient au même, un symbole de cette idée ». L’emploi du terme « symbole » n’est donc pas réservé à une figuration graphique ou géométrique mais s’applique à toute sorte d’image, car le principe du symbolisme se « base toujours sur un rapport d’analogie ou de correspondance entre l’idée qu’il s’agit d’exprimer et l’image, graphique, verbale ou autre, par laquelle on l’exprime » 7 . Ainsi, lorsque l’on dit que tout rite est constitué d’un ensemble de symboles, on entend par là aussi bien les symboles sonores, comme la parole ou les mots, que les gestes effectués, les objets employés ou les figures représentées. En outre, Guénon souligne que l’efficacité inhérente au rite est « en étroite relation avec le sens symbolique inclus dans sa forme » 8 . Les symboles constituant la Prière sur le Prophète peuvent donc être l’ensemble des sens symboliques exprimés par les mots qui les composent, et dont nous avons fait l’objet de nos articles précédents, mais également dans le nombre de répétitions préconisées ou leurs conditions d’accomplissement (temps, état), car tous ces éléments sont susceptibles de constituer une aide et un support pour élever les prieurs  jusqu’aux réalités métaphysiques qui leur sont ainsi suggérées. C’est en ce sens qu’il est dit « des Connaissants (‘arifîn) [qu’ils ont] pour habitude de transmettre leurs connaissances dans leurs prières sur le Prophète », et que ces prières, et plus particulièrement les symboles qu’elles contiennent, sont « un support d’ascension (mi’râjan) pour ceux qui les suivent et accèdent ainsi à certains secrets de la Fonction divine (Ulûhiyah) et aux réalités essentielles du Message (Risâlah) » 9 .
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Il est donc selon nous bien légitime de considérer la Prière sur le Prophète comme un rite initiatique, c’est-à-dire comme un ensemble de symboles dont la « mise en action » véhicule l’influence spirituelle et suscite l’intuition intellectuelle. C’est d’ailleurs précisément en cela qu’elle contient un enseignement initiatique, et non des moindres si l’on remarque qu’il est prescrit à « celui qui ne trouve pas de chaykh pour l’instruire et le faire progresser, de s’adonner avec intensité à la prière sur le Prophète car elle l’instruira, le fera progresser, l’affinera et le mènera au but ; ainsi l’ont rapporté le Chaykh Zarrûq (m.899 /1493) sous l’autorité de son propre Chaykh Abû al-’Abbas al-Hadrami et le Chaykh Sanûsi (1787-1859) sous l’autorité de plusieurs maîtres soufis» 10 .
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  1. Ces notions générales, comme l’immense majorité de celles qui vont suivre, sont issues des Aperçus sur l’Initiation de René Guénon. []
  2. Guénon précise que cela se rapporte à leur usage rituel comme support de méditation, et non point aux commentaires verbaux sur leur signification qui n’en représentent qu’une étude encore extérieure. Et le symbole, « pour qui parviendra à pénétrer sa signification profonde », fera concevoir incomparablement plus que tout ce qu’il est possible d’exprimer directement ; il est le seul moyen de transmettre, ou plutôt « de déposer les conceptions de cet ordre en germe dans l’intellect de l’initié, qui devra ensuite les faire passer de la puissance à l’acte » par son travail personnel. []
  3. A l’inverse du langage analytique de la pensée discursive et rationnelle. []
  4. [XXIII ; 56]. []
  5. Outre le double sens que peut prendre le mot « ordre » ici, et notamment celui de commandement contenu dans la racine arabe « amr », nous renvoyons à ce que nous avons dit dans les articles Rapports symboliques entre Nûr et Barzakh  et  La prière « lumineuse » sur le Prophète : l’esprit (Er-Rûh), dans lesquels nous avons dit que la lumière (en-Nûr) procèdent ou font partie de l’ordre (min el-Amr) divin, au même titre que l’accomplissement de la Prière sur le Prophète, véritable lumière selon le hadith, procède ou répond également au Amr. []
  6. Que l’effet produit soit apparent ou non, immédiat ou différé, le rite porte toujours son efficacité en lui-même s’il est accompli conformément aux règles traditionnelles qui assurent sa validité. La « technique » rituelle n’est que l’application et la mise en œuvre des lois suivant lesquelles agissent les influences spirituelles. Cette efficacité est en outre « entièrement indépendante de ce que vaut en lui-même l’individu qui accomplit le rite », puisqu’il lui suffit d’avoir régulièrement reçu le pouvoir de l’accomplir d’une part, et d’observer toutes les règles prescrites d’autre part. []
  7. Mais envisager le symbolisme sous un rapport purement humain, en tant que « forme de pensée » est encore totalement insuffisant car cela ne représente que son coté le plus extérieur. C’est bien en effet son côté « non-humain », que nous avons déjà évoqué plus haut, qui est son côté intérieur et essentiel, car son fondement est dans la nature même des êtres et choses ; il est […] la correspondance qui existe entre tous les ordres de réalité, qui les relie l’un à l’autre, et qui s’étend, par conséquent, de l’ordre naturel pris dans son ensemble à l’ordre surnaturel lui-même ; en vertu de cette correspondance, la nature tout entière n’est elle-même qu’un symbole, c’est-à-dire qu’elle ne reçoit sa vraie signification que si on la regarde comme un support pour nous élever à la connaissance des vérités surnaturelles, ou « métaphysiques » au sens propre et étymologique de ce mot, ce qui est précisément la fonction essentielle du symbolisme. Par là même, il y a nécessairement dans le symbolisme quelque chose dont l’origine remonte plus haut et plus loin que l’humanité, et l’on pourrait dire que cette origine est dans l’œuvre même du Verbe divin […]. []
  8. « … mais elle n’en est pas moins indépendante d’une compréhension actuelle de ce sens chez ceux qui prennent part au rite ». []
  9. Dawhah el-asrâr fî ma’anâ eç-çalât ‘alâ en-nabî el-mukhtâr, Cheikh el-‘Alawî. []
  10. Cheikh Mohammed al-Hâchimî (m.1961), Échiquier des Gnostiques (Shatranj el-‘Arifin), traduit par Jean-Louis Michon (Editions Archè).
    Nous renvoyons à ce propos au remarquable travail de Mohammed Abd es-Salâm sur l’évolution des modalités de l’enseignement initiatique mohammedien, et plus particulièrement à son article sur ce que peut faire le murîd quand il ne trouve pas de cheikh ; Concernant la prière sur le Prophète en tant qu’« outil » initiatique », on se reportera aux articles introductifs de notre étude intitulés La prière sur le Prophète : une opportunité initiatique ? et La prière « lumineuse » sur le Prophète. []

par le 9 janvier 2012, mis à jour le 31 juillet 2015

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